Les initiales du chirurgien sur le foie de ses patients : quelques aspects juridiques et éthiques. Par Vincent Ricouleau, professeur de droit.

Les initiales du chirurgien sur le foie de ses patients : quelques aspects juridiques et éthiques.

Par Vincent Ricouleau, professeur de droit.

1577 lectures 1re Parution: 1 commentaire 5  /5

Explorer : # Éthique médicale # transplantation d'organes # faute professionnelle # droit de la santé

Quelle est la différence entre Dieu et un chirurgien ? Et bien, Dieu ne se prend pas pour un chirurgien alors que le contraire est vrai ! Célèbre histoire qui fait toujours sourire ! Il est bien connu dans le milieu médical que certains chirurgiens peuvent avoir des comportements inadaptés, à cause de l’excès de travail, du stress. Mais qu’est-ce qui a poussé le chirurgien britannique, Simon Bramhall, 53 ans, spécialiste reconnu des transplantations hépatiques, à graver ses initiales au laser argon, (argon gas coagulator servant à la coagulation) sur le foie transplanté de deux de ses patients, le 9 février et le 21 août 2013 ? Certes, ces initiales ne devaient pas être découvertes. Mais elles l’ont pourtant été par un autre chirurgien, lors d’une nouvelle opération des patients. Quelles analyses juridiques et éthiques, quelle interprétation, peut-on tenter de faire ?

-

Le docteur Simon Bramhall a démissionné du Birmingham’s Queen Elisabeth Hospital. Sa position devenait bien compliquée. Il est poursuivi devant le tribunal de Birmingham pour le délit d’Assault by beating. Le procureur, James Badenoch, a déclaré à l’audience « it was an intentional application of unlawful force to a patient whilst anaesthetised ».

Le chirurgien risque six mois de prison et une amende de 5.000 dollars. La décision sera rendue en janvier 2018. La grande question est de savoir si sa carrière va se poursuivre.

Une des difficultés d’interprétation du dossier est que le chirurgien a mis ses initiales sur le foie des patients à la vue de toute l’équipe de transplantation. Pourquoi l’équipe n’a-t-elle pas réagi pendant l’opération et pendant le débriefing, même si c’était trop tard pour changer quoi que ce soit ? Alors faute individuelle ou collective ?

Précisons que les patients se portent bien, ce qui est le principal.

Complicité de certains ? Ou volonté de ne pas « détruire » la réputation d’un chirurgien, compétent et indispensable dans un monde médical manquant de spécialistes ? L’affaire a été révélée par le chirurgien qui a opéré une seconde fois les patients. Ce chirurgien a-t-il voulu « se protéger » d’un risque médical couru par le patient, de ses conséquences médico-légales ?

Simon Bramhall soutient que ses patients ne souffrent d’aucun préjudice. Graver ses initiales sur le foie au laser argon ne créerait aucun dommage à l’organe, ni à sa fonction ni à sa longévité. Ces initiales seraient en outre temporaires, disparaissant avec le temps. Sans laisser la moindre cicatrice, le foie étant le seul organe à se régénérer ! Mais en l’absence de précédent, le doute est permis.
Le chirurgien répète qu’il n’aurait de toute façon jamais mis en péril la vie de ses patients.
Il n’est d’ailleurs pas contesté que la deuxième opération des patients n’a aucun lien avec les initiales gravées.

Mais qu’en est-il du préjudice psychologique du patient ?

Celui-ci risque-t-il de développer un stress post-traumatique par exemple ? Ou une phobie du médecin ? La confiance envers le médecin est pour le moins entamée.

Sans nul doute, le médecin a enfreint les règles déontologiques. Simon Bramhall a d’ailleurs reçu un avertissement du General Medical Council (GMC).

Et si un chirurgien français avait fait de même en France ?

Des expertises médicales seraient ordonnées. Une expertise psychologique ou psychiatrique du chirurgien ? Probablement mais sans certitude. Et pourquoi pas de l’équipe médicale, du moins celle qui a procédé à la transplantation ?

Des expertises du patient ? Assurément, tant par un spécialiste de l’hépatologie que par un psychiatre, afin de démontrer, le cas échéant, un préjudice né ou à venir et procéder à une éventuelle indemnisation.

Mais que donnerait une expertise concernant le chirurgien ?

La mise en exergue d’une pathologie ? Une dangerosité ? Un risque de récidive ?

Ou tout simplement des traces de burn-out, de dépression, d’épuisement, de découragement, générant des comportements pour le moins indélicats mais aux conséquences judiciaires redoutables sans parler de la prime d’assurance professionnelle qui va bondir ?

Le chirurgien tant techniquement que psychologiquement n’est pas infaillible. Comment qualifier d’ailleurs l’acte reproché ? Est-il une faute médicale, une erreur médicale, une mauvaise appréciation de l’état du patient, une erreur de diagnostic ? Selon les critères juridiques, non, mais une belle bêtise, oui !

Henri Marsh, neurochirugien, auteur d’un article publié dans « The Guardian » à la suite du procès, écrit que « the surgeon who signed patient’s livers was silly, not criminal. The law is an ass ».
Henri Marsh tente dans son article de justifier le travail du chirurgien, complexe, stressant, très particulier. Il évoque avec une certaine ironie la plaque osseuse qu’on a mis à sa jambe fracturée, une plaque portant le nom du fabricant.

Mais est-ce comparable avec l’acte du docteur Simon Bramhall ? Un foie n’est pas une plaque osseuse ! On n’est pas vraiment convaincu par Henri Marsh !

Toutefois, à travers son article, on voit bien que la situation des médecins français, très alarmante, en proie à des risques psycho-sociaux qui font un carnage, n’est pas unique. Les médecins britanniques juniors et seniors souffrent des mêmes maux, burn-out, sous-effectifs, rythme du travail, relations avec les patients, avec la direction de l’hôpital, risques médico-légaux…

Mais une chose est certaine, une transplantation n’est en aucun cas une œuvre « originale ». Le chirurgien ne peut signer son travail tel un architecte. Quand bien même un greffon hépatique même prélevé sur un donneur vivant a pu être « redécoupé », « adapté ». Aucune dérogation ne peut être acceptée. Pour choquer quelque peu, on n’imagine pas le professeur Lantieri mettre ses initiales sur une allotransplantation de tissus composites (ATC), autrement dit, une greffe de face, totale ou partielle.

Pourquoi risquer sa carrière pour un tel acte dont la genèse et la signification sont si confuses ?
D’autant plus que les transplantations hépatiques nécessitent plus que jamais des professionnels parfaitement bien formés et expérimentés.

Cette affaire est l’occasion de rappeler nos principes fondamentaux dont l’application très stricte s’impose au professionnel de la santé, quand bien même le patient donnerait son consentement pour certaines pratiques médicales.

L’article L.1232-1 du Code de la santé publique rappelle que le prélèvement d’organe sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité. Ce prélèvement peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Ce refus est révocable à tout moment.

Les lois du 29 juillet 1994 et du 6 août 2004, l’article 16 du Code civil, la décision du Conseil constitutionnel relative à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine (D.C du 27 juillet 1994), l’article 5 de la Convention Européenne sur les Droits de l’homme et la Biomédecine, ont conforté les principes d’inviolabilité et de non-patrimonialité du corps humain.

Les principes de gratuité du don, d’anonymat du don, de prohibition de la publicité, de sécurité sanitaire (loi du 6 août 2004), de biovigilance, de sélection clinique du donneur et du receveur, s’appliquent sans aucune dérogation.

Beaucoup d’articles du Code de la santé publique pourraient fonder des poursuites pour ce type d’acte en France. Retenons les principaux.

L’article R 4127-2 du Code de la santé publique exige le respect de la vie humaine, et de la dignité du patient. L’article R 4127-3 prévoit qu’en toutes circonstances, moralité, probité, dévouement, s’imposent au médecin. L’article R 4127-8 précise que le médecin doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. L’article R 4127-10 précise que le médecin ne peut directement ou indirectement (…) favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale du patient ou sa dignité. L’article R 4127-31 précise que tout médecin doit s’abstenir même en dehors de l’exercice de sa profession de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. L’article R 4127-40 interdit de faire courir au patient un risque injustifié. L’article R 4127-41 interdit toute intervention mutilante.

La Convention d’Oviedo doit aussi être respectée !

Rappelons la Convention d’Oviedo signée le 4 avril 1997 à Oviedo en Espagne.

L’article 4 indique que toute intervention dans le domaine de la santé, y compris la recherche, doit être effectuée dans le respect des normes et obligations professionnelles ainsi que des règles de conduite applicables en l’espèce. L’article 5 rappelle le consentement du patient. L’article 22 indique que lorsqu’une partie du corps humain a été prélevée au cours d’une intervention, elle ne peut être conservée et utilisée dans un but autre que celui pour lequel elle a été prélevée que conformément aux procédures d’information et de consentement appropriées. L’article 24 précise que la personne ayant subi un dommage injustifié résultant d’une intervention a droit à une réparation équitable dans les conditions prévues par la loi.

Cette indélicatesse pourrait-elle dissuader les citoyens de donner leurs organes ? Ce manque de respect du donneur et du receveur peut-il avoir des conséquences dans le domaine si sensible de la transplantation ?

Le 20 décembre 2017, Jean-Louis Touraine a livré à l’assemblée nationale les conclusions d’une mission flash sur les conditions de prélèvement d’organes et de refus de tels prélèvements.
L’Agence de Biomédecine (ABM) souhaite que le taux de refus de prélèvement d’organe soit « sous la barre de 25% » d’ici à 2021.

Plus de 14 000 patients sont en attente de greffe au premier janvier 2016. 5891 organes ont été greffés en France en 2016.

Le plan français des greffes d’organes et de tissus pour la période 2017-2021 prévoit 7.800 greffes annuelles.

Qu’en est-il pour la transplantation du foie ? Rappelons certains critères pour mieux comprendre le contexte.

Le plan prévoit en effet dans son objectif 4 « de développer la formation dans le domaine du prélèvement de foie et de pancréas. Le score foie est effectif depuis 2007 et en l’absence de malades inscrits en super-urgence, l’allocation des greffons hépatiques se fait via le score qui fait coexister deux modèle de cinétique d’accès à la greffe avec une compétition entre l’indication « Cirrhose isolée », c’est-à-dire sans cancer (carcinome hépatocellulaire), gouvernée par le principe d’utilité (attribution du greffon au malade le plus grave) sur la base du Model For End Stage Liver Disease – MELD -) »

Dans le futur, certains patients recevront des organes 3 D qui porteront le nom de leur concepteur, de leur fabricant ou un quelconque signe distinctif. Le chirurgien sera-t-il autorisé à signer ou à apposer une marque personnelle sur un organe artificiel, créé avec son aide, pour un patient déterminé ? Le consentement du patient sera de toute façon nécessaire. On observera peut-être avec les organes 3D une baisse du trafic d’organes actuellement florissant ! La traçabilité de certains organes transplantés dans certains pays est en effet bien difficile.

Espérons en tout cas que l’acte du docteur Simon Bramhall est un acte isolé, irréfléchi, et un épiphénomène chirurgical.

Reste quand même à se poser la question concernant les centaines d’opérations qu’il a effectuées dans le passé.

Comment vérifier le comportement antérieur du chirurgien si ce n’est par témoignage des équipes ayant participé aux transplantations ?

Parfois, imaginer l’avenir est préférable que de reconstituer le passé, même (et surtout) en médecine…

Vincent Ricouleau
Professeur de droit -Vietnam -
Directeur-Fondateur de la clinique francophone du droit au Vietnam
Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières -
Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d’évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

24 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par vincent ricouleau , Le 26 décembre 2017 à 15:57

    A consulter la thèse de doctorat en sciences cognitives, soutenue en 2016 par Massimiliano Orri, (Paris Descartes 5) "Facteurs psychologiques, subjectivité et émotions dans les soins chirurgicaux", dirigée par Anne Revah-Levy et Olivier Farges. Voir notamment la deuxième partie sur l’étude qualitative de l’expérience émotionnelle des chirurgiens hépato-bilio-pancréatiques.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs