Méconnaissance de la loi Littoral et indemnisation du voisin.

Par Pierre Jean-Meire, Avocat.

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Explorer : # urbanisme # loi littoral # indemnisation # préjudice

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Les voisins peuvent être indemnisés en cas de méconnaissance de la loi Littoral par un permis de construire. Les atteintes à l'environnement, à la vue et à l'ensoleillement, ainsi que la perte de valeur vénale de la propriété, peuvent être réparées.
Description rédigée par l'IA du Village

Le voisin d’une autorisation d’urbanisme, s’il a raté le délai de deux mois pour en demander l’annulation, peut toujours engager une action en responsabilité contre la personne publique en cause.

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Le délai de recours contentieux contre une autorisation d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager, déclaration préalable…) est de deux mois à compter de l’affichage du panneau d’informations [1].

Il s’agit d’un délai très court.

En effet, pendant ce laps de temps il convient d’aller chercher en mairie l’intégralité des documents du permis de construire, de les analyser, d’analyser les éléments de la règlementation (Code de l’urbanisme, PLU…), le cas échéant de prendre un premier conseil auprès d’un avocat et enfin, de prendre la décision, en fonction de la situation, de l’opportunité d’un recours devant le tribunal administratif.

Il est par ailleurs fréquent, surtout pour des résidences secondaires situées en commune littorale, de rater ce délai de recours car l’affichage a eu lieu à une période de faible occupation, comme va l’être ce mois de janvier.

Il arrive donc assez souvent que des voisins n’engagent pas de recours car ils ont « raté » le délai d’action.

Il arrive également que des voisins n’engagent pas de recours car pensant légitime l’autorisation d’urbanisme en cause. Ce n’est alors qu’ultérieurement, en raison souvent d’un autre contentieux engagé sur le commune, qu’ils s’aperçoivent que la zone était en réalité inconstructible.

C’est là aussi très fréquent sur les communes littorales.

En effet, de très nombreuses communes littorales ont fait de mauvaises applications de la loi Littoral et tout particulièrement de l’article L121-8 du Code de l’urbanisme qui dispose que :

« l’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants ».

A ce titre, il ressort de la jurisprudence qu’un terrain qui n’est pas situé en continuité avec un tel espace urbanisé est inconstructible.

Par ailleurs, la bande de cent mètres est en principe inconstructible, même lorsqu’il s’agit de faire des extensions de constructions existantes dès lors que le Conseil d’Etat a jugé qu’il

« n’y a pas lieu de distinguer, pour l’application des dispositions du III de l’article L146-4 du Code de l’urbanisme, les constructions ou installations nouvelles et celles portant extension d’une construction ou installation existante » [2].

De très nombreuses communes ont eu des difficultés à appliquer cette législation et des personnes ont alors subi la présence d’une construction qu’ils n’auraient pas dû subir, si cette législation avait été respectées.

S’ils n’ont pas agi dans le délai de deux mois pour attaquer le permis, les choses ne sont cependant pas définitivement perdues pour ces personnes.

En effet, il existe une action en responsabilité pour faute ouverte aux voisins lésés (1). Si la prescription n’est pas acquise (2), cette action permet l’indemnisation de nombreux préjudices (3).

1/ L’illégalité fautive d’une autorisation d’urbanisme délivrée à un voisin méconnaissant la loi Littoral.

Conformément au principe rappelé par la jurisprudence M. Imbert du 30 janvier 2013 « toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain » [3].

Ce principe jurisprudentiel est très fréquemment mis en œuvre par les juges administratifs, lorsque des personnes achètent des terrains constructibles, selon les informations données par la commune, alors qu’en réalité, la loi Littoral et tout particulièrement l’article L121-8 précité, interdisent toute nouvelle construction.

Les condamnations sont alors très fréquentes comme par exemple pour la commune de Plestin-les-Grèves (Loi Littoral et indemnisation à Plestin-les-Grèves [4]), de Logonna-Daoulas (Terrain inconstructible et loi Littoral [5] nouvelle condamnation en Bretagne [6]) ou encore de Porto-Vecchio (Loi Littoral et terrain inconstructible - condamnation de Porto-Vecchio à 736 000 euros [7]).

Mais il existe également une autre sphère d’application de cette responsabilité lorsque sont en cause des tiers, très généralement les voisins immédiats, qui subissent ces constructions illégales.

Déjà en 1988 le Conseil d’Etat avait estimé que des atteintes à l’environnement, aux vues et à l’ensoleillement d’une maison découlant de l’illégalité d’un permis de construire, pouvait donner lieu à indemnisation :

« qu’il résulte de l’instruction que la présence de ce bâtiment, implanté à 25 mètres de la maison de M. X..., porte à l’environnement, aux vues et à l’ensoleillement de ladite maison une atteinte sensiblement plus grave que celle qui aurait résulté d’une construction conforme au plan d’occupation des sols ; que, dès lors, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, la faute commise par l’administration est génératrice pour M. X... d’un préjudice indemnisable » [8].

En 2004, le Conseil d’Etat avait également admis que les préjudices d’exploitation liés aux nuisances résultant de la construction et de l’exploitation d’un supermarché, ainsi que la diminution de valeur vénale d’une la maison de retraite, directement liés à la taille excessive du bâtiment au regard des normes d’urbanisme alors en vigueur, pouvaient également faire l’objet d’une indemnisation [9].

Mais c’est en 2019 que le Conseil d’Etat est venu acter de manière plus solennelle ce type d’action indemnitaire en jugeant par une décision mentionnées aux tables du recueil Lebon que :

« Les tiers à un permis de construire illégal peuvent rechercher la responsabilité de la personne publique au nom de laquelle a été délivré le permis, si le projet de construction est réalisé. Ils ont droit, sous réserve du cas dans lequel le permis a été régularisé, à obtenir réparation de tous les préjudices qui trouvent directement leur cause dans les illégalités entachant la décision. A cet égard, la perte de valeur vénale des biens des demandeurs constitue un préjudice actuel susceptible d’être indemnisé, sans qu’ait d’incidence la circonstance qu’ils ne feraient pas état d’un projet de vente » [10].

Il est alors régulièrement fait application de cette veine jurisprudentielle comme par exemple récemment par le Tribunal administratif de Nantes qui a condamné une commune à verser une indemnisation de 7 000 euros en raison d’un permis de construire ne respectant pas les règles d’implantation par rapport aux distances séparatives. Ces non-respects engendraient alors des pertes de luminosité et d’ensoleillement [11].

Or, il apparaît que cette veine jurisprudentielle pourrait parfaitement et pleinement être appliquée à un permis de construire violant la loi Littoral et notamment les articles L121-8 et L121-16 précités.

En effet, si le terrain en cause est inconstructible en application de cette disposition, la commune concernée à nécessairement commis une faute de nature à engager sa responsabilité en accordant tout de même un permis de construire.

De la même manière, en cas d’extension d’une construction existante dans le bande de cent mètres, alors que cet espace est en principe inconstructible en dehors des espaces urbanisés, la responsabilité pour faute de la personne publique est également susceptible d’être engagée.

Le même principe doit trouver à s’appliquer pour la construction de bâtiments annexes ou encore de piscines.

La question se pose alors de savoir jusqu’à quand il est possible d’agir

2/ Le délai de prescription pour agir.

En l’espèce et conformément à la Loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics, une action indemnitaire est soumise à la prescription quadriennale, laquelle commence à courir à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.

A ce titre, il convient d’indiquer qu’en vertu de l’article 2 de cette loi la prescription peut être interrompu, notamment, par une demande de paiement ou une réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance.

Par ailleurs, tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, interrompt également ce délai de prescription.

Enfin et il s’agit d’un point important, l’article 3 de la loi du 13 décembre 1968 précitée prévoit expressément que :

« La prescription ne court (…) contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement ».

Il résulte de ces dispositions que, tant qu’il ne ressort d’aucun élément que le permis de construire, le permis d’aménager ou encore de la déclaration préalable, méconnaissaient la loi Littoral, aucun délai de prescription n’a commencé à courir.

Ainsi, pour des particuliers non professionnel de l’urbanisme et du droit, c’est seulement à compter du moment où ils ont connaissance de l’illégalité du permis de construire en cause, au regard des dispositions de la loi Littoral, que le délai de prescription serait alors déclenché.

Cette configuration potentiellement très favorable aux victimes, devrait permettre à un grande nombre d’entre-elles d’agir pour défendre leurs droits.

Il convient toutefois de relever que les juges administratifs font très régulièrement preuves de sévérité en matière d’action en responsabilité.

Ainsi, par exemple, si l’illégalité d’une autorisation d’urbanisme était par exemple révélée par l’adoption d’un nouveau document d’urbanisme (Schéma de Cohérence Territorial ou encore Plan Local d’urbanisme), reconnaissant explicitement que la loi Littoral interdit toute nouvelle construction, il n’est pas inconcevable d’imaginer que les juges accepteront de déclencher le délai de prescription à partir de l’adoption de ces actes.

Il est donc nécessaire d’agir sans délai pour faire valoir ses droits afin d’éviter l’application d’une éventuelle jurisprudence rigoureuse s’agissant du délai de prescription.

Si l’action n’est pas prescrite, les préjudices indemnisables sont alors multiples.

3/ Les préjudices invocables.

En premier lieu, le premier et principal préjudice indemnisable dans le cadre d’une telle action en responsabilité sera lié à la perte de valeur vénale de la propriété de la victime

En effet, dès lors que le terrain est en réalité inconstructible, la personne lésée ne devrait subir aucune construction voisine.

Or, du fait de sa présence et des conséquences négatives induites par ce voisinage, celui-ci vient nécessairement minorer la valeur du bien immobilier.

Il convient alors de faire intervenir des agences immobilières, des notaires ou encore des experts fonciers, afin de venir évaluer la perte de valeur vénale ainsi générée.

La Cour administrative d’appel de Lyon a par exemple retenu un préjudice de perte de valeur vénale d’un montant de 90 000 euros en se fondant sur deux attestations d’agences immobilières [12].

En deuxième lieu, le préjudice de jouissance et des troubles aux conditions d’existence peut lui aussi être indemnisé.

Il s’agira alors d’indemniser les conséquences négatives de la construction illégale pour les voisins concernés.

De telles conséquences négatives sont par exemple, des pertes d’ensoleillement ou de luminosité, des vis-à-vis subis sur son terrain, des pertes d’intimité ou encore des pertes de vue ou de cadre de vue si la construction vient faire écran à un paysage, comme par exemple au littoral.

En dernier lieu, les frais occasionnés par les mesures prises pour se prémunir contre la construction illégale peuvent également être indemnisé, comme par exemple des frais d’isolation phonique ainsi que l’a jugé la Cour administrative d’appel de Nantes :

« il résulte, également, de l’instruction, notamment du devis établi le 4 mars 2014 versé au dossier, que le coût des travaux d’isolation phonique de leur appartement s’élève à la somme non sérieusement contestée de 21 553,99 euros. M et Mme D... peuvent donc prétendre à obtenir réparation du préjudice immobilier lié à la réalisation de ces travaux à hauteur de cette somme » [13]. Il est intéressant de noter que la cour s’était alors basée uniquement sur un devis pour l’évaluation de ce préjudice.

De nombreux autres préjudices peuvent éventuellement être indemnisés.

Il est alors nécessaire de faire une analyse complète de chaque situation pour évaluer l’indemnisation pouvant éventuellement être réclamée à la personne publique en cause.

Pierre Jean-Meire
Avocat au Barreau de Nantes
Cabinet d’avocat Olex
www.olex-avocat.com
https://twitter.com/MeJEANMEIRE

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Notes de l'article:

[1Article R600-2 du Code de l’urbanisme.

[2CE 21 mai 2008 n° 297744.

[3CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil.

[5Article L121-8.

[8Conseil d’Etat, 1 /10 SSR, du 14 décembre 1988, 67353, inédit au recueil Lebon.

[9Conseil d’Etat, 1ère et 6ème sous-sections réunies, du 13 février 2004, 254589, inédit au recueil Lebon.

[10CE 24 juillet 2019 n° 417915.

[11Tribunal administratif de Nantes, 1ère Chambre, 21 novembre 2023, 2008665.

[12Cour administrative d’appel de Lyon, 5ème chambre, 25 août 2020, 19LY00736.

[13CAA Nantes 5ème chambre, 22 septembre 2020, 19NT03103.

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