Lettre de licenciement faisant référence à l’action prud’homale d’un salarié = nullité du licenciement.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Zuzanna Klimek, Juriste.

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Explorer : # nullité du licenciement # action prud'homale # liberté fondamentale

Dans un arrêt du 28 septembre 2022 (n° 21-11.101) de la Cour de cassation, la chambre sociale affirme que la seule référence, dans la lettre de licenciement, à la procédure contentieuse engagée par un salarié contre son employeur est constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice, rendant le licenciement nul.

-

1. Faits et procédure.

M. X a été engagé à compter du 11 octobre 2010 par l’établissement public industriel et commercial Régie des transports métropolitains (RTM) en qualité de chef de projets, statut agent de maîtrise.

Le 7 juillet 2015, ce dernier saisit la juridiction prud’homale de demandes pour obtenir le statut de cadre et le paiement de sommes à titre de rappels de prime d’ancienneté et de salaire.

Le 28 décembre 2015, il a été licencié pour faute grave.

La lettre de licenciement s’appuie sur l’action en justice intentée par le salarié, et l’obtention de pièces frauduleuses en vue du litige.

Dans un arrêt du 23 octobre 2020, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence [1] a débouté le salarié de sa demande.

Ce dernier s’est pourvu en cassation.

2. Moyens.

Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande en nullité du licenciement et, en conséquence, de ses demandes en réintégration sous astreinte et paiement de rappels de salaire pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration, alors :
- « qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur ;
- que la cour d’appel qui, bien qu’elle ait constaté que c’était à l’occasion de l’action en justice du salarié que la RTM avait constaté la production sans autorisation de bulletins de salaire de cinq de ses salariés, constitutive selon elle de manquements de l’intimé à ses obligations contractuelles, et l’avait licencié pour avoir usé de manœuvres frauduleuses et déloyales pour obtenir lesdits bulletins ensuite utilisés dans le cadre de l’action en justice intentée contre l’employeur, et
- que le licenciement notifié pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où les manœuvres ainsi imputées au salarié n’étaient ni démontrées, ni même décrites, a néanmoins, pour débouter le salarié de sa demande en nullité du licenciement, en réintégration sous astreinte et en paiement de rappels de salaire, énoncé que les motifs du licenciement étaient suffisamment explicites pour que les circonstances de la découverte des bulletins de salaire litigieux et donc d’une fraude induite par l’employeur ne soient pas confondues avec eux, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait au contraire que le licenciement était en lien avec l’exercice par le salarié de son droit d’ester en justice et était nul, violant ainsi l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
 ».

3. Réponse de la Cour.

Au visa de l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la Cour de cassation affirme que qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur.

Pour débouter le salarié de ses demandes formées au titre de la nullité du licenciement, l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence retient qu’il est manifeste que c’est à l’occasion de l’action en justice de l’intéressé que l’employeur a constaté notamment la production sans autorisation de bulletins de salaire de cinq de ses salariés, constitutive selon lui de manquements du salarié à ses obligations contractuelles.

Il ajoute que les motifs du licenciement sont suffisamment explicites pour que les circonstances de la découverte des bulletins de salaire litigieux - et donc d’une fraude induite par l’employeur - ne soient pas confondues avec eux.

En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement reprochait au salarié d’avoir produit dans le cadre de l’instance prud’homale les bulletins de salaires de cinq de ses collègues obtenus frauduleusement, la Cour d’appel d’Aix en Provence, qui devait en déduire que la seule référence dans la lettre de rupture à la procédure contentieuse engagée par le salarié contre son employeur était constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice, a violé les textes susvisés.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence.

4. Analyse.

La nullité des licenciements pour cause d’une action en justice du salarié, est explicitement affirmée depuis plusieurs années, témoignant de l’importance du droit d’ester en justice du salarié.

Ainsi, l’arrêt de la Cour de Cassation du 3 février 2016 (n°14-18.600) marque le début de la jurisprudence très protectrice de l’action en justice des salariés.

En l’espèce, une salariée avait saisi le Conseil de Prud’hommes en vue de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Peu de temps après, cette dernière est licenciée pour faute grave. La lettre de licenciement de son employeur mentionne de manière explicite le recours à la justice de la salariée, ce qui a suffit à admettre la nullité de son licenciement.

Ainsi, les juges de fond semblent de plus en plus protecteurs des libertés d’action des salariés lorsqu’ils agissent en justice.

Cela vient expliquer la dénomination de ce motif comme étant un « grief contaminant » en qu’il peut faire obstacle au prononcé sur les autres moyens.

En effet, la mention de la liberté fondamentale d’agir en justice, vient influencer sur la charge de la preuve d’un licenciement potentiellement nul, en ce qu’elle crée une présomption de nullité dès lors qu’est mentionnée l’action en justice du salarié dans la lettre de licenciement.

Dans l’arrêt du 28 septembre 2022, on observe un renforcement de la jurisprudence du grief contaminant.

Si précédemment « la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié était constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice, entraîne la seule nullité de la rupture » [2], il n’était pas fait mention de l’applicabilité de cette règle au cas d’une preuve frauduleuse du salarié.

La Cour de Cassation témoigne d’une grande fermeté dans sa décision mentionnant que l’unique « référence » à l’action prud’homale représente ici le fondement de la nullité de la rupture.

La simple référence à l’action prud’homale démontre que l’action en justice du salarié a contribué à la volonté de rompre la relation de travail.

Sources.

- C. cass. 28 sept. 2022, n°21-11.101
- Arrêt attaqué : CA Aix-en-Provence, 23/10/2020, RG n° 17-17.989
- Cour de Cassation le 3 février 2016 (n°14-18.600)
- Cour de Cassation, chambre sociale, 21/11/2018, n° 17-11.122
- Licenciement suite à une action en justice : réintégration d’une journaliste
- Tout licenciement prononcé en rétorsion à une action en justice aux prud’hommes est nul (C. cass. 13 février 2019, n°17-23790) [3]

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1CA Aix-en-Provence, 23/10/2020, n°17-17.989.

[2Cass, soc, 21/11/2018, n°17-11.122.

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