Nuisances sonores : un juge ordonne la cessation sous astreinte des nuisances pendant la durée de l’expertise judiciaire.

Par Christophe Sanson, Avocat.

771 lectures 1re Parution: 4.97  /5

Explorer : # nuisances sonores # expertise judiciaire # astreinte # référé judiciaire

Par une ordonnance du 1er juin 2023, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Montpellier a pris la décision rare de faire une application simultanée des articles 145 et 835 du Code de procédure civile à un lieu diffusant des sons amplifiés, afin d’ordonner la cessation des nuisances sonores, sous astreinte, dans l’attente de la réalisation complète de l’expertise ordonnée.

-

Un camping organisant des activités de concerts et d’animation musicales l’été générait des nuisances sonores pour ses voisins.

Propriétaires d’une maison dont la façade se situait à moins de 30 mètres du camping, un couple de riverains avait saisi le juge des référés du Tribunal judiciaire de Montpellier pour solliciter la réalisation d’une expertise acoustique ainsi que la condamnation du camping à faire cesser les nuisances sonores sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Le juge a fait droit à la demande des voisins concernant la réalisation de l’expertise et, de manière plus surprenante, il a condamné la société exploitant le camping à faire cesser les nuisances sonores sous astreinte durant cette expertise.

I. Présentation de l’affaire.

A. Les faits.

Monsieur et Madame X., propriétaires et occupants d’une maison dans l’Hérault, se plaignaient de bruits en provenance du camping exploitée par la SAS Y. à proximité immédiate.

Les demandeurs faisaient état d’importantes nuisances sonores liées à la diffusion de sons amplifiés du fait, notamment, de l’organisation régulière de soirées musicales à thèmes, de concerts ou encore de quizz musicaux.

Ces nuisances sonores étaient essentiellement présentes durant la saison estivale, de juin à septembre.

D’une forte intensité, elles pouvaient se manifester en période diurne, mais également en période nocturne.

La réalité et l’intensité de ces nuisances avaient été objectivées par un rapport de mesures acoustiques établi par un Bureau d’Etudes Techniques (BET) spécialisé qui avait conclu au fait que « les niveaux d’émergences [étaient] très supérieurs aux tolérances réglementaires ».

Ainsi, l’intensité des nuisances était telle qu’elle empêchait les demandeurs de jouir sereinement de leur bien immobilier et dégradait leur santé, notamment par des troubles du sommeil.

B. Procédure.

Les époux X. avaient tout d’abord entrepris des démarches amiables auprès de la SAS Y., laquelle avait reconnu l’aggravation des nuisances sonores due à l’organisation d’évènements musicaux au sein du camping.

Face à l’inefficacité de ces démarches, les époux X. avaient mis en demeure la SAS Y. de cesser les nuisances sonores et de respecter la législation applicable. Ils avaient également fait part de cette situation au Maire et au Préfet.

C’est à la suite de ces démarches que les époux X. avaient fait appel à un BET spécialiste de l’acoustique, afin de mesurer les valeurs d’émergences (différence entre le bruit ambiant comprenant les nuisances sonores générées par le camping et le bruit résiduel représentatif de l’ambiance sonore en l’absence de ce bruit particulier à l’origine des nuisances sonores).

Ces mesures avaient mis en évidence des dépassements des émergences réglementaires tolérées.

Afin de faire établir la réalité des nuisances par un expert judiciaire, les époux X. avaient sollicité une expertise en référé au visa de l’article 145 du Code de procédure civile devant le Président du Tribunal judiciaire de Montpellier.

A cette occasion, ils avaient également sollicité du juge des référés qu’il condamne l’exploitant du camping à la cessation des nuisances sonores sous astreinte, dans l’attente de la réalisation complète de l’expertise, au visa de l’article 835 du code de procédure civile (relatif à la cessation du trouble manifestement illicite).

C. Décision du juge.

Par une ordonnance de référé rendue le 1er juin 2023, le Tribunal judiciaire de Montpellier a fait droit aux demandes de Monsieur et Madame X en ordonnant la réalisation d’une mesure d’expertise judiciaire aux frais avancés des époux X.

Le juge des référés a également condamné la SAS Y. à « cesser toutes les nuisances sonores et acoustiques dépassant des niveaux d’émergences de 7 db(A) et 6 db(A) dans le délai d’une semaine à compter de la signification de la présente ordonnance. » sous astreinte de 100 € par jour de retard pendant une durée de 3 mois.

Enfin, le juge a condamné la SAS Y. à payer aux époux X. une somme provisionnelle de 2 000 euros au titre du préjudice moral subi mais a rejeté leur demande formée au titre du préjudice financier.

II. Observations.

Si la décision rendue par le Tribunal judiciaire de Montpellier n’est pas surprenante concernant l’octroi d’une mesure d’expertise, elle est toutefois exceptionnelle s’agissant de la condamnation à faire cesser les nuisances sonores sous astreinte au stade du référé.

L’article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile dispose :

« Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite »

Le juge des référés peut sur ce fondement, ordonner la cessation de nuisances sonores avant ou indépendamment même de l’octroi d’une expertise judiciaire, s’il estime qu’il existe un trouble manifestement illicite prouvé.

Dans cette ordonnance, le juge des référés s’est notamment appuyé sur le rapport du BET missionné par les époux X. lequel rapport faisait état de dépassements des émergences réglementairement tolérées, de jour comme de nuit.

La décision du juge des référés a également été motivée par le comportement de la SAS Y. qui semblait n’avoir tenu aucun compte des multiples démarches amiables des époux X. ainsi que des diverses interventions des services de police.

Si cette décision protectrice des victimes de nuisances sonores paraît relever du bon sens, elle pose toutefois des difficultés quant à son application concrète tant pour l’exploitant (A), les plaignants (B) que pour l’expert judiciaire (C).

A. La difficulté pour l’exploitant de faire cesser les nuisances sonores, en l’absence d’étude réparatoire.

Habituellement la cessation (définitive) des nuisances sonores est ordonnée par le juge du fond saisi par les demandeurs à l’issue de l’expertise.

Elle se matérialise par la mise en œuvre de solutions techniques préconisées par une étude acoustique réparatoire réalisée à l’initiative de la partie la plus diligente et validée par l’expert.

Si la cessation des nuisances sonores est ordonnée dès la procédure de référé, pendant la durée de l’expertise, se pose alors la question de savoir quelles sont les solutions techniques qui peuvent être mises en œuvre pour faire cesser les nuisances sonores autrement que l’arrêt de l’activité en cause.

L’une des solutions qui peut être envisagée est l’installation d’un limiteur de pression acoustique (LPA) réglé en fonction des limites fixées par le BET ayant réalisée l’Etude (obligatoire) de l’Impact des Nuisances Sonores (EINS).

Cette limite est prévue par la réglementation concernant les lieux à diffusion de sons amplifiés.

Les articles R571-25 et R571-26 du Code de l’environnement imposent à l’exploitant d’une telle activité de s’assurer que les émissions sonores :

« qui s’exercent dans un lieu clos n’engendrent pas dans les locaux à usage d’habitation ou destinés à un usage impliquant la présence prolongée de personnes, un dépassement des valeurs limites de l’émergence spectrale de 3 décibels dans les octaves normalisées de 125 hertz à 4 000 hertz ainsi qu’un dépassement de l’émergence globale de 3 décibels pondérés A ».

La note d’information interministérielle n° DGS/EA2/DGPR/2023/188 du 5 décembre 2023 relative à la réglementation sur la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés définit un lieu clos comme un « lieu physiquement fermé par des parois et un toit », elle précise qu’un chapiteau par exemple doit être considéré comme un lieu clos.

Dans le cas présent, le BET sollicité par les demandeurs avait appliqué un terme correctif en prenant en compte les durées d’apparition des nuisances sonores bien que le texte réglementaire ne prévoit pas un tel ajustement.

La limite retenue par l’acousticien et le juge des référés était finalement de 6 dB(A) en période nocturne et de 7 dB(A) en période diurne.

Par ailleurs, l’article R. 571-26 du code de l’environnement précise que la réglementation s’applique aux « bruits générés par les activités impliquant la diffusion de sons amplifiés » ce qui suggère que tous les bruits accompagnants la diffusion de sons amplifiés doivent être pris en compte dans les mesures.

Or, un limiteur de pression acoustique ne peut agir (en intensité et en bandes de fréquences) que sur les sons amplifiés et non sur les autres bruits associés tels que les cris du public. Cette solution technique ne garantit donc pas la totale disparition des nuisances sonores.

B. La difficulté pour la victime de prouver la poursuite des nuisances sonores.

De la même manière, les victimes de nuisances sonores font face à la difficulté de prouver la poursuite des nuisances sonores.
Habituellement, à l’issue de l’expertise et de la procédure au fond, l’exploitant qui génère des nuisances sonores est contraint de mettre en place les solutions techniques préconisées par l’étude réparatoire à défaut de quoi l’astreinte pourra être liquidée.

Dans une telle situation, c’est à l’exploitant de prouver qu’il a bien mis en place toutes les mesures préconisées par l’expert afin de faire cesser les nuisances sonores.

A l’inverse, dans le cas présent, la charge de la preuve incombe aux victimes des nuisances sonores qui doivent démontrer le dépassement des émergences réglementairement tolérées pour que l’astreinte soit liquidée.

Pour constituer une telle preuve, les victimes peuvent missionner un Commissaire (ou huissier) de justice afin de procéder à des constatations à l’oreille.

Cette solution est la plus économique, mais elle présente le défaut de la fiabilité car un calcul d’émergence nécessite des compétences spécifiques et un matériel adéquat dont ne dispose pas un commissaire de justice.

La solution la plus adéquate consiste à faire appel à un BET spécialisé en acoustique afin de réaliser des mesurages précis.
Il est nécessaire que les victimes démontrent des dépassements tout au long de la période concernée, 3 mois dans le cas présent (correspondant ici à la pleine saison pour le camping).

Toutefois, une incertitude persiste sur le fait de savoir s’il est nécessaire de prouver chaque dépassement ou si démontrer une seule fois que l’établissement ne fonctionne pas conformément à la réglementation peut suffire à obtenir la liquidation de l’astreinte.

En tout état de cause, si l’exploitant ne respecte pas sa condamnation à faire cesser les nuisances sonores, les frais liés aux constatations des dépassements devront in fine incomber à l’exploitant et non aux victimes.

C. En cas de cessation de nuisances sonores : l’impossibilité pour l’expert judiciaire de réaliser des mesures inopinées.

Dans l’hypothèse où la cessation des nuisances sonores ordonnée par le juge serait respectée, le bruit excessif disparaîtrait et l’expert serait bien en peine de constater, à la faveur de mesures inopinées, des dépassements d’émergences et ainsi la gêne alléguée par les demandeurs.

Il lui resterait la possibilité bien entendu de tester l’installation de diffusion de sons amplifiés, lors d’une réunion contradictoire et de conclure sur son éventuelle non-conformité réglementaire, en l’absence de travaux. Cependant, le juge du fond saisi par la suite pourrait estimer que les nuisances réelles n’ont jamais été constatées par l’expert et débouter les demandeurs.

Conclusion

Par cette ordonnance du 1er juin 2023, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Montpellier a pris la décision rare de faire une application simultanée des articles 145 et 835 du Code de procédure civile à un lieu diffusant des sons amplifiés, afin d’ordonner la cessation des nuisances sonores, sous astreinte, dans l’attente de la réalisation complète de l’expertise ordonnée.

Cette décision exceptionnelle pose des questions pratiques quant à son application concrète tant du point de vue des solutions qui peuvent être mis en œuvre pour faire cesser les nuisances sonores, de la charge de la preuve, que des visites inopinées de l’expert qui n’ont plus lieu d’être dès lors que les nuisances cessent.

Elle s’avère néanmoins, et sur le principe, très protectrice des victimes de nuisances sonores, en imposant la cessation des troubles avant même que ne soit réalisée l’indispensable expertise judiciaire.

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine.

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1 vote

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs