La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun.
Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ».
Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France ([GC], nos 21279/02 et 36448/02, 22 octobre 2007, CEDH 2007-XI).
De plus, outre la substance des idées et informations exprimées, l’article 10 protège aussi leur mode d’expression (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 48, Recueil 1997-I).
Il n’en demeure pas moins qu’il convient de tenir compte de l’équilibre à ménager entre les divers intérêts en jeu.
La Cour européenne des droits de l’homme estime que les membres d’un syndicat doivent pouvoir exprimer devant l’employeur leurs revendications tendant à améliorer la situation des travailleurs au sein de leur entreprise.
À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme note que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a souligné dans son avis consultatif OC-5/85193 que la liberté d’expression était « une condition sine qua non pour le développement (…) des syndicats ».
Un syndicat n’ayant pas la possibilité d’exprimer librement ses idées dans ce cadre se verrait en effet privé d’un moyen d’action essentiel.
Dès lors, en vue d’assurer le caractère réel et effectif des droits syndicaux, les autorités nationales doivent veiller à ce que des sanctions disproportionnées ne dissuadent pas les représentants syndicaux de chercher à exprimer et défendre les intérêts de leurs membres.
L’expression syndicale peut prendre la forme de bulletins d’information, de brochures, de publications et d’autres documents du syndicat, dont la distribution par les représentants des travailleurs agissant au nom d’un syndicat doit dès lors être autorisée par la direction, comme l’énonce la Conférence générale de l’OIT dans sa Recommandation no 143 du 23 juin 1971.
En l’espèce (Palomo Sánchez et autres c. Espagne), les juges espagnols ont été appelés à mettre en balance le droit à la liberté d’expression de syndicalistes, garanti par l’article 10 de la Convention, et le droit à l’honneur et à la dignité de l’employeur dans le contexte d’une relation de travail.
En effet, l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression illimitée et la protection de la réputation ou des droits d’autrui, en l’espèce celle des personnes visées dans les dessin et textes en cause, constitue un but légitime permettant de restreindre cette liberté d’expression.
Ainsi la liberté d’expression des syndicalistes ne peut justifier l’utilisation de caricatures et d’expressions offensantes, même dans le cadre de la relation de travail. De plus, ces dernières ne constituaient pas une réaction instantanée et irréfléchie dans le cadre d’un échange oral rapide et spontané, ce qui est le propre des excès verbaux. Il s’agissait au contraire d’assertions écrites, publiées en toute lucidité et affichées publiquement au sein de l’entreprise.
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle que pour pouvoir prospérer, les relations de travail doivent se fonder sur la confiance entre les personnes.
Même si la bonne foi devant être respectée dans le cadre d’un contrat de travail n’implique pas un devoir de loyauté absolue envers l’employeur ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail (voir, mutatis mutandis, Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, §§ 51 et 59, série A no 323).
De plus, une atteinte à l’honorabilité des personnes faite par voie d’expressions grossièrement insultantes ou injurieuses au sein du milieu professionnel revêt, en raison de ses effets perturbateurs, une gravité particulière, susceptible de justifier des sanctions sévères.
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), 12 septembre 2011, Palomo Sanchez et autres c. Espagne