Illégalité du PLU de Bonifacio et loi Littoral : comment être indemnisé ?

Par Pierre Jean-Meire, Avocat.

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Explorer : # illégalité du plu # loi littoral # indemnisation # urbanisme

Par un jugement du 17 février 2021 le Tribunal administratif de Bastia a déclaré illégal le PLU de Bonifacio notamment, pour méconnaissance de la loi Littoral et a ordonné son abrogation.
Cette décision est l’occasion de revenir sur la procédure d’indemnisation ouverte aux détenteurs de terrains devenus inconstructibles suite à ce type de solution jurisprudentielle.

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Il est communément admis qu’un plan local d’urbanisme a une durée de vie d’environ une dizaine d’années, avant qu’une révision générale ne soit nécessaire.

Approuvé le 13 juillet 2006, le plan local d’urbanisme de Bonifacio avait plus que dépassé son âge limite de départ à la retraite.

Malgré quelques modifications mineures, ce PLU n’avait fait l’objet d’aucune mise à jour significative.

Certes une révision générale avait été prescrite, mais c’était il y a presque dix ans et celle-ci s’était transformée en échec, de l’aveux même du maire actuel [1].

Face à cette inertie, l’association U Levante a alors pris les devants et a demandé l’abrogation de ce PLU auprès du Tribunal administratif de Bastia.

Par un jugement du 17 février 2022, les juges administratifs bastiais viennent de lui donner, une fois de plus, raison (I/.), ce qui pourrait ouvrir la voie à des actions indemnitaires en cas de préjudices subis (II/.).

Au préalable, il est nécessaire d’insister sur le fait que dans une telle configuration, il est très fortement recommandé de se faire assister par un avocat qui sera alors en mesure d’apporter des conseils en toute indépendant et impartialité. Fréquemment, les collectivités confrontées à une telle problématique chercheront à faire miroiter des solutions alternatives, très généralement impossibles, dans l’objectif bien souvent d’attendre que la prescription soit acquise et ainsi échapper à toute condamnation. Il est donc préférable d’agir rapidement et de se faire assister.

En outre, il convient de relever que les collectivités sont en principe assurées pour ce type de sinistre, ce qu’elles n’hésitent d’ailleurs pas à mettre en avant [2] :
« En tout état de cause, la commune est assurée pour ce genre de litige ; même si le jugement à venir de la Cour administrative d’appel était défavorable, la commune ne verserait aucun dédommagement.

I/. S’agissant de l’illégalité du PLU de Bonifacio.

Plusieurs jurisprudences avaient précédemment eu l’occasion de constater la méconnaissance par le PLU de Bonifacio des dispositions de la loi Littoral (1/.) avant que son illégalité totale ne soit décidée par le Tribunal administratif de Bastia (2/.).

1/. Sur les précédentes jurisprudences.

Avant ce jugement, la justice administrative avait déjà censuré plusieurs permis de construire accordés sur la commune de Bonifacio, pour méconnaissance de la loi Littoral.

Ainsi, par une décision du 15 février 2021 la CAA de Marseille a censuré un permis d’aménager un lotissement de dix-neuf lots au lieu-dit « Gurgazu » pour méconnaissance de l’article L121-8 du Code de l’urbanisme :

« en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que les parcelles d’assiette du projet se situent en continuité du lieu-dit Gurgazo, à plusieurs kilomètres du centre-ville de Bonifacio dont il est séparé par un vaste espace naturel. Si ce lieu-dit est identifié comme une " tache urbaine " sur la cartographie du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, il ne rassemble qu’un petit nombre de constructions éparses et de faible densité autour d’une anse littorale dotée de quelques pontons d’amarrage. Quand bien même s’y trouveraient deux hôtels ainsi qu’un service de location de bateaux, il ne constitue ni un village ni une agglomération au sens des dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme telles que précisées par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse. Aucune extension de l’urbanisation ne peut ainsi y être autorisée. Il s’ensuit, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, que le projet méconnait ces dernières dispositions » [3].

La même décision a été prise pour le lieudit « Bancarella » (ou Bancarello). Un permis de construire avait été accordé le 23 mars 2020 pour la construction de 28 logements sur les parcelles cadastrées section G n° 456, 650, 711 et 713. Or, le TA de Bastia a jugé dans un jugement du 21 décembre 2021 que :

« le préfet de la Corse-du-Sud est fondé à soutenir qu’en délivrant le permis litigieux, le maire de Bonifacio a fait une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme telles que précisées par le PADDUC. En fait, le projet de la SAS TEH vise à démolir trois bâtiments d’une surface de plancher totale de 194 m2, ainsi qu’une piscine, pour y édifier un ensemble immobilier de 28 logements, couvrant une surface de plancher totale de 2 074 m2 » [4].

Les exemples pourraient alors être multipliés sur d’autres secteurs comme « Licetto » [5] ou encore « Canalli » [6].

Faces à ces nombreuses illégalités, l’association U Levante a pris la décision de demander l’abrogation totale du PLU de Bonifacio.

2. Sur le jugement du 17 février 2022.

Par le jugement ici commenté, le Tribunal administratif de Bastia lui a donné raison pour plusieurs motifs. Le présent commentaire portant uniquement sur la loi Littoral, les autres motifs d’annulation ne seront pas abordés.

L’association requérante avait soulevé l’illégalité d’un très grand nombre des zones du PLU de Bonifacio au regard, principalement, des dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme

Le Tribunal administratif de Bastia, face à l’ampleur des zones illégales a alors produit dans son jugement, des cartes sur lesquelles sont identifiées avec des croix de différentes couleurs, les zonages irréguliers.

Compte tenu de la quantité de zones illégales, le Tribunal administratif de Bastia a alors estimé que l’abrogation totale du PLU était la seule solution envisageable.

Le Tribunal a alors donné un délai de trois mois à la commune de Bonifacio pour engager la procédure d’abrogation de son PLU.

Suite à ce jugement, un très grand nombre des zones urbanisables de la commune de Bonifacio est officiellement reconnu comme étant en réalité inconstructible. L’illégalité du PLU est alors susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

II/. L’action indemnitaire pour faute contre une commune.

L’action indemnitaire est encadrée par une procédure à respecter (1/.). Elle suppose ensuite l’existence d’une faute (2/.) d’un lien de causalité (3/.) et la justification de préjudices (4/.)

1. Sur la procédure et la prescription.

En premier lieu, il convient d’indiquer que les recours contentieux indemnitaires devant les juridictions administratives sont soumis à l’obligation de ministère d’avocat.

En effet, conformément à l’article R431-2 du Code de justice administrative :

« Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés (…) par un avocat, (…), lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d’une somme d’argent ».

Cette obligation n’est toutefois pas applicable lorsqu’est en cause une collectivité territoriale.

En deuxième lieu, il est en l’espèce indispensable d’adresser avant tout recours contentieux, un recours indemnitaire préalable auprès de la commune.

Quasi-systématiquement, ces recours indemnitaires préalables sont rejetés implicitement par les collectivités.

Cela ne signifie pas qu’il n’est pas possible de transiger dans ce type de dossier. Toutefois, les transactions interviennent très généralement, au stade du recours contentieux.

En troisième lieu, il convient de préciser que le délai de prescription est quadriennal.

Il commence à courir à partir du moment où l’intéressé a connaissance du dommage.

Outre ce délai de prescription, il existe également un délai de recours contentieux, qui est de deux mois à compter du rejet du recours indemnitaire préalable.

Par ailleurs, une fois le délai de recours contentieux expiré, il n’est plus possible de soulever de nouveaux préjudices.

Compte-tenu des délais nécessaires avant d’avoir une décision de justice, à savoir environ deux ans en tenant compte du délai lié au recours indemnitaire préalable, il est en l’espèce préférable d’agir rapidement.

2/. Sur la faute.

Deux types de fautes peuvent alors être reprochés à une collectivité dans ce type de situation.

D’un part, une faute liée à l’illégalité des décisions prises à savoir, plan local d’urbanisme, permis de construire, certificat d’urbanisme informatif ou opérationnel…

En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que :

« toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain » [7].

Cette veine jurisprudentielle est alors très fréquemment mise en œuvre lorsqu’une commune, déclare constructible un terrain dans son document d’urbanisme ou dans le cadre d’une décision/note d’urbanisme, alors qu’en application des principes de la loi Littoral et notamment de l’article L121-8 du Code de l’urbanisme, tel n’aurait pas dû être le cas :

« Après qu’une commune a classé un terrain en zone constructible par une délibération contraire à l’article L146-4 du code de l’urbanisme (loi littoral), ce terrain a été acquis par une personne qui a obtenu un permis de construire. Annulation du permis de construire pour avoir été accordé en méconnaissance des dispositions de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme...., La cour administrative d’appel a jugé que l’acquéreur avait, lors de l’acquisition des parcelles, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l’Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d’occupation des sols que de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d’acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d’occupation des sols de la commune. En retenant ainsi l’existence d’un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l’administration et le préjudice subi par l’acquéreur (…), la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis » [8].

Il importe de relever que le Conseil d’État a estimé qu’un certificat d’urbanisme même uniquement informatif, dès lors qu’il reproduit les dispositions illégales d’un document d’urbanisme déclarant constructible un terrain alors que la loi Littoral ne le permet pas, est de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune en cause :

« Cour administrative d’appel ayant relevé que le terrain litigieux avait été illégalement classé pour partie en zone UEb par le plan local d’urbanisme (PLU), alors que, situé dans la bande des cent mètres à partir du rivage, il ne pouvait être regardé comme un espace urbanisé au sens du III de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme.... ...Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’elle n’a pas commis d’erreur de droit en en déduisant l’illégalité du certificat d’urbanisme délivré par le maire, qui faisait mention de ce classement, alors même que le certificat, délivré sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme, avait vocation non à préciser si le terrain pouvait être utilisé pour la réalisation d’une opération particulière mais seulement à indiquer les dispositions d’urbanisme applicables au terrain, ainsi que les limitations administratives au droit de propriété, le régime des taxes et participations d’urbanisme et l’état des équipements publics existants ou prévus » [9].

D’autre part, une faute liée à l’insuffisance des informations données par la commune.

Très généralement, c’est le cas lorsqu’une commune, dans une note de renseignement ou encore tout autre document ou courrier informatif, ne mentionne pas que les principes de la loi Littoral sont susceptibles de restreindre les droits à construire :

« 5. D’autre part, la note de renseignements précitée ne contenait aucune réserve tenant à l’application des dispositions de la loi du 3 janvier 1986, dite " loi littoral", et notamment de l’application éventuelle des dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, lesquelles restreignent les possibilités de réalisation de tout projet de construction sur la parcelle. Dans ces conditions, la commune n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal a estimé que cette omission était de nature à constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Moëlan-sur-Mer, qui ne saurait utilement invoquer les difficultés d’interprétation de la " loi littoral " pour s’exonérer de sa responsabilité » [10].

La faute de la victime peut alors être prise en compte pour diminuer son préjudice. Il ressort toutefois de la jurisprudence administrative qu’elle se montre assez favorable avec les victimes non-professionnels de l’immobilier :

« 6. En premier lieu, l’acte de vente du 25 novembre 2014 stipulait que " les dispositions de la loi littoral étant d’une valeur juridique supérieure au [...] plan local d’urbanisme, l’acquéreur déclare avoir été averti que la constructibilité du terrain objet des présentes peut être remise en cause par une interprétation restrictive que pourrait faire le juge administratif. L’acquéreur déclare avoir eu connaissance, dès avant ce jour, de cette situation, vouloir en faire son affaire personnelle et s’interdire toute action à ce sujet contre le vendeur ". Cependant, et contrairement à ce que soutient la commune de Meschers-sur-Gironde, M. B..., qui n’est pas un professionnel de l’immobilier, n’a pas commis d’imprudence fautive en accordant crédit au certificat d’urbanisme erroné délivré par la commune, attestant de la faisabilité de son projet, et sur la base duquel il a acquis en tant que terrain constructible la parcelle susmentionnée en vue d’y construire une maison d’habitation » [11].

En cas de faute de la commune, il est ensuite nécessaire de démonter le lien de causalité avec les préjudices invoqués.

3/. Sur le lien de causalité.

Le lien de causalité nécessitera d’établir, en fonction des préjudices invoqués, que c’est parce que la personne intéressée avait acquis la conviction grâce aux informations délivrées par la commune que le terrain était constructible qu’elle s’en est portée acquéreur.

La preuve du lien de causalité peut alors être apporté par tout moyen.

Très généralement, il s’agit d’un certificat d’urbanisme informatif ou opérationnel, annexé à l’acte de vente.

C’est alors ce certificat d’urbanisme illégal qui permet d’établir l’existence du lien de causalité.

D’autres éléments peuvent être utilisés pour établir ce lien de causalité.

4/. Sur les préjudices.

Là aussi les préjudices invocables sont multiples.

Quelques exemples non exhaustifs peuvent être donnés.

Le premier préjudice, et souvent le plus important, est constitué par la perte de valeur vénale du terrain question. Concrètement, il s’agit de la différence entre le prix d’acquisition du terrain et sa valeur réelle compte tenu de son inconstructibilité.

D’autres préjudices en découlant peuvent également être réclamés (frais de notaire payés en trop, frais d’agence payés en trop…).

Des préjudices financiers liés à l’acquisition peuvent également être demandés, comme par exemple les frais liés au remboursement d’un crédit immobilier (intérêts, assurances, frais de dossier…).

L’action indemnitaire n’est pas exclusivement ouverte aux acquéreurs d’un terrain. En effet, des héritiers peuvent également introduire une telle action, notamment en cas de partage successoral [12].

A ce titre, les frais de succession payés en trop peuvent alors être indemnisés.

La liste des préjudices indemnisables est alors potentiellement importante et nécessite une analyse personnalisée de chaque situation afin de garantir la meilleure indemnisation possible.

Pierre Jean-Meire
Avocat au Barreau de Nantes
Cabinet d’avocat OLEX
www.olex-avocat.com
https://twitter.com/MeJEANMEIRE

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Notes de l'article:

[3CAA de Marseille, 5ème chambre, 15/02/2021, 20MA01044, Inédit au recueil Lebon.

[4Voir sur ce point le site de l’association U LevantE.

[5TA Bastia 3 novembre 2020 n° 1901388.

[6TA Bastia 3 novembre 2020 n° 1901298.

[7CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil.

[8CE 08 avril 2015 Ministre de l’égalité des territoires et du logement n° 367167, mentionné dans les tables sur ce point ; Voir également CAA Nantes 31 mars 2021 Commune de Moëlan-sur-Mer n° 19NT04719.

[9CE 18 février 2019 Commune de l’Houmeau n° 414233, mentionné dans les tables.

[10CAA Nantes 04 juin 2019 n° 17NT03737.

[11CAA Bordeaux 30 novembre 2021 Commune de Meschers-sur-Gironde n° 20BX00238.

[12CAA Nantes 27 avril 2021 Commune de l’Hôpital-Camfrout n 20NT00402.

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