Le droit d’agir en justice est un des principes généraux du droit, il est l’expression d’une liberté fondamentale à laquelle il ne saurait être dérogé.
C’est la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui d’abord jugea que le licenciement manifestement intervenu en raison de l’action en justice en cours intentée par le salarié, était entaché de nullité [1].
Puis, la Cour de cassation (3è chambre civile) rattacha ce droit d’agir en justice aux libertés et droits fondamentaux protégés par l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) [2].
Puis, la Cour de cassation (chambre sociale) prit le relais, en jugeant qu’un licenciement lié à l’exercice d’une action en justice est atteint de nullité, parce que la rupture porte atteinte au droit que garantit l’article 6§1 de la CESDH, et en jugeant dans l’arrêt du 09/10/13 que : « (…) la cassation de l’arrêt, en ce qu’il rejette la demande d’annulation du licenciement, entraîne par voie de conséquence nécessaire la cassation des dispositions disant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, allouant diverses sommes en conséquence de cette rupture et ordonnant le remboursement des indemnités de chômage » [3].
Dans une affaire du 03/02/2016, la Cour de cassation jugea « qu’ayant retenu, hors toute dénaturation, que l’employeur reprochait au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail, la cour d’appel, qui a ainsi implicitement mais nécessairement écarté la preuve d’un abus ou d’une mauvaise foi de ce dernier dans l’exercice de son droit d’ester en justice, en a exactement déduit que ce grief, constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement » [4].
Même raisonnement dans un arrêt du 16/03/16 [5].
Dans une affaire du 08/02/17, la Cour de cassation releva que les juges du fond avaient constaté qu’il était clairement reproché au salarié son action devant le Conseil de prud’hommes, aux fins de voir prononcée par le juge la résiliation judiciaire de son contrat de travail, et elle jugea que « ce grief, s’il figure en tant que tel dans la lettre de licenciement, est constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale et entraîne à lui seul la nullité du licenciement », reprochant à la Cour d’appel d’avoir débouté le salarié de sa demande en nullité du licenciement, au motif d’après la Cour d’appel que, selon la lettre de licenciement, la décision de rupture du contrat de travail ne reposait pas sur le seul motif qu’il a pris l’initiative de saisir le conseil de prud’hommes [6].
La Cour de cassation tient le même raisonnement, même si la demande du salarié devant les juridictions était non fondée : son licenciement est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié [7].
De même, pour la Cour de cassation, lorsque le salarié n’aura fait qu’envisager d’intenter une procédure contentieuse.
Dans un arrêt du 21 novembre 2018, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’appel qui avait prononcé la nullité du licenciement, et ordonné la réintégration du salarié dans un emploi équivalent. Selon la Cour de cassation, « la lettre de licenciement reprochait notamment au salarié d’avoir menacé l’employeur d’entamer des procédures à l’encontre de la société, la cour d’appel en a exactement déduit que la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié était constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice entraînant à elle seule la nullité de la rupture » [8].
En conclusion : lorsque la lettre de licenciement reproche au salarié d’avoir intenté (ou même envisagé) un recours devant une juridiction prud’homale, son licenciement doit être annulé comme portant atteinte à une liberté fondamentale d’agir en justice (art. 6§1 CESDH), les juges et conseillers devant conclure à la nullité du licenciement quand bien même la lettre de rupture ferait état d’autres motifs susceptibles de constituer une cause réelle et sérieuse.
Aucune différence n’est à faire entre le salarié qui a effectivement saisi la juridiction prud’homale avant d’être licencié, et celui qui n’aurait exprimé qu’une volonté de la saisir. Le grief contre l’intention est tout autant sanctionné que le grief contre l’action.
Par ailleurs, si est nul, comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il aurait pu bénéficier pendant cette période.
Une juridiction ne peut donc ordonner que soit déduit du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration du salarié dans l’entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement (indemnités de chômage, par exemple) [9].