[Point de vue] Un parlementaire peut-il être poursuivi pour détournement de fonds publics ?

Par Pierre-Henri Bovis, Avocat.

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Explorer : # détournement de fonds publics # immunité parlementaire # séparation des pouvoirs # moralisation de la vie publique

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L'article explore la complexité juridique entourant le détournement de fonds publics par les parlementaires, qui ne sont pas considérés comme des dépositaires de l'autorité publique. Il met en garde contre les risques de judiciarisation et d'ingérence judiciaire dans la vie politique, soulignant l'importance de protéger la séparation des pouvoirs.
Description rédigée par l'IA du Village

Si le jugement rendu dans le dossier des assistants parlementaires du Rassemblement National est largement critiquable sur les peines accessoires prononcées, il l’est tout autant sur la peine principale. L’intérêt ici n’est pas de faire de la moraline, ni de dire si les actes commis, ou non, par le RN et ses membres, sont bien ou mal. La question est de savoir dans quelle mesure des parlementaires, nationaux ou européens, peuvent faire l’objet d’une condamnation pour détournement de fonds publics, nonobstant les interprétations très contestables de la Cour de cassation en cette matière.

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L’infraction de détournement de fonds publics est définie à l’article 432-15 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction ».

Pour condamner un parlementaire de ce chef, il reviendrait donc à le considérer, soit dépositaire de l’autorité publique, soit chargé d’une mission de service public.

Or, selon l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, votent la loi et contrôlent l’action du gouvernement. Ils ne sont rattachés à aucune administration, ne sont dépositaires d’aucune autorité publique, ne sont dotés d’aucune prérogative de puissance publique et il n’existe aucun contrôle des objectifs atteints ou non de leur mission, par une quelconque autorité, si ce n’est le peuple souverain au moment des élections.

La Cour de cassation (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 janvier 2017, 15-25.561, Publié au bulletin) a d’ailleurs considéré, s’agissant des partis politiques que :

« (…) les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage et jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, le principe de la liberté de formation et d’exercice qui leur est constitutionnellement garanti s’oppose à ce que les objectifs qu’ils poursuivent soient définis par l’administration et à ce que le respect de ces objectifs soit soumis à son contrôle, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme investis d’une mission de Service public ».

Cette définition correspond également à celle des parlementaires dont l’élection est bien le résultat de l’expression du suffrage universel, quand bien même ces parlementaires ne seraient pas issus nécessairement d’un parti politique. Leur candidature « concourt à l’expression du suffrage et joue un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie ».

Pourtant, dans un objectif non dissimulé de moraliser la vie publique, les hauts magistrats ont détorqué les définitions pourtant constantes du Conseil d’état de la notion de service public pour considérer qu’un parlementaire « accompli des actes ayant pour but de satisfaire l’intérêt général, ce qui revient à considérer qu’il remplit une mission de service public »… dès lors qu’ils peuvent vérifier les conditions de détention des détenus... Nous apprécierons la légèreté avec laquelle les Hauts magistrats contredisent le Conseil d’état qui est à l’origine de la notion prétorienne de "service public".

En effet, dans une décision (Cass. crim., 27 juin 2018, n° 18-80.069, FS-P+B), la Cour de cassation approuve la chambre de l’instruction en ce qu’elle a relevé qu’il ne résultait pas de la lettre de la loi que le législateur ait entendu dispenser les parlementaires, parmi lesquels les sénateurs, du devoir de probité en lien direct avec les missions qui leur sont confiées. Les parlementaires n’ont pourtant aucun pouvoir de contrainte sur une quelconque autorité. Au surplus, il y a lieu de souligner là aussi la contradiction flagrante avec la doctrine administrative, laquelle considère que « la mission d’intérêt général n’est pas inéluctablement une mission de service public alors que la mission de Service public est nécessairement une mission d’intérêt général »

Judiciariser la vie publique en laissant l’institution judiciaire pénétrer l’hémicycle et contrôler l’action politique est dangereux pour notre démocratie, constitue une violation de la séparation des pouvoirs et donne la possibilité au juge d’interpréter les textes de loi au détriment de l’esprit du législateur - ce que le professeur de droit Edouard Lambert dénommait « le gouvernement des juges ». Un parlementaire serait donc soumis au contrôle du juge de l’utilisation de son indemnité, des sommes allouées à ses assistants et donc plus globalement à l’effectivité et la réalité de sa mission législative.

Or, n’est-ce donc pas le rôle des institutions, à travers leurs règlements, de contrôler l’affectation des fonds provenant de leur budget propre, et leur utilisation ? Que penser d’un magistrat ayant la compétence de solliciter la communication des agendas des élus, de leurs notes écrites et rédigées, des projets de loi en cours de rédaction, des éventuels rendez-vous avec d’autres partis politiques ? Quelle serait la limite et l’échelle de notation pour juger d’un travail effectif ou non d’un parlementaire ? Les dérives judiciaires sont trop importantes et font courir un risque inéluctable de pointer du doigt des décisions davantage politiques que juridiques, dans un temps où certains magistrats s’adonnent à des activités militantes.

S’il n’est pas audible de faire état de ces réflexions, celles-ci sont pourtant saines et nécessaires pour redéfinir le cadre législatif et le statut sui generis du parlementaire, dès lors que nous psalmodions inlassablement que nos élus ne sont ni en dessous, ni au-dessus des lois…

Pierre-Henri Bovis
Avocat au Barreau de Paris
phb chez raultbovis.fr

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