Peine civile pour la violation de la réglementation sur les meublés de tourisme : la chasse aux propriétaires d’Airbnb est ouverte.

Par Valentin Bergue, Avocat.

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Explorer : # réglementation des meublés de tourisme # sanctions civiles # droit de propriété # proportionnalité des sanctions

Les communes et les communautés d’agglomérations, notamment dans des zones attractives comme Biarritz et les communes de la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB) conduisent des politiques de régulation du marché des meublés de tourisme. Dans ces secteurs, les propriétaires sont autorisés par les collectivités à mettre en location leurs meublés de tourisme à condition de respecter une réglementation contraignante qui impose l’application du principe de compensation.

Afin de consolider la force contraignante de ces règlements, l’article 651-2 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH) offre aux personnes publiques la possibilité de saisir le juge judiciaire pour obtenir une condamnation financière des bailleurs de meublés de tourisme non-autorisés.

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L’article 651-2 du Code de la Construction et de l’Habitation : un arsenal répressif contre les propriétaires de meublés de tourisme.

En vertu de l’article 651-2 du CCH, les propriétaires qui enfreignent les règles relatives aux meublés de tourisme, particulièrement le principe de compensation, s’exposent à être condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à 50 000 euros par logement.

En outre, le tribunal peut ordonner, sous peine d’une astreinte maximale de 1 000 euros par jour et par mètre carré jusqu’au retour, dans un délai qu’il fixe, à l’usage d’habitation du local non-autorisé. À l’expiration de ce délai, la commune sera en mesure d’entreprendre l’expulsion des occupants ainsi que des travaux d’office, aux frais du propriétaire.

Le Président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, est compétent pour prononcer ces condamnations sur assignation de la commune concernée ou de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).

Le tribunal judiciaire compétent est celui du ressort où se situe le local irrégulièrement transformé. Pour les communes de la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB), telles que Biarritz, Bayonne ou Anglet, cela signifie que les assignations seront portées devant le tribunal judiciaire de Bayonne.

De longue date, la transformation de logements en meublés de tourisme sans autorisation est sanctionnée. La Cour de cassation a confirmé la possibilité pour les collectivités locales d’engager cette procédure de sanction. Ainsi, les juges retiennent qu’une utilisation même mixte (habitation et activité commerciale) sans une autorisation administrative préalable appropriée justifie l’application des sanctions prévues à l’article 651-2 [1].

Dans une affaire concernant un meublé de tourisme où un locataire avait sous-loué son appartement sur plusieurs sites internet sans autorisation administrative, la Cour de cassation a confirmé l’amende civile, tout en retenant également la responsabilité du propriétaire en ce qu’il avait permis cette sous-location temporaire [2].

Aujourd’hui validé par la Cour de cassation, ce dispositif répressif à l’encontre des propriétaires de meublés de tourisme doit également être apprécié à l’aune des corpus normatifs européen et constitutionnel.

Les droits et principes fondamentaux : ultime recours juridique pour les propriétaires de Airbnb.

L’article 651-2 du CCH soulève des questions quant à sa conformité avec les directives européennes, notamment la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur. Cette directive impose que les restrictions à la liberté d’établissement soient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

L’article 651-2 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH) constitue, par ailleurs, une mesure restrictive qui bride l’effectivité pleine et entière du droit de propriété ainsi que la liberté du commerce et de l’industrie, deux principes garantis par le bloc de constitutionnalité.

Les défenseurs de ces régulations du marché des meublés de tourisme arguent que les mesures visent à lutter contre la pénurie de logements et à protéger le maintien de la cohésion sociale au sein de ces zones de marché locatif tendu. Ils estiment que ces deux objectifs poursuivent un intérêt général.

Pour rappel, en 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a validé la réglementation française exigeant une autorisation préalable pour la location répétée de logements à des fins touristiques de courte durée, en la jugeant conforme à la directive 2006/123/CE [3].
La CJUE a estimé que cette mesure, visant à lutter contre la pénurie de logements abordables dans les zones à forte pression locative, répond à une raison impérieuse d’intérêt général. Cependant, l’Avocat général de la CJUE a émis des réserves concernant la proportionnalité des compensations exigées par certaines municipalités. Les exigences strictes de compensation, comme celles de Paris, pourraient être jugées disproportionnées et discriminatoires, surtout envers les petits propriétaires [4].

Le Conseil constitutionnel avait préalablement confirmé ce dispositif de régulation sur les meublés de tourisme par la voie d’un contrôle a priori de la loi qui permettait aux collectivités territoriales d’instaurer ce type de réglementation [5].

Bien que la CJUE et le Conseil constitutionnel aient validé les principes de régulation, ils ne se sont jamais prononcés sur la régularité de la procédure et des sanctions prévues par l’article 651-2 du CCH.

Pourtant, les montants des sanctions prévues à l’article 651-2 du CCH pourraient être perçues comme des atteintes disproportionnées aux principes protégés par les textes européens et constitutionnels.

Des peines civiles disproportionnées au regard du droit européen et du droit constitutionnel ?

L’article 651-2 du CCH place entre les mains du juge judiciaire le pouvoir de prononcer les sanctions relatives à la violation des articles 631-7 du CCH portant sur les autorisations de louer des meublés de tourisme.
Ce pouvoir de sanction aurait pu relever du pouvoir de police administrative, mais le législateur a entendu retirer cette prérogative du giron des collectivités territoriales. Cette compétence du juge judiciaire marque la conscience initiale de la gravité des peines prévues par l’article 651-2 du CCH.

En vertu de ces dispositions, le juge judiciaire est chargé d’opérer la balance entre l’intérêt général et les droits des propriétaires dans le cadre d’une procédure judiciaire soumise aux principes du procès civil. À son terme, le tribunal pourra, s’il l’estime justifiée, prononcer une sanction civile dont le montant devra être appréciée au regard de la gravité des faits rapportés.

Cette amende civile prévue par l’article 651-2 et malgré la validation par CJUE du principe des autorisations préalables pour l’exploitation d’un meublé de tourisme, ne doit pas constituer une entrave disproportionnée au marché. Le cas échéant, les montants des sanctions prévues par les textes de poursuite seraient disproportionnés par rapport à la faute commise. Par conséquent, au regard du droit de l’Union européenne, la peine civile serait considérée comme une entrave injustifiée à la libre prestation de services.

De même, le Conseil constitutionnel pourrait estimer, au terme d’une procédure incidente de Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que les dispositions de l’article 651-2 du CCH imposent des amendes civiles créant des atteintes excessives aux droits fondamentaux des propriétaires, tels que le droit de propriété ainsi que la liberté de commerce et d’industrie.

Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà limité les prérogatives d’investigation des Communes pour rechercher des propriétaires contrevenants aux réglementations sur les meublés de tourisme.
Une QPC a saisi le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité des articles L651-4, L651-6 et L651-7 du CCH, qui confèrent aux agents assermentés des services municipaux des pouvoirs étendus, notamment celui de visiter des locaux d’habitation pour contrôler leurs usages comme meublés de tourisme.

Par une décision du 5 avril 2019 [6], le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme le sixième alinéa de l’article L651-6 du CCH, qui permettait aux agents de pénétrer dans les logements sans l’accord de l’occupant et sans autorisation judiciaire. Ce texte violait le principe d’inviolabilité du domicile, droit garanti des propriétaires et des occupants par la Constitution.

En l’occurrence, la balance entre intérêt général et droits des propriétaires ne tourne pas toujours à l’avantage des collectivités territoriales.

Dès lors, les propriétaires de meublés de tourisme disposeraient encore de moyens de défense au cours des poursuites diligentées par les collectivités territoriales, en arguant la conventionnalité, la constitutionnalité et la proportionnalité des sanctions prévues par l’article 651-2 CCH.

Conclusion.

La régulation des meublés de tourisme par les sanctions civiles prévues à l’article 651-2 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH), vise à contrôler le marché des locations touristiques afin de lutter contre la pénurie de logements, particulièrement dans des zones attractives comme Biarritz, Anglet, Bayonne, la côte basque et plus généralement, le territoire de la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB).

Cependant, les sanctions sévères telles que les peines pouvant aller jusqu’à 50 000 euros par logement, l’astreinte de 1 000 euros par jour et par mètre carré ainsi que la possibilité de mener des travaux d’office, suscitent des doutes sur leur proportionnalité au regard du droit européen et du droit constitutionnel. Devant les juges judiciaires, la CJUE ou le Conseil constitutionnel, ces sanctions pourraient être contestées par les propriétaires pour leur impact potentiel sur les droits fondamentaux et le droit de l’Union européenne.

Toutefois, en prévision des poursuites engagées par les communes, propriétaires de Airbnb, assurez-vous d’être en règle, car la chasse est désormais ouverte !

Valentin Bergue
Urbanisme et environnement - Avocat au barreau de Bayonne
Droit administratif - Droit de l’environnement
vb chez bergue-avocat.com
www.bergue-avocat.com

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Notes de l'article:

[1CCass, soc., 7 décembre 1967.

[2CCass. 3e civ., 12 juillet 2018, n° 17-20.654 et CCass, civ. 3, 15 février 2023, n° 22-10.187.

[3CJUE, Grande chambre, 22 septembre 2020, n°C724/18 et C727/18.

[4Conclusions de l’Avocat général, 2 avril 2020, même affaire.

[5CCons 20 mars 2014, n° 2014-691 DC.

[6CCons, QPC, 5 avril 2019 n°2019-772.

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