Rappelons d’ores et déjà contrairement à la croyance encore erronée de certains juges du fond [1], que la contestation de la validité ou de la force probante d’un procès-verbal de constat d’huissier est une défense au fond au sens de l’article 71 du Code de procédure civile qui peut dès lors être proposée « en tout état de cause » en application de l’article 72 dudit Code [2].
Notons encore que les « constatations » des huissiers de justice « font foi jusqu’à preuve contraire » [3] de sorte d’ailleurs que leurs contestations « ne relève pas de la procédure d’inscription de faux » [4].
La question de la validité d’un procès-verbal de constat d’huissier s’attache en premier lieu à examiner un éventuel excès de pouvoir commis par l’huissier instrumentaire qui aurait le cas échéant, outrepassé ses pouvoirs qu’il tient de l’article 1er, alinéa 2, de l’ordonnance du 2 novembre 1945, aux termes duquel :
« (…) Les huissiers de justice peuvent en outre procéder au recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances et, dans les lieux où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, aux prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels. Ils peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter (…) ».
Interprétant ces dispositions, la jurisprudence retient classiquement que « (…) l’huissier de justice peut être requis par un particulier pour effectuer des constatations purement matérielles, sans pouvoir donner son avis sur les éléments de fait ou de droit qu’il constate, ni les interpréter ou les expliquer ; qu’il ne peut non plus se livrer à une opération intellectuelle ; (…) » [5].
La délimitation des pouvoirs de l’huissier est très claire de telle façon qu’il ne peut s’engager activement dans une quelconque démarche se matérialisant par exemple, par la création d’un compte client et l’acquisition d’un produit sur internet [6], par la comparaison de produits [7], ou encore, par le recueillement de l’identité de personnes et par le fait de leur poser des questions [8], et doit ainsi se borner à des constatations purement matérielles.
Il conviendra ainsi de relever très largement toute « opération intellectuelle » [9] à laquelle l’huissier aura pu se livrer ainsi que toute « initiative de sa part » à cet égard [10], incompatibles par nature avec une « constatation purement matérielle » au sens de l’article 1er, alinéa 2, de l’ordonnance du 2 novembre 1945, ce qui conduira à contester la validité d’un tel procès-verbal de constat.
Il est en deuxième lieu très fréquent qu’un procès-verbal de constat d’achat ou de saisie-contrefaçon soit produit aux débats afin de venir notamment fonder une action en contrefaçon.
Il conviendra en pareil cas de s’interroger sur les liens éventuels de dépendance unissant la personne qui assiste l’huissier de justice avec le requérant.
En effet, l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui consacre le droit à un procès équitable,
« commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante » [11].
Le droit à un procès équitable qui doit être respecté dès l’administration de la preuve, avait déjà connu une illustration jurisprudentielle en matière de procès-verbal de saisie-contrefaçon dans une affaire où la Cour de cassation avait considéré que « le droit à un procès équitable, consacré par » l’article 6.1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « exige que l’expert mentionné par » l’article L332-4, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle, « pour assister l’huissier instrumentaire ou le commissaire de police procédant à la saisie-contrefaçon d’un logiciel, soit indépendant des parties » [12].
Il est intéressant en troisième lieu de rappeler que l’explosion des litiges sur internet, a conduit les juges du fond à consacrer un certain nombre de règles impératives, destinées à conférer ou à dénier une valeur probatoire, à des constatations d’huissier de justice dressées sur internet.
En matière de manquements allégués dans un environnement numérique de plus en plus complexe et surtout très volatile, la preuve de faits juridiques s’est vue conditionner au respect de différentes précautions indispensables pour assurer leur pleine force probante.
S’il est vrai que la preuve d’un fait juridique est libre, encore faut-il que la preuve telle qu’elle est produite aux débats soit dotée d’une véritable force probante, laquelle est appréciée souverainement par les juges du fond [13].
Les juges du fond ont ainsi depuis fort longtemps [14] fixé le régime probatoire applicable aux constatations réalisées sur internet [15], en exigeant le respect d’un certain nombre de prérequis techniques que doit respecter l’huissier instrumentaire avant de dresser son procès-verbal de constat, à savoir :
1. préciser le matériel utilisé, l’adresse IP de l’ordinateur, le mode de navigation et le réseau de connexion utilisé ;
2. vider les caches de l’ordinateur utilisé ;
3. désactiver la connexion par proxy ;
4. supprimer l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur ainsi que les cookies et l’historique de navigation ; et
5. « annexer les extractions auxquelles il a été procédé » [16].
La jurisprudence des juges du fond est constante sur ce point [17].
Il convient de rappeler concernant plus spécifiquement le manquement à l’obligation de désactiver les proxy, que cette contrainte est loin d’être superflue dans la mesure où il :
« (…) n’est pas contesté que le proxy peut permettre l’accès à des pages web qui n’existent pas ou qui n’existent plus sur le site cible à la date des constatations ; (…) » [18].
Les Cours d’appel de Paris et de Lyon ont rappelé l’importance liée au respect de cette exigence technique dans deux arrêts rendus en 2016 et 2012 :
« (…) Qu’en l’espèce, l’absence de toute mention relative au serveur proxy dans les deux procès-verbaux ne permet pas de s’assurer que l’ordinateur dont s’est servi l’huissier de justice n’était pas connecté à un tel serveur et de le désactiver en cas de besoin, de sorte qu’il n’est pas possible de s’assurer que les pages visitées n’y ont pas été conservées, de sorte que l’on soit sûr que l’affichage porté à l’écran soit bien d’actualité (…) » [19] ;
« (…) Quant au constat de maître (…), sous les apparences du sérieux quant au respect du protocole effectivement déterminé par une jurisprudence déjà ancienne et jamais remise en cause, force est de constater l’énorme bévue de l’huissier instrumentaire qui mentionnait en toutes lettres dans son constat : ’L’ordinateur est relié à un serveur Proxy’ alors précisément qu’il faut impérativement que l’ordinateur utilisé ne le soit pas dans la mesure où il est établi scientifiquement que le serveur proxy peut permettre l’accès à des pages web qui n’existent pas ou qui n’existent plus sur le site cible à la date des constatations. (…) De plus fort il convient de rejoindre le juge des référés qui disait déjà à juste titre que la mention litigieuse de la présence ou non de ce serveur proxy jetait un doute sérieux sur la valeur probante des constatations effectuées par ailleurs (…) » [20].
Précisons concernant la position encore retenue par certains juges du fond [21] que le non-respect de ces diligences techniques préalables n’est pas sanctionné par la nullité du procès-verbal de constat (en l’absence de manquement à une quelconque disposition légale ou réglementaire) mais par le défaut de force probante des constatations ainsi effectuées.
Si le non-respect de la norme Afnor NF Z 67-147 du 11 septembre 2010 qui reprend les principes consacrés en cette matière par la jurisprudence ne fait l’objet d’aucune sanction en ce qu’elle ne s’apparente ni à une disposition légale, ni à une disposition réglementaire [22], il appartient toutefois au juge du fond d’apprécier souverainement la force probante d’un constat d’huissier dressé sur internet qui ne respecterait pas les prérequis techniques précisément établis par la jurisprudence afin de conférer ou non une force probante à ce type de pièce.
Il s’en déduit d’ailleurs que l’analyse de la force probante de ce type de preuve relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, échappant dès lors à l’appréciation en droit de la Cour de cassation [23].
Tout moyen de preuve doit être soumis à un contrôle par le juge et il serait fort regrettable de ne pas porter ce débat contradictoire devant la juridiction de jugement.