Nullité d’un licenciement pour inaptitude : le harcèlement ayant entraîné l’inaptitude n’empêche pas la réintégration.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Irene Gaston, Juriste.

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Explorer : # harcèlement moral # licenciement pour inaptitude # réintégration # nullité du licenciement

Le fait pour un salarié, dont le licenciement a été déclaré nul en application de l’article L1152-3 du Code du travail, d’avoir subi un harcèlement moral au sein de l’entreprise n’est pas de nature à le priver de son droit à réintégration, dès lors que l’employeur ne justifie pas que la réintégration du salarié est matériellement impossible.

-

La Cour d’appel de Paris a pu décider qu’au jour où elle a statué, cette impossibilité n’était pas caractérisée par une inaptitude constatée plusieurs années auparavant par le médecin du travail.

C‘est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 19 avril 2023 (n° 21-25.221) publié au bulletin.

1) Faits.

M. [K] a été engagé en qualité d’ingénieur commercial par la société I2S devenue Vision it group aux droits de laquelle vient la société Onepoint (la société) par un contrat de travail à durée indéterminée du 1er janvier 2001. Il a été nommé par le conseil d’administration en qualité de directeur général délégué non-administrateur à compter du 4 décembre 2008.

Le 6 avril 2017, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Ayant initialement saisi la juridiction prud’homale le 13 juin 2016 de demandes au titre d’un harcèlement moral, le salarié a demandé l’annulation de son licenciement, sa réintégration et le paiement d’une indemnité d’éviction.

La Cour d’appel de Paris [1] a reconnu l’existence d’une situation de harcèlement moral, à l’origine de l’inaptitude du salarié ayant conduit à la nullité du licenciement.

Elle a ordonné la réintégration du salarié.

Elle considérait que l’impossibilité de réintégration n’était pas caractérisée lorsque le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est jugé nul en raison de l’imputabilité de l’inaptitude à un harcèlement moral.

L’employeur s’est pourvu en cassation.

2) Moyens.

La société faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris d’ordonner la réintégration du salarié, de surseoir à statuer sur ses demandes tendant à voir fixer la moyenne de ses douze derniers mois de salaire à 14 333 euros et de condamner la société à lui payer une indemnité égale au montant de la rémunération brute qui aurait dû lui être versée entre le jour de son licenciement du 6 avril 2017, et le jour de sa réintégration effective, soit 14 333 euros par mois, et sur la demande de la société tendant à voir ordonner en cas de réintégration la déduction des revenus que le salarié a tirés d’une autre activité et le revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période allant de son licenciement à sa réintégration et la remise des documents en justifiant, alors :

« 1°/ qu’une impossibilité de réintégration est caractérisée lorsque le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est jugé nul en raison de l’imputabilité de l’inaptitude à un harcèlement moral ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les articles L1152-3 et L1226-2 du Code du travail ;

2°/ que le juge, tenu de motiver sa décision, ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu’en affirmant péremptoirement que l’avis d’inaptitude étant intervenu le 2 février 2017, l’état de santé de M. [K] avait nécessairement évolué depuis, la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ».

3) Solution.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur.

Lorsque le licenciement est nul, le salarié doit être, s’il le demande, réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent, demande à laquelle l’employeur est tenu de faire droit sauf s’il justifie d’une impossibilité de procéder à cette réintégration.

La Cour d’appel de Paris, après avoir retenu exactement que l’existence du harcèlement moral à l’origine de l’inaptitude du salarié ayant conduit à la nullité du licenciement ne constitue pas une impossibilité de réintégration, a pu décider qu’au jour où elle a statué, cette impossibilité n’était pas, par ailleurs, caractérisée par une inaptitude constatée le 2 février 2017.

4) Analyse.

Cette solution doit être approuvée.

L’existence du harcèlement moral à l’origine de l’inaptitude du salarié ayant conduit à la nullité du licenciement ne constitue pas une impossibilité de réintégration.

Par ailleurs, la Cour de cassation considère qu’au jour où la Cour d’appel de Paris a statué, cette impossibilité de réintégration n’était pas, par ailleurs, caractérisée par une inaptitude constatée le 2 février 2017.

Dans un arrêt du 10 février 2021 (n° 19-0.397), la Cour de cassation a considéré que le fait pour un salarié, dont le licenciement a été déclaré nul en application de l’article L1152-3 du Code du travail, d’être entré au service d’un autre employeur n’est pas de nature à le priver de son droit à réintégration, dès lors que l’employeur ne justifie pas que la réintégration du salarié est matériellement impossible.

Enfin, dans un tel cas de licenciement suite à un harcèlement moral, de l’indemnité d’éviction devront, en principe, être déduit les revenus de remplacement, notamment les allocations chômage [2].

Source : Cass soc 19 avril 2023 n° 21-25-221. F-B.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1CA Paris, 6-5, 7 octobre 2021, n° 18/08606.

[2Cass. soc. 3 juillet 2003, n° 01-44.717.

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Discussion en cours :

  • par BenoitL , Le 4 août 2023 à 19:57

    Merci, Maître, pour cet article.
    Mais du coup, puisque le salarié est inapte d’une inaptitude due à un harcèlement moral :
    - l’employeur ne pourra pas le licencier pour motif de cette inaptitude
    - l’employeur ne pourra pas le licencier pour un autre motif, cf. Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 février 2023, 21-16.258, Publié au bulletin
    - Resterait la voie, particulièrement étroite, ouverte par le Conseil d’Etat (cf. CE 12 avr. 2023, n° 458974), mais il suffit que le salarié soit un peu malin pour ne pas tomber dans le piège
    Du coup, Maître, à votre avis, qu’est-ce que l’employeur peut faire pour éviter de payer le salarié jusqu’à son décès ou au moins sa retraite (à supposer qu’on ait le droit de mettre à la retraite un salarié inapte ce qui est douteux) s’il vous plaît ?
    Vous remerciant

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