I. Présentation de l’affaire.
1° Faits.
Certains copropriétaires occupants d’un immeuble parisien s’estimaient victimes de nuisances sonores du fait de l’exploitation par la société X. d’un complexe sportif comprenant une vague de surf statique sur un terrain jouxtant leur immeuble.
En 2021, le syndicat des copropriétaires de cet immeuble avait fait procéder à une étude acoustique qui concluait à l’existence de nuisances sonores en provenance de la machine.
La société exploitante avait fait réaliser divers travaux, de sa propre initiative, de manière à faire cesser ou du moins à limiter les nuisances sonores provenant de son activité.
Début 2022, un second rapport acoustique établi par un bureau d’études techniques à la demande du syndicat des copropriétaires laissait apparaître quelques émergences non réglementaires sur certaines bandes d’octaves.
2° Procédure.
Sur cette base, le syndicat des copropriétaires a assigné le 20 mai 2022 la société X. devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris afin que soit ordonnée une expertise judiciaire sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 28 mars 2023, le Président du Tribunal judiciaire de Paris avait fait droit aux prétentions du demandeur en désignant un acousticien, afin que soit réalisée une expertise contradictoire entre le syndicat des copropriétaires et la société exploitante.
Le dépôt du rapport était initialement prévu pour le 1ᵉʳ janvier 2024 mais le délai imparti avait été prolongé une première fois jusqu’au 30 avril 2024 pour finalement être arrêté au mois de mars 2025.
Or, le 18 octobre 2024, certains habitants de l’immeuble avaient saisi le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris aux fins que la procédure d’expertise leur soit déclarée commune et opposable.
3° Décision du juge.
Le président du Tribunal judiciaire de Paris statuant en référé a rejeté la demande des requérants en considérant qu’ils « avaient fait preuve d’un manque de diligence qui [aurait] nécessairement pour conséquence de repousser le dépôt final du rapport ».
C’est la raison pour laquelle il les a déboutés de leur demande et les a condamnés à payer 1 000 euros à la société défenderesse au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
II. Observations.
Cette décision est intéressante pour deux raisons.
Tout d’abord le juge des référés précise qu’une demande tendant à voir prononcer une expertise commune et opposable à une partie intéressée au litige, n’est pas soumise à l’obligation de tentative préalable de conciliation (1).
Ensuite, cette décision souligne le pouvoir du juge des référés de refuser une telle demande quand bien même les intérêts des demandeurs seraient en lien avec l’expertise, dès lors que cela conduirait à rallonger excessivement la durée de l’expertise (2).
1° Une demande non soumise à l’obligation de tentative préalable de conciliation.
En matière de trouble anormal de voisinage notamment, les parties doivent, à peine d’irrecevabilité de leur demande, procéder à une tentative de conciliation avant toute procédure judiciaire, l’idée étant de ne pas engorger les juridictions avec des affaires qui auraient pu être réglées amiablement.
Ainsi, l’article 750-1 du Code de procédure civile dispose :
« En application de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R211-3-4 et R211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage ».
La procédure de référé n’échappe pas à cette règle, lorsqu’elle n’est pas relative à une situation d’urgence.
Ainsi, l’action en référé ayant pour objectif de voir ordonner une mesure d’expertise afin d’objectiver de potentielles nuisances sonores correspond à une action relative à un trouble anormal de voisinage et doit donc, en principe, être précédée d’une tentative préalable de conciliation.
Toutefois, les demandeurs ici ne souhaitaient pas que le juge ordonne une expertise, puisqu’elle était déjà en cours, ils souhaitaient simplement pouvoir la rejoindre et qu’elle leur soit ainsi opposable.
Or, la société X. n’avait jamais eu de contact direct avec eux étant donné que le litige était géré par le syndicat des copropriétaires représenté par son syndic en exercice.
En conséquence, il n’y avait jamais eu de tentative de conciliation entre la société exploitante et les copropriétaires et occupants de l’immeuble requérants.
C’est sur la base de cet argument que la défenderesse s’était opposée aux demandeurs en arguant du fait qu’ils n’avaient fait aucune tentative de conciliation préalable avec elle.
Toutefois, le juge n’a pas retenu ce raisonnement en considérant que la demande des requérants consistait uniquement à ce que l’expertise déjà ordonnée soit déclarée commune et qu’elle leur soit rendue opposable.
Ainsi, le juge des référés a estimé que cette demande ne correspondait « ni au paiement d’une somme excédant la somme de 5 000 € ni à une des actions mentionnées aux articles R211-3-4 et R211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ni à un trouble anormal de voisinage » et que par conséquent elle n’était pas soumise à l’obligation de tentative préalable de conciliation.
2° La nécessité de ne pas rallonger excessivement la durée de l’expertise.
Le second apport de cette ordonnance est relatif au rejet de la demande des requérants visant à ce que l’expertise leur soit rendue commune et opposable.
Leur objectif était de pouvoir se prévaloir du rapport d’expertise devant le juge du fond de manière à ce que leurs préjudices puissent être réparés tout en évitant le risque que le syndic soit considéré comme n’ayant pas qualité à agir au fond.
En principe, face à des nuisances sonores générées par un voisin, un syndicat de copropriétaires n’a qualité à agir que dans le cadre d’un litige véritablement collectif, qui concerne la copropriété et les occupants de l’immeuble dans leur globalité et non uniquement quelques propriétaires occupants [1].
Toutefois, à l’occasion d’une procédure de référé, comme en l’espèce, le juge ne va généralement pas débouter le syndicat sur ce fondement en considérant que l’expertise à venir permettra de savoir si le litige concerne ou non la copropriété dans sa globalité et si le litige présente bien ainsi un caractère collectif.
C’est donc pour l’action au fond que le potentiel défaut de qualité à agir du syndicat représentait un grand risque pour les demandeurs puisqu’ils pourraient être considérés comme n’ayant pas d’intérêt à agir et se voir opposer une fin de non-recevoir.
Malgré ce risque, nombreux sont les copropriétaires s’estimant victimes de nuisances sonores qui instrumentalisent le syndicat des copropriétaires afin qu’il agisse à leur place pour que les frais soient supportés par le syndicat, et donc in fine répartis entre tous les copropriétaires et non uniquement entre les copropriétaires victimes des nuisances sonores.
Par ailleurs, le risque pour les copropriétaires n’est pas seulement que le syndic soit débouté au fond pour défaut de qualité à agir.
Même dans le cas où le juge du fond considérerait l’action du syndic comme recevable, ce dernier ne pourrait demander que la cessation des nuisances sonores et non la réparation des préjudices subis puisqu’il est une personne morale, qui n’a donc pas d’oreilles et qui, par conséquent, ne peut prétendre subir un quelconque préjudice de jouissance ou de santé du fait des nuisances sonores [2].
C’est pour ces raisons que les copropriétaires et occupants de l’immeuble qui s’estimaient victimes de nuisances sonores ont finalement pensé qu’il était préférable qu’ils soient eux-mêmes parties à l’expertise afin de pouvoir, par la suite, agir au fond individuellement en leurs noms personnels pour demander la réparation des préjudices subis.
Le juge des référés a cependant rejeté leur demande.
Il a commencé par rappeler qu’il était bien compétent pour étendre une expertise à d’autres parties intéressées, sans que l’accord de l’expert ne soit nécessaire.
Les parties intéressées sont celles qui ont un lien avec le potentiel futur litige et qui ont donc un intérêt à suivre les opérations d’expertise et à pouvoir y participer activement en communiquant à l’expert leurs observations et remarques (appelés dans la pratique « dire à l’expert ») de manière à ce que l’expertise leur soit opposable et qu’elles puissent s’en prévaloir postérieurement.
En l’occurrence, chacun des demandeurs était propriétaire d’un appartement au sein de l’immeuble qui subissait les nuisances sonores.
Certains avaient déjà, d’une certaine manière, participé à l’expertise puisque des mesurages avaient été effectués par l’expert acousticien dans leurs logements.
Il n’était donc pas contestable que les demandeurs avaient des intérêts en lien avec l’expertise en cours.
Cependant, le juge ne s’est pas arrêté à ce seul argument, il a également estimé que, bien qu’ayant un intérêt à rejoindre l’expertise, les parties ne pouvaient fonder leur demande sur des motifs purement dilatoires ce qui aurait eu pour conséquence de retarder de façon injustifiée les opérations d’expertise en cours.
Or, en l’espèce l’expertise avait été ordonnée en mars 2023 avec une date de rendu du rapport fixée initialement en janvier 2024 puis finalement repoussée en mars 2025.
Les demandeurs, qui ne pouvaient ignorer la tenue de l’expertise puisqu’elle se déroulait dans leur immeuble et à l’initiative de leur syndicat de copropriétaires, n’avaient pourtant saisi le juge des référés qu’en octobre 2024, soit trois mois seulement avant la transmission aux parties du pré-rapport de l’expert prévue pour janvier 2025, pré-rapport précédant le rapport définitif d’un mois le plus souvent.
En conséquence, le juge a estimé que les demandeurs agissaient tardivement « sans fournir aucun élément de nature à expliquer ce délai alors qu’ils avaient participé aux mesures d’expertise ».
C’est pourquoi il a rejeté la demande tendant à voir l’expertise rendue commune aux requérants en considérant que « les demandeurs avaient fait preuve d’un manque de diligence qui aurait nécessairement pour conséquence de repousser le dépôt du rapport final ».
Les demandeurs ont finalement été condamnés à payer à la société défenderesse la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Il n’a pas été interjeté appel de cette décision.
Conclusion.
Cette ordonnance rappelle que la tentative préalable de conciliation, en principe obligatoire en matière de trouble anormal de voisinage, ne l’est pas lorsque la demande faite au juge ne consiste qu’à rendre commune à une partie intéressée une mesure d’expertise ordonnée préalablement (demande d’ordonnance commune).
Elle montre aussi l’usage raisonné que le juge des référés peut faire de son pouvoir de rendre commune une expertise.
En effet, malgré l’intérêt incontestable des demandeurs à ce que l’expertise leur soit rendue commune, le juge a tout de même pris en compte leur manque de diligence et le critère essentiel de la durée de l’expertise pour rejeter leur demande.