Les énergies renouvelables au détriment de la biodiversité ? Le juge dit non.

Par Mireille Klein, Responsable juridique.

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Explorer : # biodiversité # Énergies renouvelables # Étude d'impact # démolition

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Les énergies renouvelables peuvent-elles nuire à la biodiversité? Selon une décision de la Cour d'appel de Nîmes, non. Cette jurisprudence souligne l'importance de prendre en compte les questions environnementales et de trouver un équilibre entre différentes législations.
Description rédigée par l'IA du Village

Une première en France, la justice confirme la démolition de sept éoliennes au nom de la protection de la biodiversité, en priorisant la préservation de la biodiversité y compris face à l’exploitation des énergies renouvelables, et en avalisant l’insuffisance d’étude d’impact comme une règle d’urbanisme pouvant servir de fondement à une action en démolition.

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Cette jurisprudence (Cour d’appel de renvoi de Nîmes, 2e ch. sect. a, 7 déc. 2023, n° 23/00353 [1]) s’inscrit dans un courant de priorisation de la question environnementale et de prise de conscience de la nécessité de créer, à ce titre, des passerelles transverses entre les différentes législations.

L’enjeu était ici la préservation de la biodiversité, et plus particulièrement la protection de l’aigle royal dans une zone protégée (décès d’un aigle juvénile constaté en 2017 et d’un vautour moine en 2020).

Le préfet de l’Hérault avait délivré à la société Energie renouvelable du Languedoc, un permis de construire pour édifier sept aérogénérateurs et un poste de distribution au lieu-dit « Bernague », au nord-est de Lunas.

La construction avait été achevée en 2016, et le préfet de l’Hérault en avait déclaré la conformité le 19 juillet de la même année. L’annulation du permis de construire avait pourtant été confirmée par les juges de la juridiction administrative ultérieurement à sa mise en œuvre.

Diverses associations avaient par suite réclamé devant les juridictions judiciaires la démolition des éoliennes, mettant en avant que « toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique peut servir de fondement à une action en démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé (…) ».

Le jugement du Tribunal judiciaire de Montpellier leur avait donné raison le 19 février 2021, condamnant l’exploitant à démolir, sous astreinte, les sept éoliennes et le poste de distribution constitutifs de ce parc après l’invalidation du permis de construire par les juridictions administratives.

En appel, cependant, la Cour de Montpellier avait suivi l’argumentaire de l’exploitant le 3 juin 2021 (3ème chambre civile) et infirmé le jugement initial au motif que l’annulation du permis de construire le parc éolien avait été motivée par l’insuffisance de l’étude d’impact liée à la présence d’un couple d’aigles royaux sur le site et que l’insuffisance de l’étude d’impact n’était qu’une simple règle de procédure insusceptible de fonder une demande de démolition.

Par décision du 11 janvier 2023 [2], la Cour de cassation avait, quant à elle, pris le contrepied de cette décision et jugé que toute méconnaissance des règles d’urbanisme pouvait servir de fondement à une action en démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé ultérieurement, dès lors que le demandeur démontre un préjudice personnel résultant de la violation de ces règles.

Elle en a déduit que l’insuffisance de l’étude d’impact faisait partie des règles d’urbanisme dont la violation pouvait justifier l’action en démolition si, conformément à l’article L480-13 du Code de l’urbanisme [3], le permis de construire a été annulé par le juge administratif et si la construction se trouve dans une des zones protégées listées dans cet article.

L’affaire avait alors été renvoyée devant la Cour d’appel de Nîmes pour être rejugée.
La cour d’appel de renvoi a estimé le 7 décembre 2023 que l’ensemble des conditions tenant à l’annulation du permis de construire, à l’existence du préjudice et à la situation dans une zone protégée était réuni :

  • elle a mis en avant l’omission ou l’incomplétude de l’étude d’impact comme étant « de nature à nuire à l’information complète de la population, notamment au travers des associations dont il n’est pas contesté qu’elles ont pour objet de défendre notamment la bonne information de leurs adhérents sur les questions environnementales qu’elles cherchent à préserver, et également à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ». Et les juges d’en déduire : « Il s’agit donc d’une règle de fond d’urbanisme dont l’inobservation a conduit au prononcé de l’annulation du permis de construire ».
  • elle a admis le caractère avéré du préjudice : « Le préjudice subi en conséquence du non-respect de l’exigence d’une étude d’impact suffisamment complète tient (…) à la fois au défaut d’information des associations, de leurs adhérents et du public dont elles représentent les intérêts et à l’atteinte au site, que les associations ont précisément pour but de préserver, celles-ci ayant, en effet, pour objet statutaire la défense des intérêts du patrimoine environnemental (…) ».

« La réalité des atteintes environnementales sérieuses est par ailleurs avérée (…) et la société ne justifie pas de la mise en œuvre d’une solution technique efficace d’aménagement afin de remédier à la mortalité aviaire constatée ».

  • en ce qui concerne, enfin, la condition liée à la situation de la construction litigieuse dans une zone protégée, la cour a estimé qu’il était suffisamment démontré que le terrain en question se trouve dans un espace du patrimoine naturel et culturel montagnard [4] et dans un secteur délimité par le plan local d’urbanisme (PLU) au titre de la protection du cadre de vie [5]. Or, cette exigence de l’article L480-13 du Code de l’urbanisme est satisfaite du seul fait que le site est localisé sur l’une de ces zones.

On est donc bien loin des temps où l’étude d’impact sur l’environnement et la santé humaine n’était qu’un document à remettre, plus évalué à la présence, poids ou kilomètre de lignes que sur la base de sa crédibilité en termes de prévention des risques et de suivi de la compensation de ces derniers lorsqu’ils existaient. Cela a duré, tout de même, près d’une cinquantaine d’années, entre 1976 (date de création de l’étude d’impact à travers la loi sur la protection de la nature [6]) et 2020, date à laquelle les règles de droit de l’environnement ont enfin commencé à prendre corps par la sanction, via l’ensemble des juges en France…

Plus encore, cette jurisprudence signifie que l’objectif de préservation de la biodiversité peut venir s’opposer à celui de la production d’énergie renouvelable, pourtant également positionné dans un contexte de protection de l’environnement.

Même si cette histoire jurisprudentielle n’est pas encore close et même si l’enthousiasme est à tempérer en considération d’un délai de justice bien trop long (permis de construire malgré tout mis en œuvre) et d’une démolition trop tardive (délai de démolition porté de quatre à quinze mois par la cour de renvoi…), les avancées sont toutefois réelles et les garde-fous mis en place.

Il y en aura besoin pour garantir les écueils liés à la logique de silos (la lutte contre le dérèglement climatique ne converge de loin pas toujours avec la préservation de la biodiversité) notamment dans le cadre de l’accélération de la production d’énergie renouvelable et de la favorisation du développement de l’industrie verte voire dans celui de l’expansion du nucléaire en alternative aux énergies fossiles.

Force est de constater, au travers des récents textes, une priorisation des actions - certes théoriquement vertueuses sur le plan écologique - mais à destination anthropique par rapport à la préservation de la nature (facilités notamment mises en place par rapport aux dérogations espèces protégées).

Ne saurait-on pas trouver un mode législatif alliant tous les objectifs et mesurer, sans l’aide des associations et du juge, l’importance de la préservation de ce qui existe en respect du principe de non-régression ou du droit des générations futures très récemment consacré par le juge constitutionnel en matière environnementale ?

Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé tout récemment [7], en se basant sur l’article premier de la Charte de l’Environnement que « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».

Mireille Klein,
Responsable juridique/référente environnement RSE, Enseignante en M2 et au CNAM secteur Grand Est.

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Notes de l'article:

[2Cour de cassation, 11 janvier 2023, Pourvoi n° 21-19.778, Troisième chambre civile.

[3Article L480-13 : Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire : 1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L600-6, si la construction est située dans l’une des zones suivantes :
a) Les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mentionnés à l’article L122-9 et au 2° de l’article L122-26, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols (…).

[4C. urb., art. L122-9 et L122-26, 2°.

[5C. urb., art. L151-19 et L151-23.

[6Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.

[7Question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de la gestion des déchets nucléaires, décembre 2023.

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Discussion en cours :

  • par Eschyle 49 , Le 17 janvier 2024 à 12:26

    Voici la procédure administrative : l’histoire commence en 2004, lorsque le Préfet de l’Hérault accorde le permis de construire pour ce parc par arrêté, permis qui a été très rapidement attaqué par un collectif regroupant plus de 50 associations :
    <https://blog.landot-avocats.net/202...>
    Puis :
    1) Tribunal de MONTPELLIER, jugement 18/03.961 du 19 Février 2021 : https://www.ventdecolere.org/justice/demolition-eolienne-34-Bernagues-Tjudiciaire-Montpellier-22-2-2021.pdf
    2) Cour de MONTPELLIER, arrêt 21/01.649 du 03/06/23 : https://www.sitesetmonuments.org/IMG/pdf/arret_norg_21_01649_de_la_cour_d_appel_de_montpellier_du_3_juin_2021.pdf
    3) Cour de cassation, arrêt H 21-19.778 du 11/01/23 : file :///C :/Users/Beno%C3%AEt/Downloads/pourvoi_n%C2%B021-19.778_11_01_2023-1.pdf
    4) Cour de NÎMES, arrêt 23/00353 et 23/00634 du 07/12/23 : https://www.actu-environnement.com/media/pdf/jurisprudence/152.pdf
    Et après ? Voici les comptes de synthèse des derniers exercices de la Sarl ENERGIE RENOUVELABLE DU LANGUEDOC, notamment, pour 2019 : Bilan : + 18.573.800 €
    Capitaux propres : - 482.900 €
    Chiffre d’affaires : + 2.248.600 €
    Perte : - 712 300 €
    pour 2021 : Bilan : + 13.825.600 €
    Capitaux propres : - 2.341.600 €
    Chiffre d’affaires : + 1.744.900 €
    Cependant, les règles de base de l’industrie éolienne, consistent à :
    1) ne jamais être propriétaire du terrain d’implantation des machines, mais à le louer à l’agriculteur initialement appâté par des loyers alléchants, mais qui, in fine, devra financer la démolition de l’éolienne, tant la partie aérienne, que le socle enterré, soit un million d’€ par machine ;
    2) limiter à sept machines le nombre d’éoliennes constituant un chantier, pour contourner l’obligation de procéder à un appel d’offres ;
    3) avoir des structures sociales en forme de "poupées gigognes", dont l’élément final, propriétaire des éoliennes, est indépendant sur les plans juridique et capitalistique : quand le procès prend fin, en un mois, c’est la clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif, sans recours ;
    4) alors, l’État va devoir financer la démolition, soit au total sept millions d’€.
    Ensuite, des dizaines de recours contre les "poupées gigognes" vont échouer ; le roi étant nu, il deviendra impossible de construire la moindre éolienne ; enfin, l’élimination des 8.000 éoliennes actives entrainera la mise en cause des politiciens européens.
    C’est en ce sens que l’affaire des éoliennes de LUNAS constitue un cas d’école.

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