Le décret "open data" de juin 2020
Le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 s’inscrit dans le cadre du principe d’ores et déjà posé de publicité des décisions de justice, inscrit dans les trois codes suivants : Code de procédure civile, Code de procédure pénale et Code de justice administrative.
Cette publicité est assurée sous la responsabilité :
du Conseil d’État pour les juridictions administratives (Conseil d’État, Cours Administratives d’Appel et Tribunaux administratifs), dans les 2 mois à compter de la date des décisions rendues ;
de la Cour de cassation pour les juridictions de l’ordre judiciaire, dans les 6 mois à compter de leur mise à disposition au greffe.
Pour les décisions de l’ordre administratif, le texte ne prévoit pas de restrictions, toutes les décisions sont, par principe, concernées par la mise à disposition.
En revanche, pour celles de l’ordre judiciaire, le principe est que sont mises à disposition celles rendues publiques et accessibles à tous, sans autorisation préalable. Pour les autres, celles soumises à ladite autorisation, elles peuvent l’être « lorsqu’elles présentent un intérêt particulier ».
Le régime légale de "l’occultation" (terme qui vient chapeauter ceux d’anonymisation et de pseudonymisation) est identique pour les deux ordres : sont systématiquement occultés, les noms et prénoms des parties ou des tiers mentionnées dans la décision.
De façon complémentaire, si nécessaire, est également occulté "tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe."
Cette occultation complémentaire est prévue si la mise à disposition est susceptible de porter atteinte :
à la sécurité des personnes physiques mentionnées ou à leur entourage ;
ou au respect de leur vie privée.
Le décret a par ailleurs précisé les modalités de cette occultation complémentaire et notamment déterminer ceux pouvant en décider (présidents des juridictions), ainsi que les recours possibles pour les demandes d’occultation ou de levées d’occultation.
Le décret précise également les conditions de délivrance des copies aux tiers. On mentionnera notamment l’article 6 du décret, qui précise les modalités particulières des décisions rendues en matière pénale, soumises à de plus strictes conditions, le parquet pouvant s’opposer à la diffusion d’une décision en dépit de sa disponibilité de principe.
Les supports de la mise à disposition sous forme électronique ont été limitée à :
un portail internet placé sous la responsabilité du garde des Sceaux, ministre de la Justice ;
les sites internets du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
Les réactions à la suite de la parution du décret
Les institutions ont très rapidement réagi à la publication de ce décret.
Le Conseil National des Barreaux a voté une motion de censure lors de son assemblée générale du 3 juillet 2020 dans laquelle il "déplore le manque de contradictoire dans la décision sur l’occultation, rappelle ses vœux d’accès aux flux intègres au nom de l’égalité des armes et réitère sa vigilance sur le contrôle de la réutilisation des données judiciaires".
(Voir l’intégralité de cette motion ici.)
Le CNB s’est par ailleurs joint au Conseil d’État et à l’Ordre des avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État pour faire une déclaration commune dans laquelle les trois institutions considèrent notamment "que les travaux à venir devront : Associer le Conseil d’État, l’Ordre des avocats aux Conseils et le Conseil national des barreaux à la mise en œuvre des dispositifs de régulation et de contrôle tant des algorithmes utilisés pour l’exploitation des bases de données des décisions de justice que de la réutilisation des informations qu’elles contiennent (...)"
(Le communiqué est à lire dans son intégralité ici.)
Spécifiquement, du côté de l’open data des décisions judiciaires
Nous avions sollicité Estelle Jond-Nécand, conseillère référendaire à la Cour de cassation et directrice du projet Open Data, pour faire le point, à la mi-janvier 2021, sur l’état d’avancement des travaux relatifs à la mise à disposition des décisions des juridictions judiciaires. 2021 sera le début de mise en œuvre de l’open data des décisions de l’ordre judiciaire :
« L’article 4 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 a désigné la Cour de cassation en qualité de responsable de la mise à la disposition du public, sous forme électronique, des décisions de justice rendues par les juridictions judiciaires. Ayant anticipé cette nouvelle responsabilité, et grâce au développement, en 2019, d’un moteur de pseudonymisation fondé sur un modèle d’apprentissage automatique, et au développement actuel d’une interface d’annotation performante, la Cour de cassation se prépare à relever ce défi d’un point de vue technique. La Cour de cassation s’attèle également à la mise en œuvre concrète des dispositions des articles L. 111-13 et R. 111-10 à R. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, notamment s’agissant des occultations complémentaires prévues par ces textes. La Cour de cassation s’apprête ainsi à diffuser en open data l’ensemble des décisions rendues publiquement par la Cour de cassation à compter du mois de septembre 2021 et a pour objectif de diffuser les décisions rendues publiquement par les chambres civiles, sociales et commerciales des cours d’appel au cours du premier trimestre 2022 ».
De belles perspectives pour ce travail technique et au long cours, à la hauteur des ambitions et des enjeux pour notre État de droit. Et les choses avancent, doucement certes, mais sûrement.
Le groupe de travail interne à la Cour de cassation, installé en septembre 2020, a rendu ses conclusions à la mi-janvier 2021, sur une nouvelle étape de l’occultation des données dans les décisions de justice. Au-delà des seuls noms et prénoms, d’autres données moins évidentes peuvent en effet aussi conduire à l’identification des personnes mentionnées et il importe d’occulter ces éléments.
Les principales propositions "Open data – Occultations complémentaires" sont les suivantes :
Un traitement différencié des occultations complémentaires en tenant compte de la nature des contentieux ;
L’occultation des nom et prénom des professionnels cités dans la décision à l’exception des détenteurs d’un mandat ad litem ;
Un circuit de traitement déterminé dans les chambres de la Cour de cassation, sans trop alourdir la charge de travail des magistrats et des greffiers ;
Une nécessaire évolution des termes de remplacement des entités occultées pour améliorer l’intelligibilité des décisions pseudonymisées ;
L’absence de recommandation spécifique pour les occultations des éléments d’identification des magistrats et membres du greffe.
L’open data, c’est pour quand ? L’arrêté-calendrier d’avril 2021
L’arrêté du 28 avril 2021 "pris en application de l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives" indique les délais suivants :
Justice administrative :
30 septembre 2021 s’agissant des décisions du Conseil d’Etat ;
31 mars 2022 s’agissant des décisions des cours administratives d’appel ;
30 juin 2022 s’agissant des décisions des tribunaux administratifs.
Contentieux civil commercial & social :
30 septembre 2021 s’agissant des décisions rendues par la Cour de cassation ;
30 avril 2022 s’agissant des décisions rendues par les cours d’appel ;
30 juin 2023 s’agissant des décisions rendues par les conseils de prud’hommes ;
31 décembre 2024 s’agissant des décisions rendues par les tribunaux de commerce ;
30 septembre 2025 s’agissant des décisions rendues par les tribunaux judiciaires.
Contentieux pénaux :
30 septembre 2021 s’agissant des décisions rendues par la Cour de cassation ;
31 décembre 2024 s’agissant des décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière contraventionnelle et délictuelle ;
31 décembre 2025 s’agissant des décisions rendues par les cours d’appel en matière contraventionnelle et délictuelle ;
31 décembre 2025 s’agissant des décisions rendues en matière criminelle.
Les traitements des données personnelles et le décret de septembre 2021
Un nouveau décret a été publié le 30 septembre 2021 [3]. Son objet : préciser les modalités de fonctionnement des deux traitements automatisés de données à caractère personnel, respectivement dénommés « Décisions de la justice administrative » et « Judilibre », ayant pour finalité la diffusion éventuellement enrichie des décisions de justice des ordres administratif et judiciaire.
Selon Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, "la Cour de cassation entre dans une nouvelle ère : celle de l’open data des décisions judiciaires. La Cour donne désormais accès à près de 480 000 décisions pseudonymisées, grâce à un moteur de recherche innovant appelé Judilibre.
(...) Accompagner au plus près le citoyen dans son parcours procédural, partager la culture juridique avec le plus grand nombre et jouer pleinement son rôle d’institution au cœur de la société, voilà les objectifs que s’est fixés la Cour de cassation en lançant son nouveau site internet. (...)" [4]
2022 : les nouvelles avancées, et la remise du Rapport à la première présidente de la Cour de cassation et au procureur général près la Cour de cassation.
Après la mise à disposition des décisions rendues par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation à l’automne 2021, voici celle des décisions rendues par les cours d’appel administratives (mises en ligne sur le site du Conseil d’Etat à compter du mois de mars 2022) et des décisions rendues par les cours d’appel de l’ordre judiciaire en matière civile, sociale et commerciale (mises en ligne sur le site de la Cour de cassation à partir du mois d’avril 2022).
En chiffre, ce sont près de 35 000 décisions pour l’ordre administratif et 180 000 pour l’ordre judiciaire qui seront mises à disposition chaque année.
Source : Ministère de la Justice, 3 mai 2022.
En juin 2022, le rapport intitulé « La Diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence – Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ? » a été remis à Madame la première présidente de la Cour de cassation et à Monsieur le procureur général près la Cour, au terme duquel le groupe de travail (composé notamment de Loïc Cadiet, professeur à l’université Paris I, Cécile Chainais, professeure à l’Université Paris I, Jean-Michel Sommer, directeur du Service de documentation, des études et du rapport à la Cour de cassation, Sylvain Jobert, professeur à l’Université d’Angers et Estelle Jond-Necand, conseillère référendaire et directrice du projet Open data à la Cour de cassation.) a émis 34 recommandations.
Ce rapport, qui suit trois axes : un état des lieux de la diffusion des décisions de justice et de leur réception par les justiciables et les professionnels du droit, les perspectives offertes par l’ouverture des données décisionnelles et la formulation de 34 recommandations, est à télécharger sur le site de la Cour de cassation ici.
Le point d’étape annoncé lors des Rendez-vous des transformations du droit en octobre 2023.
La 7ème édition des Rendez-vous des transformations du droit s’est ouverte par une conférence devenue presque "traditionnelle" : un point d’étape sur le calendrier de l’avancement de l’open data des décisions de justice.
Intervenaient pour expliquer ce calendrier :
Edouard Rottier, Chef du pôle open data et diffusion de la jurisprudence à la Cour de cassation.
Agnès Talon, chargée de mission auprès du sous-directeur de l’organisation judiciaire et de l’innovation au Ministère de la Justice.
Camille Le Douaron, Cheffe du pôle data et projets numériques européens, Service de l’expertise et de la modernisation au Ministère de la Justice.
C’est l’étape des décisions des tribunaux de justice qui s’amorce désormais, soit selon Edouard Rottier "l’étape la plus importante puisque tout à fait nouvelle". C’est, comme le dit Camille Le Douaron, un "nouveau geste métier, des questions en matière éthique, en termes de protection des données, et d’organisation pour le travail entre le greffe et les magistrats".
Et ce sont d’abord 9 des tribunaux judiciaires les plus importants [5] qui vont se lancer, puisqu’en termes de volume, ils représentent à eux seuls 1/3 du flux annuel des décisions.
Ils seront prêts fin 2023 pour transmettre leurs décisions en matière civile à la Cour de cassation.
[Update] Voici le lien vers Judilibre qui permet de consulter les décisions civiles rendues par ces 9 tribunaux judiciaires.
Les juridictions moyennes prendront la suite en 2024, et les plus petites en 2025. Restera ensuite toute la matière pénale de premier et second degré, les Tribunaux de commerce et les tribunaux prud’homaux. (Actuellement, ce sont les décisions des tribunaux de commerce qui sont à l’étude.)
L’objectif final : l’utilisation et la réutilisation de ces données, par le citoyen et le professionnel...
Pour réécouter l’intégralité de la conférence c’est ici.
A suivre...
Ressources complémentaires
La Cour de cassation en partenariat avec l’ordre des avocats aux Conseils "a fait le choix de tirer parti des potentialités de l’intelligence artificielle en signant une convention avec les professeurs chercheurs d’HEC Paris et de l’Ecole polytechnique."
(Les détails de ce partenariat ici.)Un rapport "sur la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources" a été remis au Premier Ministre Jean Castex le 23 décembre 2020 par le député Eric Bothorel. Ce rapport vient éclairer la mise en œuvre du principe de l’ouverture par défaut et de la gratuité des données publiques et relève des "insuffisances ponctuelles, exemples à l’appui, et formule des recommandations pour y remédier".
Le Guide pratique de la publication en ligne et de la réutilisation des données publiques par la CNIL et la CADA.
Le webinaire : "La pseudonymisation des décisions de justice. Travaux du Lab IA avec la Cour de cassation et le Conseil d’Etat" dans le cadre des webinaires en vue des Rendez-vous des Transformations du droit.