Extrait de : Droit de l’Homme et Libertés fondamentales

Les limites de la protection non juridictionnelle des droits de l’homme en droit positif camerounais.

Par Norbert Guiswe, Juriste.

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Explorer : # protection des droits de l'homme # institutions non juridictionnelles # efficacité institutionnelle # obstacles juridiques et culturels

L’effectivité de protection d’un droit apparaît ainsi que l’écrit Antoine Jeammaud, comme un objet indispensable d’inquiétude pour les juristes soucieux de se convaincre ne pas s’enfermer dans l’univers abstrait des règles juridiques, mais d’être attentifs à l’inscription de celles-ci dans les pratiques sociales. Autrement dit, l’effectivité d’une protection en droit, est à la fois formelle et matérielle.
Or, au regard de cette dernière considération et aux vues du dispositif juridico-institutionnel non juridictionnel de protection des droits de l’Homme et des libertés actuellement en vigueur au Cameroun, il est très aisé de constater d’énormes difficultés entravant ladite protection au plan matériel, et ceci à toutes les fois que l’on s’attèle à apprécier les effets concrets ou l’efficacité des règles juridiques prévues à cet effet d’où les limites.

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La démocratie ne peut véritablement exister que si elle pratique la mise en œuvre effective et efficace des droits et libertés fondamentaux de l’Homme. C’est parce que ces derniers (droits et libertés fondamentaux) apparaissent comme un patrimoine commun de l’humanité qu’ils nécessitent une reconnaissance et des garanties de la part des Etats.

En effet, la notion de protection des droits au plan opérationnel renvoie à l’effectivité et à l’efficacité de cette dernière. L’effectivité vise ce qui se réalise en fait pour être valable ou opposables aux sujets de droit, ce qui prévaut dans les faits et dont l’existence palpable justifie la connaissance ou l’opposabilité. Il s’agit d’un moyen de création de droit au profit des sujets de droit. Autrement dit, la notion d’effectivité est utilisée en droit international ou en droit interne pour définir le caractère d’une situation qui existe réellement. Elle désigne une situation de fait dont la règle de droit va tenir compte.

Ainsi à cette question écrit Paul Amselek, l’ étude de l’effectivité statuée par les normes juridiques, interroge sur le contenu même d’une norme juridique, tandis que l’analyse de l’effectivité des règles de droit porte sur la question de leur stricte application par les organes chargés de les mettre en œuvre au plan matériel. Il s’agit de leur efficacité.

C’est dans la recherche de cette efficacité de protection des droits de l’homme que l’Etat du Cameroun va mettre sur pieds des nombreuses autres institutions et organismes non juridictionnels de protection (tels la CNDHL, le CNC, ELECAM et tant bien d’autres) depuis les années 90 avec pour objectif de renforcer la protection qui était principalement assurée par les seuls organes juridictionnels.

Au regard de toutes ces considérations sus évoqués, il semble donc, en effet particulièrement logique sinon nécessaire que l’on s’attache à apprécier les effets concrets de la protection non juridictionnelle des droits de l’Homme et des libertés publiques en droit camerounais au regard des règles juridiques prévues à cet effet.

La protection non juridictionnelle des droits de l’homme et des libertés publiques au Cameroun semble inefficace, parce que limitée. Cette limitation est tout d’abord inhérente au cadre institutionnel de protection proprement dit, (I) et en suite aux obstacles d’ordre juridique et culturel (II).

I. Les limites institutionnelles.

Des manquements sont à recenser au niveau du respect, de la conception, confection et de la stricte application des règles juridiques relatives aux droits de l’homme et des libertés au Cameroun . Des obstacles sont relevés au niveau des mécanismes chargés d’assurer son implémentation et sa réalisation effective.

La garantie non juridictionnelle des droits de l’Homme et des libertés au Cameroun, fait ainsi face à divers niveaux dans la pratique, à des difficultés sérieuses mettant à mal la propension à réaliser efficacement ses missions visant à mieux promouvoir et protéger les droits de l’être humain. Ces difficultés sont d’ordres institutionnels (1) et se manifestent tout aussi par une absence d’assise nationale et institutionnelle d’organes chargés d’assurer la protection des droits et en fin par un manque criard des ressources (2).

1. La relative indépendance institutionnelle.

En principe les organes de garantie non juridictionnelle des droits et libertés au regard du cadre juridique national et international sont pour la plupart autonomes et indépendants. Dans le contexte camerounais, Il s’agit toutefois, d’une indépendance voilée, textuelle et de façade. Ces organes dans la pratique du point de vue institutionnel, ne semblent pas réellement refléter des organes de protection véritablement indépendants (A) et sont non actifs parce que ne sont pas effectivement libres de leurs actions (B).

A- Un cadre institutionnel dépendant.

L’une des limites à laquelle les institutions de protection non juridictionnelle font face principalement aujourd’hui est d’ordre statutaire.

Cette dernière (limite) s’articule autour de la dépendance institutionnelle de ces institutions, vis-à-vis du pouvoir exécutif. La structure de ces institutions telle qu’élaborée par le législateur, pose un réel problème de leurs indépendances véritables.

D’après la loi 2004/016 portant création, organisation et fonctionnement de la CNDHL, la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017du 21 décembre 2012, et le décret du 23 janvier 2012 portant réorganisation du CNC, c’est le Président de la République qui nomme par décret le président, le vice-président ainsi que l’intégralité des membres de toutes ces institutions. Or on le sait, la nomination réduit les pouvoirs d’action de ces membres parce que ces derniers peuvent penser qu’ils sont redevables envers celui qui les a nommés et de ce fait peuvent être tentés de ne faire que sa volonté ; au détriment de la protection des droits des personnes victimes de violations des droits.

Plus loin encore, le législateur met l’approvisionnement financier de ces institutions à la charge de l’Etat. Leurs ressources financières proviennent des : dotation inscrites chaque année au budget de l’Etat ; appuis provenant des partenaires nationaux et internationaux ; dons et legs.
De même le législateur ou le pouvoir réglementaire fixe par une loi ou par décret les indemnités des sessions de ces membres surtout en ce qui concerne le Conseil National de la Communication.

Comment dès lors concevoir l’indépendance d’une structure qui dépend financièrement de l’Etat et dont, les membres sont nommés par ce dernier ? Est-on véritablement en droit d’escompter de ces différentes institutions qu’elles soient des interlocuteurs libres et objectifs du gouvernement dans ces conditions ? Qu’elles s’érigent en véritables institutions protectrices des droits et libertés des citoyens victimes de violations de leurs droits et libertés ? Pour ce qui est d’Elecam par exemple, « le Ministère chargé de l’administration territoriale assure la liaison permanente entre le Gouvernement et Elections Cameroon. Il reçoit notamment de ce dernier, copies des procès-verbaux de séances et des rapports d’activités ».

Le ministère de l’Administration du Territoire comme ce fut le cas avant 2006, constitue encore de nos jours un rouleau d’étranglement pour l’indépendance effective de l’organisme national censé indépendant de gestion des élections.

La récente loi de 2012 qui porte modification et abrogation des lois régissant ELECAM, lui suppriment le droit de publier les résultats provisoires des élections. Cette attribution est désormais la compétence du conseil constitutionnel. Sans aucune possibilité de rendre compte de son travail, ELECAM perd un pan de son indépendance par lequel il devait être jugé par l’opinion nationale et internationale.

Cette approche législative camerounaise tendant plus vers la soumission des membres des organes non juridictionnels de protection des droits et libertés au pouvoir exécutif va un tout petit peu en contradiction mais légère et pas des moindres, avec les règles internationales en la matière. D’abord, les Principes de Paris. Ceux-ci mettent une emphase sur la nécessité de la neutralité des institutions nationales des droits de l’Homme.

En suite la déclaration des Nations Unies du 9 décembre 1998 en son article 14 alinéa 3, met également à la charge de l’Etat, la responsabilité et l’obligation d’appuyer le développement des ’institutions nationales indépendantes, visant à assurer la promotion et la protection des droits et libertés fondamentaux sur leurs territoires.

Enfin, en contradiction avec la charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance qui promeut la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement.

L’indépendance des institutions non juridictionnelles est donc, une exigence sur laquelle insistent les textes internationaux protégeant les droits de l’homme. Une exigence à laquelle l’architecture institutionnelle de protection non juridictionnelle telle qu’aménagée législativement au Cameroun, ne souscrit pas véritablement.

Au regard de tout ce qui précède, l’on se rend bien compte que l’État a ainsi la pleine maîtrise des moyens d’action, et partant, de l’indépendance de ces organes.

Cette maîtrise des moyens d’action du cadre institutionnel par l’Etat rend celui-ci (cadre institutionnel) non actif et non matériellement actif dans la protection des libertés.

B – Un cadre institutionnel non actif, et tres peu connu.

Un organe de protection des droits des citoyens doit être en principe actif et prompt. Au Cameroun, c’est tout à fait contraire. Tous les organes non juridictionnels existants au Cameroun, sont presque inactifs, parce que ne sont pas véritablement autonomes et indépendants .Leurs agissements sont parfois manipulés et orientés.
Or la présence de ces organes dans l’espace public devrait les rendre accessibles. L’accessibilité regroupe non seulement la connaissance de ces institutions (rapport avec les médias pour la diffusion des activités) mais également l’accessibilité matérielle c’est à dire les promptes réactions lorsqu’il faille garantir un droit quelque part sur l’étendue du territoire.

En effet, comme tous les autres organismes privés offrant des services, les institutions non juridictionnelles efficaces devaient se faire connaitre de leur « clientèle » potentielle, ou usagers, car leur ’accès ne peut être possible que si les populations dans leur généralité connaissent leur existence et fonctions.

Les informations publiques relatives à ces organes et à leurs méthodes de travail ne sont même pas parfois accessibles à tous, sous forme écrite et orale dans les différentes langues officielles du pays. Toujours dans ce sens, on note également un faible taux de fréquentation des médias par ces institutions, or cela est également essentiel, car les moyens de communication des masses sont devenus aujourd’hui, le vecteur dominant du processus de formation des idées et d’expression des opinions libres. A cet égard, étant donné que les medias jouent un rôle plus important dans la formation et l’expression de l’opinion publique, ils (medias) peuvent être des partenaires privilégiés extrêmement précieux pour l’institution à laquelle il revient d’assurer la sensibilisation aux droits de l’homme.

A titre d’exemple en Bulgarie, les activités du médiateur sont portées à la connaissance du public grâce à des conférences de presse, des communications destinées aux médias (envoyées par courrier électronique à plus de 100 journalistes), des communiqués de presse, des interviews, des participations dans des programmes de la télévision ou de la radio et bien d’autres. Les informations concernant les réunions, les discussions et les tables rondes organisées par l’institution, tous les rapports et les avis du médiateur ainsi que ses recours à la Cour constitutionnelle sont publiés sur le site internet de l’institution et sont envoyés aux médias. Au Cameroun, ce n’est vraiment pas le cas. On voit très rarement ces institutions s’exprimer et prendre des positions sur des questions des droits de l’homme et des libertés dans l’espace public, toute chose qui fait une fois de plus preuve d’une manipulation politique.

De même, ces institutions de protection nationale qui sont censées garantir le libre exercice des droits à tous les citoyens couvrent démesurément le territoire. Leur absence se fait sentir partout sur l’étendue du territoire national.

2. Absence d’assise nationale et manque criant des ressources.

Les institutions nationales de protection non juridictionnelle des droits de l’homme et des libertés au Cameroun, couvrent partiellement l’étendue du territoire national (A). Ceci à cause d’un manque criant des ressources (B).

A- Absence d’assise nationale.

Le recours à une institution peut être rendu disponible grâce à son existence et accessibilité organique et matérielle. Au Cameroun nous sommes encore très loin du bout de tunnel et de la réalité. Certes, certaines d’entre, ces institutions des garanties non juridictionnelles comme par exemple ELECAM couvre l’étendue du territoire, pendant que d’autres par contre couvrent partiellement les régions (CNDHL).
D’autres enfin comme le CNC ont pour unique siège Yaoundé au niveau national.

C’est bel et bien ici l’occasion de déplorer une forte concentration et centralisation de ces institutions de protection des droits des tous les camerounais.
Or, en temps normal, ces institutions nationales devraient exister partout sur l’étendue du territoire national et être accessibles, notamment aux personnes vivant dans les zones rurales et qui sont vulnérables par nature.
Ces personnes sont les plus exposées à des atteintes ou au non-respect de leurs droits humains sont les femmes, membres des minorités ethniques, linguistiques, religieuses ou autres, populations indigènes, non - nationaux, handicapés, ainsi que les personnes économiquement défavorisées. Elles sont les plus souvent majoritairement dans les campagnes. La question de l’accès aux institutions est beaucoup plus particulièrement importante encore, et surtout lorsque ces institutions sont habilitées à recevoir des plaintes, comme c’est le cas pour la CNDHL et le CNC.

En bref une telle répartition institutionnelle inégalitaire, non connue et non accessible au public cible comme c’est ainsi le cas au Cameroun en ce moment, ne peut véritablement garantir aux citoyens l’exercice de leurs droits et libertés. Cette absence de couverture nationale le plus souvent se justifie par un autre problème qui est celui cette fois-là lié aux insuffisances en ressources financières et humaines.

B- Insuffisance des ressources financières et humaines.

A côté du manque d’assise nationale de certaines des institutions de protection, il est nécessaire ensuite d’évoquer cette fois-là, la carence cruelle en ressources financières et humaines dont souffrent également ces institutions. La Commission par exemple a en effet, hérité du problème de l’insuffisance des moyens en personnel du Comité National des Droits de l’Homme et des Libertés. Déjà à propos de cet ex comité, Mme Etongue Mayer faisait remarquer que : « malgré l’importance de la mission de protection (...), le Comité national des droits de l’Homme et des libertés continue de souffrir d’une insuffisance chronique en ressources humaines. »
Cette pensée a encore droit d’être citée de nos jours, d’autant plus que le problème de ressources humaines, se pose encore avec beaucoup plus d’acuité, au sein des différents sites d’institutions au Cameroun.

De plus, il faut également affirmer sans risque de se tromper qu’en plus de ce besoin pressant et visibles en ressources humaines, le personnel déjà déployé fait face à d’importantes et énormes carences en matériel et à des défis logistiques considérables. Les employés de ces institutions déplorent au quotidien de ne pas avoir à leur disposition de moyens suffisants de transport, afin de pouvoir satisfaire aux exigences en célérité et dévouement réclamées notamment dans les cas de figure de descentes urgentes et nécessaires.

Par ailleurs, il faut également relever que c’est l’État qui met à la disposition des organes chargés de protection des droits et libertés, les moyens matériels et financiers qu’il juge appropriés et nécessaires pour l’exercice de leur mission. L’absence d’autofinancement des organes de protection en dehors du budget de l’État rend davantage ces organes faibles, et ne leur permet pas de se doter des personnels qualifiés pour assurer plus efficacement leur mission de promotion et de protection des droits et libertés.

Les difficultés d’ordres juridiques et socio culturels quant à elles ne cessent à leur tour d’empêcher les membres de ces illustres institutions de jouer pleinement leur rôle de protection des droits de la personne humaine.

II. Les obstacles d’ordre juridique et socio culturels.

La limitation de la protection des droits par les institutions non juridictionnelles peut aussi découler du fait que ces institutions ne jouissent pas d’un réel pouvoir des sanctions de violations des droits de l’homme. Cette limitation peut être également le fait de la théorie des circonstances exceptionnelles.

La théorie des circonstances exceptionnelles qui consiste à admettre que dans certaines circonstances et conditions, de très graves urgences, politiques ou sociales, le pouvoir exécutif puisse s’affranchir du respect intégral et pointilleux de la loi dans sa généralité et des libertés fondamentales en particulier afin de préserver les services publics et les intérêts supérieurs de l’Etat. Autrement dit, les circonstances exceptionnelles sont une condition mais aussi une excuse pour appliquer un régime de légalité constituant ainsi un obstacle à la garantie des droits et des libertés ; il s’agit ainsi d’une limitation du droit par le droit (1).
Toujours dans la bande des entraves à l’exercice des droits des citoyens figurent en bonne place les obstacles d’ordre socio culturels (2).

1. Les obstacles d’ordre juridique.

Ces obstacles juridiques pouvant impacter négativement la garantie effective des droits de l’homme et des libertés par les institutions non juridictionnelles sont, comme ci –dessus évoquée les caractères non obligatoires des décisions desdits organes (A) et la limitation de leurs actions par le droit en période de crise (B).

A- Les caractères non obligatoires des décisions des organes non juridictionnels.

Les moyens et décisions par lesquels les AAI et l’institution nationale de promotion et de protection de l’homme camerounaises tels CNDHL, ELECAM et le CNC s’expriment sont très variés et moins efficaces.
Or le respect d’une sentence ou décision dépend de la force juridique qui lui est attachée. Au Cameroun les organes de protection non juridictionnelle sont pour la plupart dépourvus d’un réel pouvoir des décisions faisant office de sanctions.

Leurs pouvoirs vont majoritairement du simple avis au soit disant pouvoir de sanction pour les uns comme le Conseil National de la Communication. Au reste, leurs pouvoirs se résument pour l’essentiel au :
- pouvoir d’émettre des recommandations : tous ces organes ont chacun, dans son domaine de compétence un pouvoir de faire des propositions ou recommandations à l’Etat protecteur principal des droits de l’homme. Ces recommandation ne lient en rien les pouvoirs publics. Ils peuvent les prendre en compte ou non. Ce qui dépend de leur bon vouloir ;
- pouvoir de dresser des rapports annuels et infra annuels de leurs activités respectives ;
- pouvoir d’arbitrage et réconciliation en cas de violation des droits : le seul à l’avoir, en matière de droits et libertés, est la CNDHL qui peut procéder à la résolution des litiges non répressifs à la suite d’une requête déposée ;
- pouvoir de sanction : certaines AAI ont le pouvoir de faire respecter la réglementation qu’elles ont émise ou celle qui entre dans leur domaine de compétence. Ce pouvoir Peut-être direct, c’est le cas pour le CNC, ou indirect pour la CNDHL qui peut saisir le parquet. L’absence de la contrainte des décisions ont Souvent poussé les victimes de violations des droits de l’homme et des libertés à refuser de saisir ces organes à causes de ces faiblesses juridiques, parce que craignent la non-exécution des décisions de l’organe compètent saisi.

De même , en ce qui ce qui concerne la garantie des droits électoraux par Elecam, A.D. OLINGA a pu s’exprimer à ce sujet en ces termes, « d’emblée, il est possible dépenser qu’un tel droit manque de sérénité, d’objectivité et d’impartialité. Fruit d’une législation dramatisée ; il est suspect de partialité. Fruit d’une législation sous la pression d’intérêts électoraux immédiats ou à court terme, il est suspect de ne pas prendre en compte la diversité des situations et d’en favoriser trop visiblement l’une au détriment de l’autre ».

Ces faibles moyens et pouvoirs des décisions et d’expression dont disposent ces différents organes de garantie non juridictionnelle des droits de l’homme et des libertés publiques au Cameroun semblent à notre avis peu rentables, inefficaces et limités, étant donné qu’ils ne sont pas obligatoires et manquent d’une réelle force juridique et souvent même double limités en périodes exceptionnelles.

B- Les limites du fait de droit : en periode de circonstances exceptionnelles.

La liberté « est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire tout ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir », c’est ainsi que Montesquieu définit la liberté et ses limites dans son célèbre ouvrage : De l’esprit des lois (1748).
L’affirmation de Montesquieu semble paradoxale à première vue, mais apparaît ensuite comme évidente.
L’article 26 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 pose que la loi fixe les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.

Comme pour dire que les libertés fondamentales sont des situations garanties par le droit, et aux noms desquelles chacun est maître de soi-même et exerce comme il veut toutes ses facultés. Une liberté, c’est en réalité l’exercice sans entrave de telle faculté ou activité garantie par le droit, telle que par exemple la liberté de la presse ou la liberté de circulation.
Mais, il est cependant des situations apportant certaines limites aux garanties de ces droits et libertés fondamentaux. Il s’agit des circonstances exceptionnelles qui sont cette fois posées à l’article 9 de la même constitution, et aux noms desquelles l’Etat intervient pour fixer avec contraintes, des limites d’ordre juridique pour assurer l’ordre social.

Pour l’essentiel, les circonstances exceptionnelles sont des événements de guerre ou en tout cas de trouble grave à l’ordre public. Faut-il le rappeler, c’est à l’occasion de la première guerre mondiale que le Conseil d’Etat en France a dégagé cette théorie et c’est dans un arrêt.
En période de circonstance exceptionnelle, tous les types de dérogations au principe de légalité en général et des violations des droits fondamentaux en particulier peuvent être autorisés. C’est ainsi que l’administration peut enfreindre aux droits.

Dans des circonstances exceptionnelles, les exigences des garanties de l’intérêt général et des libertés ne sont pas les mêmes qu’en période normale et entrainent forcement des perturbations au niveau des droits et libertés des citoyens. Limitation qui n’est pas percue de la même façon que celle d’ordre sociologique et culturel.

2. Les limites d’ordre sociologiques et culturels.

Certaines populations au Cameroun développent une conception essentialiste et enfermée de la culture, faisant d’elle une réalité morte, incapable de s’ouvrir aux autres cultures et de s’adapter en conséquence. Cet ensemble de pesanteurs sociopolitiques qui ont un impact sur l’application de la norme des droits de l’homme sont une réalité en Afrique.

Le phénomène d’interdits est plus présent dans les sociétés traditionnelles que dans celles industrielles. Les habitudes y sont plus ou moins figées et ne correspondent nullement à la vision de l’interculturel proclamé par Sélim Abou selon laquelle « les modèles de culture s’ajustent aux données nouvelles et se modifient en conséquence ; ils se modifient à partir de ce qu’ils sont en s’enrichissant de combinaisons inattendues et partant des possibilités inédites ».

Les droits de l’homme étant l’expression d’une culture importée majoritairement d’Occident en 1990, apparaissent comme un leurre ; et butent de plein fouet cependant, d’une part, aux interdits culturels (B) d’autre part, à l’analphabétisme et illettrisme des populations (A).

A- L’illettrisme et l’analphabétisme des populations.

Si l’exercice des droits de l’homme au Cameroun est plus facile pour les personnes intellectuelles.

Ce n’est pas le cas pour les personnes analphabètes ou de celles frappées d’illettrisme. Tandis que l’analphabétisme étant entendu « comme l’état d’une personne, d’une population analphabète, c’est-à-dire qui ne sait ni lire ni écrire, l’illettrisme pour sa part est l’état des personnes qui, ayant appris à lire et à écrire, en ont perdu complètement la pratique » .

Notre propos n’étant pas de faire le rapport entre ces deux notions, c’est l’impact que l’une ou l’autre, fait peser sur l’exercice des droits de l’homme qui nous intéresse. Il importe à cet égard de mentionner que dans certaines régions au Cameroun, dont le taux de scolarisation est encore faible, On y rencontre un nombre encore très élevé d’analphabètes. Ailleurs, dans les autres régions où ce phénomène a reculé, l’illettrisme reste présent.

Pourtant l’exercice d’un droit présente de réelles difficultés pour toutes les personnes se trouvant dans l’un ou l’autre de ces deux cas. Seuls les personnes lettrées ont accès à la connaissance, et donc aux droits de l’homme.

Le préambule de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens du 26 août 1789 ne dispose-t-il pas que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics (...) » ? C’est l’ignorance qui justifie le fait que des personnes lésées dans leur droit refusent d’intenter des recours et saisir les organes compétents pour rentrer dans leurs droits.

Quand un citoyen choisit délibérément la résignation lorsque son nom ne figure pas, sur une liste électorale, ou de saisir la CNDHL ou alors le CNC lors ses droits ont été violés, cela traduit une grosse ignorance des voies de recours prévues par la législation en vigueur. C’est vrai que cette ignorance n’est pas la seule caractéristique des personnes frappées d’illettrisme ou d’analphabétisme ; c’est aussi le fait de nombreux autres Camerounais qui parfois à causes des contraintes culturelles ne saisissent pas les organes de protection de protection des droits et libertés lors que leurs droits viennent à être bafoués.

B- Fort attachement des populations aux valeurs culturelles.

Le fort attachement à la culture par nos populations et surtout la culture africaine est un frein pour l’exercice de droit en général et des droits de l’homme en particulier. Le 28 juillet 1885, Jules Ferry faisait déjà observer aux parlementaires français que “la Déclaration des Droits de l’Homme n’avait pas été écrite pour les Noirs de l’Afrique Equatoriale”.
Symbole de la victoire de l’opprimé sur l’oppresseur, ce texte, adopté le 26 août 1789, permettait pourtant en son temps de nourrir de nombreux espoirs en matière de libération de tous les individus. Une déclaration condescende et méprisante hier, aujourd’hui trouve en réalité réponse. Les droits de l’homme sont aujourd’hui mal perçu par certains africains qui pensent qu’il s’agit d’une personne pérennisation de la culture occidentale, qui selon eux ne correspond pas à la celle africaine qui a ses réalités à part entière et entièrement à part.

Certes contenues dans les conventions internationales et régionales des droits de l’homme, les réalités culturelles ne sont pas en vérité les même partout dépar le monde. Cette relativisation culturelle pose un certain nombre de problèmes liés à la garantie universelle des droits de l’homme et plus particulièrement au Cameroun. Ces diversités culturelles et les droits de l’homme au Cameroun se situent souvent aux antipodes et influencent négativement la garantie de ceux-ci (droits de l’homme).

L’expérience vécue dans les sociétés traditionnelles montre en tout cas, que le choix culturel est dicté à partir du haut, suivant une hiérarchisation pyramidale . Au sommet se trouve le Lamido (pour ce qui est du grand nord Cameroun) puis au milieu ses démembrements constitués des louanes et Djaoros placés à la tête des villages et des quartiers ; enfin les chefs des familles. Une fois la décision prise au sommet, elle est répercutée à chaque échelon.

Toute contestation ou tout comportement contrairement est alors mal perçue et peut entraîner des représailles, voire une exclusion avec toute la famille de son auteur. A côté de la peur du Lamido, les populations de ces sociétés traditionnelles du nord ont la très forte conviction que tout pouvoir vient de Dieu. Donc, le pouvoir du Lamido venant de Dieu, toute désobéissance à sa personne vaut désobéissance à Dieu.
Ses ordres, demandes et autres orientations ont en conséquence un fondement divin insusceptible d’être remis en cause par quoi que ce soit, même pas par le droit moderne en général, ni par les droits de l’homme proprement dits.

Voilà comment ces réalités culturelles des populations du grand nord Cameroun s’opposent farouchement à l’exercice des droits de l’homme. Toujours dans ces sociétés, la femme est considérée, comme un être inferieur et selon le cas n’a droit à l’héritage, ni à l’éducation, aux commandements traditionnels etc…

De même pour ce qui est d’expression de leurs droits politiques, les femmes dont on sait qu’elles forment l’électorat sont entièrement soumises à leur époux. N’ayant généralement pas d’actes de mariage, elles ne sont liées par aucun contrat de mariage formel, la séparation est généralement décidée de façon unilatérale par le mari en cas d’insoumission. Il s’en suit que leur volonté, leur choix politique ou réclamation quelconque se confondent avec ceux du mari et les lient amèrement.

L’obéissance et la soumission dépassent de ce point de vue, les limites de l’acceptable et se transforment en une sorte de tyrannie qui refuse de prendre en compte la volonté de chacun. Une telle conception ne pourra en aucun cas garantir l’exercice des droits de l’homme et des libertés.

La limitation de protection des droits et libertés donc s’observe au plan juridico-institutionnel, ainsi qu’au plan socioculturel.
S’agissant justement des limites en ce qui concerne le cadre institutionnel, il faut dire qu’elles sont dues au fait que ces institutions de garantie non juridictionnelle des droits et libertés ne sont pas véritablement indépendantes et à cet effet sont non actives et souvent soumises et inféodées au pouvoir exécutif.
Pour ce qui est des limites juridiques et socioculturelles, l’on retiendra que la protection des droits de l’homme et des libertés est souvent perturbée en périodes exceptionnelles dite des « circonstances exceptionnelles ». La même protection est également confrontée aux résistances culturelles ; auxquelles il faut ajouter l’analphabétisme et l’illettrisme de nos populations.

Que faudra-t-il faire pour mieux améliorer cette protection non juridictionnelle des droits de l’homme et des libertés publiques victime d’une crise ?

Sources :
- Le dictionnaire encyclopédique Le petit Larousse illustré, 1993, 64p. ;
- Tala Wakeu (A), L’abstentionnisme électoral au Cameroun à l’ère du retour au multipartisme Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012,disponible sur le site.
- John Richard Keudjeu de Keudjeu « l’effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone », inédit.
- Kondolo (O.), le système congolais de Promotion et de protection des droits de l’homme : contribution pour une mise en œuvre d’un mécanisme institutionnel spécialisé ; mémoire en droit public Université de Nantes 2011 ,278 pages.
- Mbassi Bedjoko, le processus électoral au Cameroun, Université Catholique d’Afrique Centrale, 2004.
- Jean Carbonnier, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit », article cité, p. 3 ; Id., Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris : LGDJ, 9e éd., 1998, p. 133.
- Paul Amselek, Perspectives critiques d’une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, Paris : LGDJ, 1964, p. 340.
- Antoine Jeammaud et Evelyne Serverin, « Évaluer le droit », Recueil Dalloz, 1992, chronique, p. 264. L’ouvrage collectif dirigé par C. Thibierge est particulièrement révélateur de cet intérêt pour la destinée des normes, leur réception, leur impact sur leur environnement et leurs destinataires : Catherine Thibierge (dir.), La force normative. Naissance d’un concept, Paris : LGDJ, Bruxelles : Bruylant, 2009.
- La Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code Electoral, modifiée et complétée par la loi n°2012/017 du 21 décembre 2012.
- Foulquier (N) ; « La théorie des circonstances exceptionnelles »Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, pp 1- 6.
- La charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance adoptée par la huitième session. ordinaire de la conférence tenue le 30 janvier 2007 à Addis Abeba (Ethiopie).
- Zbigniew Dime Li Nlep (P), La garantie des droits fondamentaux au Cameroun, DEA en Droit International des Droits de l’Homme, Université Abomey-Calavi, Bénin, 2004 disponible.
- Lacroix (C) (Prépa Dalloz), Protection des droits et libertés fondamentaux,Tome I, Edition Dalloz 201p 91.
- Patrick Jouvet Lowe Gnintedem, Les ONG et la protection de l’environnement en Afrique Centrale,Université de Limoges - Maitrise en droit et carrières judiciaires 2003,p 24-28.

Principales abréviations :
CNC : Conseil National de la Communication ;
CNDHL : Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés ;
CONAC : Commission Nationale Anticorruption ;
ELECAM : Elections Cameroons ;
INDH : Institutions Nationales des Droits de l’Homme ;
ONG : Organisation Non Gouvernementale ;
UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance.

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