Pourquoi le breveté chercherait à limiter de lui-même la portée de son brevet ?
Lors d’une action en contrefaçon (au stade amiable ou judiciaire), le prétendu contrefacteur, classiquement, conteste la contrefaçon, considérant que son appareil ou procédé ne tombe pas sous le coup des revendications du brevet, et en outre demande la nullité du brevet.
Cette demande en nullité n’a généralement de chances de prospérer qu’en citant des antériorités autres que celles citées dans le rapport de recherche de l’INPI.
Si les antériorités nouvellement opposées affectent la validité des revendications du brevet, le breveté a tout intérêt à « remodeler » ses revendications afin d’échapper à ces antériorités, et par là consolider son brevet.
Cette possibilité de limitation donnée aux titulaires de brevets a été encadrée relativement récemment par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. Le nouvel article L613-24 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) dispose : « Le propriétaire du brevet peut à tout moment soit renoncer à la totalité du brevet ou à une ou plusieurs revendications, soit limiter la portée du brevet en modifiant une ou plusieurs revendications ».
Le fait de renoncer à une ou plusieurs revendications ne soulève pas de problèmes particuliers.
L’enjeu est donc de modifier les revendications en limitant la portée du brevet, tout en assurant la sécurité juridique des tiers. En effet, le droit octroyé par le brevet doit être clairement défini, et ce, au moment du dépôt, et les modifications doivent être limitées et contrôlées.
Rappelons que la portée d’un brevet est définie par ses revendications et que les revendications doivent s’appuyer sur la description [1].
L’exercice est délicat, puisque, selon l’article L613-25 du CPI, un « brevet est déclaré nul par décision de justice […..] Si son objet s’étend au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée ».
Sur le plan formel, l’article R613-45 du CPI précise les modalités et l’objet de la limitation, et notamment :
Les renonciations et limitations sont inscrites au registre national des brevets.
Les modifications peuvent porter aussi bien sur les revendications que sur la description et les dessins
Quand peut-on user de cette faculté ?
L’article L613-24 (ci-dessus) indique « à tout moment ». Donc ceci s’entend avant ou après la délivrance de brevet, et également avant ou après que l’action en contrefaçon soit engagée.
La Cour d’appel de Paris le confirme (pôle 5, 1ière ch., 12 février 2014 (RG 2012/16589), en déclarant : « [….] une limitation volontaire […] avant d’agir en contrefaçon (ou à tout moment, même une fois le litige né), est possible [ …] ».
De plus, la Cour précise que les effets de la limitation rétroagissent à la date de dépôt de la demande de brevet.
Enfin, en l’espèce, les trois modifications successives auxquelles a procédé le breveté, avant et après la délivrance, ne sont ni dilatoires, ni frauduleuses, comme le déclarent les magistrats, rappelant ainsi le principe et l’objet de cette limitation, dans le cadre des deux articles du CPI mentionnés précédemment : « […] un breveté demeure en droit, sans pour autant commettre d’abus, de tenter de consolider son brevet, en fonction notamment d’antériorités qui lui sont opposées par celui auquel il reproche des actes de contrefaçon ».
Voici donc un outil mis à la disposition des titulaires de brevet français, qui peut se révéler redoutablement efficace pour lutter contre la contrefaçon.