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Interdire l’accès à la Nature ? Droits et devoirs pour un accès raisonné.

Par Mireille Klein, Responsable juridique.

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Explorer : # accès à la nature # droits et devoirs # préservation de l'environnement # Éducation à l'environnement

Interdire l’accès à la Nature, c’est interdire l’accès à un patrimoine commun à partager, c’est contrevenir à une liberté fondamentale.
Néanmoins, ce droit implique aussi des devoirs car il peut constituer une menace pour la Nature et une nuisance pour les populations locales. La sanction d’usages répréhensibles est largement possible et s’est vue récemment renforcée et facilitée.
Mais la liberté individuelle d’accès à la Nature – pour fondamentale qu’elle soit- apparaît avoir à être assortie en complément de la perception des devoirs correspondants, via une sensibilisation et une éducation à l’environnement dès le plus jeune âge.

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On peut en effet considérer cet accès comme une composante à part entière du « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement (de valeur constitutionnelle).
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 31 janvier 2020, a également rappelé que « …l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains (…) ».
Le code de l’urbanisme, lui-même, commence ainsi :« Le territoire français est le patrimoine commun de la nation » [1].

L’accès à la nature ne pose d’ailleurs pas la seule question de la liberté et des droits ; il soulève aussi celle de l’égalité des droits ; les périodes de restrictions liées à la crise sanitaire ont en effet occasionné - au nom de la pression récréative et de ses risques supposés sur le plan de la santé collective - des inégalités certaines en matière d’accès aux aménités environnementales.

L’accès à la Nature génère en réalité un véritable dilemme : choisir de permettre de découvrir pour sensibiliser – au risque de dégradations – ou interdire l’accès, - au risque de faire méconnaître et de réfréner l’amour de la Nature.

Dans les pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande, Estonie), l’allemansträtt s’entend comme un droit coutumier, séculaire et aujourd’hui de valeur constitutionnelle, de se déplacer à travers tout le territoire, les espaces naturels étant dans leur intégralité à considérer comme des espaces ouverts au public. Les propriétaires privés sont ainsi tenus – par un jeu de véritables servitudes - de tolérer de plein droit l’accès aux espaces naturels de leurs terrains, ceci expliquant notamment la rareté des clôtures assez surprenante dans ces pays.
De même en France, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 1854, la jurisprudence considère que les terrains non clôturés, ou dont l’interdiction d’accès n’est pas clairement portée à la connaissance du public, sont présumés ouverts au public, sous la réserve de ne pas y causer de dommage.

Le droit d’accès à la Nature est universellement plaidé au nom :
- de la randonnée et du tourisme vert ;
- de la nécessaire connexion à la nature ;
- de la sensibilisation et de l’amour de la Nature ;
- de ses bénéfices sur le plan de la santé humaine.

Néanmoins, ce droit implique aussi des devoirs car il peut constituer une menace pour la Nature et une nuisance pour les populations locales.

L’accès à certains espaces ou les usages anormalement exercés doivent pouvoir être restreints voire interdits au nom :
- de la conservation de l’intégrité des écosystèmes et/ou d’espèces protégées ou de la nécessité de réintroduction d’espèces et/ou d’études scientifiques ;
- de dégradations et pollutions dommageables ;
- de dangers pour la nature (départs de feux, introduction d’espèces exogènes prédatrices, atteintes aux ressources naturelles telle l’eau potable, accélération des risques naturels de type éboulis ou avalanches…) ou pour l’homme (accidents de montagne ou de randonnée…).

Ainsi, en France, des réglementations, régulant la liberté d’accès à la Nature, concernent, entre autres :
- en droit local Alsace Moselle, les forêts, la chasse et les ressources (mécanismes de gestion commune) ;
- le stationnement des caravanes et la circulation de véhicules motorisés ;
- la circulation pédestre, le bivouac et le camping, la cueillette (champignons…) ;
- la protection et l’accès au littoral via une servitude de passage et une servitude transversale pour l’accès au rivage ;
- les espèces ou habitats protégés (arrêtés de protection de biotope, cœurs de parcs nationaux, monuments naturels, paysages exceptionnels…) ou les ressources (périmètres de captage d’eau potable..).

Maires et représentants de l’Etat disposent à cet égard de pouvoirs de police :

- le Maire dispose de pouvoirs de police administrative générale et spéciale. Son intervention est en principe admise en présence de circonstances locales particulières ou d’un danger grave ou imminent [2]. Il est titulaire de pouvoirs de police spéciale lui permettant d’intervenir en matière environnementale, notamment sur la circulation dans les espaces naturels [3], sur les nuisances sonores (code de la santé publique, article L1311-1) ou encore sur la salubrité publique [4].
De plus, la loi n°2020-105 du 10 février 2020 dite « économie circulaire » permet désormais au Maire de procéder à la confiscation et à la mise en fourrière du véhicule ayant servi à déposer illégalement des déchets [5] et d’utiliser des moyens de vidéosurveillance pour constater les infractions [6]
Par ailleurs, les possibilités pour le Maire de prononcer des sanctions pécuniaires ont été accrues. Une amende de 15 000 euros peut ainsi être prononcée à l’encontre du responsable d’une décharge illégale et des dispositions permettent d’assortir d’une astreinte journalière la mise en demeure d’évacuer un véhicule hors d’usage abandonné [7]. En matière de débroussaillement, le Maire peut assortir d’une astreinte journalière les mises en demeure de procéder aux travaux prescrits en application de l’article L134-9 du Code forestier.

- le Préfet est titulaire de pouvoirs de police en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement [8], et d’eau [9], ceci lui permettant notamment d’agir en cas de risque de pollution ou de destruction du milieu naturel, ou pour la santé publique [10] et l’alimentation en eau potable, tandis que les autorités ministérielles interviennent, elles, en matière d’organismes génétiquement modifiés [11] ou encore de chasse [12].
Pour les collectivités en manque de moyens, une mutualisation de ces derniers est aujourd’hui possible. La loi « économie circulaire » permet en effet le transfert des pouvoirs de police en matière de lutte contre les dépôts sauvages [13] au Président de l’établissement public de coopération intercommunale ou du groupement de collectivités compétent en matière de collecte des déchets ménagers [14]. Facultatif, ce transfert -sur demande du ou de Maires et sans perte des pouvoirs de police générale- s’opère par arrêté préfectoral, après que l’ensemble des Maires des Communes membres et le Président du groupement de collectivités aient exprimé leur accord.
Dans les espaces protégés, la recherche et la constatation des infractions peuvent être réalisées soit par des officiers de police judiciaire soit par des agents spécialement assermentés et commissionnés (exemple : gardiens du littoral, agents de l’agence des aires marines protégées…).

La sanction d’usages répréhensibles est donc –on le voit- largement possible et s’est vue récemment renforcée et facilitée.

Il faut, pour être complet sur le sujet de la restriction des usages, aussi évoquer l’existence de permis obligatoires, payants et/ou limitatifs (permis de chasse, permis de pêche en eau douce ou depuis 2019, permis d’ascension pour le Mont blanc) sous surveillance de brigades ou gardes assermentés.

Ces mécanismes de sanction ou de régulation des usages sont indispensables dans la mesure où la liberté d’accès à la Nature reste et doit rester un droit fondamental.

Toutefois, ils doivent à notre sens être complétés par des mécanismes incitatifs via une conscience et une responsabilité collectives de la fragilité et du caractère essentiel –au sens premier du terme- de la préservation de la Nature. L’article 2 de la Charte de l’Environnement rappelle que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».

La liberté individuelle d’accès à la Nature – pour fondamentale qu’elle soit- apparaît donc avoir à être assortie de la perception des devoirs correspondants, via une sensibilisation et une éducation à l’environnement dès le plus jeune âge.
Le système scolaire peut avoir à cet égard un rôle fondamental qui reste à construire et à développer, ce que souligne une fois encore la Charte de l’Environnement [15] en déclarant que l’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la Charte.

Mireille Klein
Responsable juridique/référente RSE et enseignante en M2 et au CNAM/ secteur Grand Est

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Notes de l'article:

[1Code de l’Urbanisme, article L101-1.

[2Code général des collectivités territoriales, article L2212-4.

[3Code général des collectivités territoriales, article L2213-4.

[4Code général des collectivités territoriales, article L2212-2.

[5Code de l’ Environnement, article L541-46.

[6Code de la sécurité intérieure, article L251-2).

[7Code de l’ Environnement, article L541-21-3 et L541-21-4 (Loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 dite « Engagement et proximité »).

[8Code de l’ Environnement., article L511-1 et s..

[9Code de l’ Environnement, article L211-5.

[10Quelques fois, ces compétences font débat avec les pouvoirs du Maire cf. l’interdiction à l’initiative de certains Maires du glyphosate.

[11Code de l’ Environnement, article R533-1.

[12Code de l’ Environnement article L420-2.

[13Code de l’ Environnement, article L541-3.

[14Code général des collectivités territoriales, article L5211-9-2.

[15Article 8 de la Charte de l’environnement.

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