Nouvelles technologies et législation française (Volet II). Par Maelys Goudin-Nicoli, Juriste.

Nouvelles technologies et législation française (Volet II).

Par Maelys Goudin-Nicoli, Juriste.

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Explorer : # propriété intellectuelle # podcasts # Œuvre multimédia # droit d'auteur

Après avoir circonscrit la notion de podcast et relevé les difficultés qui entourent l’appréciation juridique de ces créations (Volet I), il convient à présent de décortiquer notre droit interne afin d’investir les podcasts et livres audio d’un statut juridique adéquat.

Les livres audio étant similaires, tant dans la forme que le fond, aux podcasts audio, nous les envisagerons ensemble.

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Le Code de la propriété intellectuelle érige une liste non exhaustive des créations étant considérées comme des œuvres de l’esprit. Les podcasts consistant en des séquences sonorisées, c’est naturellement que ces derniers constituent des œuvres de l’esprit. Sous condition de revêtir une originalité, les podcasts seraient ainsi protégeables par la propriété littéraire et artistique.

En étudiant le droit d’auteur, il parait intéressant de s’attarder sur quatre statuts juridiques. Premièrement, l’œuvre multimédia (1) ; deuxièmement, l’œuvre audiovisuelle (2) ; troisièmement, l’œuvre logicielle ou base de données (3) ; et enfin quatrièmement, l’œuvre complexe (4).

1) L’œuvre multimédia.

La loi est muette sur la définition juridique de l’œuvre multimédia. Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, élabore quant à lui une définition en cinq points :
- L’œuvre multimédia réunit des éléments de genres différents (images, textes, sons, …) ;
- Elle est indifférente à la notion de support ou de mode de communication (son mode de communication ou de stockage importe peu) ;
- Elle suppose une interactivité avec celui qui en use ;
- Elle a une identité propre, différente de celle des éléments qui la composent et de la simple somme de ces derniers ;
- Enfin, la structure et l’accès à l’œuvre multimédia sont régis par un programme.

L’œuvre multimédia serait ainsi un support, constitué de plusieurs modes de représentation des informations et qui suppose une interactivité avec celui en use.

Cette notion d’interactivité, doit, selon la Commission, être regardée comme un logiciel permettant à l’utilisateur de naviguer à l’intérieur d’un programme, dont il est le seul à pouvoir déclencher le choix de son parcours. L’utilisateur aurait ainsi un rôle actif, permettant un échange avec l’œuvre multimédia.

A titre d’exemple, un DVD est une œuvre multimédia en ce qu’il comprend des éléments de genres différents et permet à l’utilisateur de choisir sa navigation (play, pause, marche avant / arrière, accès au bonus, lecture version courte / longue, …).

Dès lors, y a-t-il de l’interactivité entre un podcast et son auditeur ? L’utilisateur a, en effet, un rôle à jouer afin de pouvoir consulter ces séquences audio et vidéo. Néanmoins, pouvons-nous réellement parler d’interactivité ? Le champ d’action laissé à l’internaute consiste à actionner ou arrêter la lecture dudit podcast, le réécouter où revenir en arrière.

Ces éléments ne permettant pas de constituer une interactivité avec l’auditeur, le podcasting ne peut être qualifié d’œuvre multimédia.

2) L’œuvre audiovisuelle.

« Des séquences animées d’images, sonorisées ou non », telle est définie l’œuvre audiovisuelle par le Code de la propriété intellectuelle.

Cette définition ne différencie par les séquences d’images et de sons, mais regroupes ces dernières pour former un tout. Ce regroupement pose ainsi des difficultés dans l’appréciation du podcast. En effet, il existe des podcasts constitués à la fois de séquences d’images et de sons, mais également constitués uniquement de séquences de sons.

Par conséquent, la définition d’œuvre audiovisuelle ne pourrait s’appliquer que pour les podcasts vidéo, excluant de fait, les podcasts audio.

Cette qualification est néanmoins intéressante quant à la pluralité d’auteurs qui interviennent pour la création d’une œuvre audiovisuelle, de la même manière que pour la création d’un podcast (cf. Volet I) Nouvelles technologies et législation française (Volet I). Par Maelys Goudin-Nicoli, Juriste.

Le Code de la propriété intellectuelle vient une nouvelle fois nous éclairer en la matière, en appliquant un régime juridique propre pour la titularité des droits des auteurs d’une œuvre audiovisuelle. L’application de ce régime pour les podcasts vidéo serait ainsi gage de simplicité.

Néanmoins, force est de constater que cette qualification n’est pas satisfaisante eu égard l’absence des podcasts audio, qui ne rentrent manifestement pas dans la définition des œuvres audiovisuelles. Une refonte de la définition de l’œuvre audiovisuelle pourrait permettre d’y inclure les podcasts audio, cependant le cœur même de l’œuvre audiovisuelle serait impacté. En effet, une œuvre audiovisuelle ne peut être exclusivement constituée de séquences sonores.

3) L’œuvre logicielle ou base de données.

- L’œuvre logicielle.

L’arrêté du 22 décembre 1981, sur l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique, définit le logiciel comme : « un ensemble de programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatif au fonctionnement d’un ensemble de traitement de données ».

Autrement dit, un logiciel est un ensemble d’instructions contenues dans un programme et adressé à une machine, en vue d’un traitement de données.

Dès lors, pouvons nous considérer qu’une création sonore numérique, consisterait en un logiciel ? Cette qualification est à exclure de manière catégorique. En effet, les fonctions opérées par un podcast et par un logiciel, sont rigoureusement différentes.

Un podcast n’est pas un programme permettant le fonctionnement d’un ensemble de données, aucun ordre n’est adressé à une machine ou un ordinateur, afin de permettre l’exécution d’une fonction précise. L’unique fonction logicielle du podcast est de l’actionner ou de l’arrêter.

L’objectif d’un podcast n’étant pas d’exercer une fonctionnalité, la qualification de logiciel n’est ainsi pas opportune.

- La base de données.

L’arrêté du 22 décembre 1981, offre également une définition de la base de données, comme : « un ensemble de données organisé en vue de son utilisation par des programmes correspondant à des applications distinctes et de manière à faciliter l’évolution indépendante des données et des programmes ». Tel que développé précédemment, les podcasts ne se référant pas à des programmes, cette définition ne peut s’appliquer en l’espèce.

Le Code de la propriété intellectuelle donne également une définition de la base de données : « On entend par base de données un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ». Cette définition, plus large que la précédente, fait mention d‘un recueil d’œuvres et pourrait ainsi s’appliquer aux podcasts. Néanmoins, les éléments constitutifs du podcast ne répondent pas à la condition d’accessibilité individuelle, posée par cette définition. En effet, les données doivent être accessibles individuellement, par des moyens électroniques ou par tout autre moyen, et être qualifiées d’indépendantes.

Une fois encore, seule une partie des podcasts pourraient être sous l’égide de cette définition (les podcasts audio). De plus, les données comprises dans un podcast ne peuvent être isolées les unes des autres.

La jurisprudence européenne vient illustrer cette analyse en rappelant que les données contenues doivent être séparables les unes des autres, sans que la valeur de leur contenu ne s’en trouve affectée. Isoler et séparer les données d’un podcast, reviendrait à porter atteinte à la valeur de son contenu. Qui plus est, un podcast est un fichier entier, unique, qu’il convient d’interpréter dans son intégralité, sa totalité.

La qualification de base de données ne peut ainsi pas s’appliquer en l’espèce.

4) L’œuvre complexe.

Par ses créations jurisprudentielles, le droit français a comblé certains vides juridiques et a élaboré des statuts juridiques spécifiques. Tel a notamment été le cas pour les jeux vidéo. Dès lors, ne serait-il pas opportun de s’interroger sur la possibilité de calquer le statut juridique des jeux vidéo aux podcasts ?

Pendant de nombreuses années, les jeux vidéo ont été appréhendés dans leur seule dimension logicielle. A ce titre, seule cette dimension était protégée par le droit d’auteur.

En 2005, la jurisprudence a fait évoluer la question en la matière, en envisageant ces créations dans leur intégralité. La Cour de cassation dans son célèbre arrêt CRYO de 2009, rappelle le principe selon lequel : « un jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle quelle que soit l’importance de celle-ci. De sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature ».

Le jeu vidéo est ainsi envisagé et protégé dans sa globalité, en considération de tous les éléments qui le composent. Ce dernier, au même titre que les podcasts, est constitué d’une mosaïque d’éléments, formant un tout.

Cette approche distributive du droit d’auteur est inédite et consiste à faire appel à diverses protections pour chacune des composantes de la création. Cette protection complète, appliquée aujourd’hui uniquement aux jeux vidéo, pourrait être étendu sans encombre aux podcasts, qui comme eux, sont singuliers par leurs diverses composantes.

Cette approche est unique dans notre système législatif français et a été créée spécialement pour les jeux vidéo. Néanmoins, ne serait-il pas temps de l’ouvrir à d’autres créations inédites ?

Le statut d’œuvre complexe, pourtant intéressant sur le fond, reste cependant relatif quant à son application. En effet, à ce jour la jurisprudence ne s’est jamais prononcée en faveur de l’application d’un tel statut pour d’autres créations que les jeux vidéo. Il ne reste qu’à espérer un nouvel arrêt de principe de la Cour de cassation …

Dans le troisième et dernier volet de cette étude, il conviendra d’exploiter la différenciation entre podcast audio et vidéo, afin de pouvoir faire bénéficier ces créations d’un régime juridique adéquat.

Maelys Goudin-Nicoli
Juriste propriété intellectuelle et nouvelles technologies
Préparation CRFPA

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