Par Nadine REGNIER ROUET, Avocat spécialisé en droit social.
Employeurs et DRH, attention à vos méthodes de gestion du personnel !
Voici une décision de la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, qui pour la première fois le 10 novembre 2009 décide que les « méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique » peuvent constituer un harcèlement moral.
Lorsqu’elles se manifestent, « pour un salarié déterminé, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Les faits : un salarié d’une association de colonies de vacances de la ville de Salon de Provence, engagé en 1989 et occupant en dernier lieu le poste cadre de « directeur technique », se plaint par écrit à la Présidente de l’association, en 2003 et 2004, des agissements du directeur d’établissement arrivé en 2001. Celle-ci lui écrit en réponse par deux fois qu’elle prendra les mesures propres à prévenir tout acte de harcèlement.
Le salarié est en arrêt de travail trois mois en 2003 puis à nouveau en 2004. puis le médecin du travail le déclare « inapte médicalement et définitivement à tous postes au sein de l’établissement » précisant qu’il « serait apte à un poste sans contact avec son directeur actuel ».
Le salarié est licencié pour inaptitude physique en 2005 et saisit le Conseil de Prud’hommes pour obtenir, notamment, la condamnation de son employeur à des dommages-intérêts pour préjudice moral résultant de « la détérioration des conditions de travail » à l’origine directe de son inaptitude.
Quelles sont ces méthodes de gestion du directeur de l’établissement que la Cour de cassation qualifie de harcèlement moral ?
soumettre les salariés à une pression continuelle
faire des reproches incessants
donner des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe
et, pour le directeur technique, opérer sa « mise à l’écart », lui manifester du « mépris », pratiquer « une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire de tableaux », communiquer directement des ordres à l’un de ses subordonnés.
Quel raisonnement juridique est mis en œuvre ?
La Cour de cassation prend soin de préciser que ces méthodes de gestion ont été constatées par la cour d’appel saisie, laquelle a également constaté que les agissements du directeur d’établissement à l’égard du salarié directeur technique étaient « répétés » et qu’ils ont causé chez ce dernier « un état très dépressif ».
Il y a donc l’existence de faits répétés qui causent une altération de la santé du salarié.
La Cour approuve l’appréciation des faits que fait la cour d’appel : celle-ci ayant « constaté que ces agissements répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé », elle a pu juger que ces faits et cette méthode de gestion caractérisaient un harcèlement moral.
Que retenir de cette décision ?
Des méthodes de gestion du personnel appliquées à l’ensemble du personnel d’un établissement par un supérieur hiérarchique peuvent dégénérer en un harcèlement moral à l’égard d’un ou plusieurs salariés de cet établissement.
Pour qu’il y ait qualification de harcèlement moral, les juges doivent constater que ces méthodes de gestion du personnel sont constituées d’agissements répétés, ces agissements pouvant être des absences d’actes positifs (« absence de dialogue »), des sentiments personnels (« mépris affiché »).
Remarquons au passage que la gestion d’un collaborateur par absence de dialogue et la communication avec lui par tableaux, de même qu’un sentiment de mépris visible d’un supérieur à l’égard d’un collaborateur sont considérés comme « portant atteinte aux droits et à la dignité » de ce collaborateur.
Dans cette affaire, on relèvera que le médecin du travail avait identifié une relation directe de cause à effet entre les agissements du directeur de l’établissement et l’état dépressif du directeur technique menant à son inaptitude, celle-ci étant posée pour tous postes de travail situés dans l’établissement et ne l’étant plus à condition d’éviter tout contact avec le directeur de l’établissement.
En présence d’un tel diagnostic, le dossier du salarié était déjà bien étayé.
On notera également que les manifestations écrites de l’employeur de sa volonté de faire cesser le trouble et de remplir son obligation de préservation de la santé physique et morale du salarié sont sans incidence sur sa responsabilité finale à l’égard du salarié harcelé. Il s’agit pour l’employeur d’une obligation légale de résultat.
C’est bien pourquoi la Cour de cassation précise qu’il y a harcèlement moral « quand bien même l’employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser ».
Nadine REGNIER ROUET, Avocat spécialisé en droit social
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