La place de l'avocat en post-sentenciel aujourd'hui. Par Roxane Salas, Avocat.

La place de l’avocat en post-sentenciel aujourd’hui.

Par Roxane Salas, Avocat.

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Explorer : # réductions de peine # rôle de l'avocat # réforme pénale # libération sous contrainte

Comparaison du rôle de l’avocat dans le fonctionnement de la réduction de peine et de la libération sous contrainte avant et après le 1er janvier 2023.

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Les réductions de peine, relevant du principe d’individualisation de la peine, ont été créées en 1972, et leur régime a été plusieurs fois remanié. La dernière réforme émane de la loi du 22 décembre 2021 applicable à compter du 1er janvier 2023.

Elles ne concernent évidemment pas les personnes détenues provisoirement dans l’attente de leur jugement.

Le système de l’application des peines en France est désormais scindé en deux catégories de détenus : ceux qui ont été incarcérés avant le 1er janvier 2023 et ceux qui ont été incarcérés après.

Nous verrons comment finalement la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 donne une place importante à l’avocat et par conséquent crée une distinction selon la solvabilité de la personne incarcérée. En effet, l’avocat est rémunéré 144 euros HT à l’aide juridictionnelle devant le juge d’application des peines. Il lui est dès lors impossible d’aller voir le détenu en détention, de récolter les pièces nécessaires avec le service d’insertion et de probation (SPIP) ou avec la famille qu’il faudra recevoir, de rédiger la requête, de se déplacer à l’audience et de plaider le dossier pour une telle somme.

Pour les personnes incarcérées avant le 1er janvier 2023, les réductions de peine sont prévues par les articles 721 et suivants du Code de procédure pénale. Il y avait trois catégories : le crédit de réduction de peine [1], les réductions de peines supplémentaires [2], et les réductions de peines exceptionnelles [3].

Alors que le quantum retranché était auparavant, pour partie, octroyé d’office, les personnes condamnées devront désormais justifier d’un comportement exemplaire pour pouvoir en bénéficier.

Pour les personnes incarcérées après le 1er janvier 2023, la balle est entièrement dans leur camp et dans celui du juge d’application des peines car plus rien n’est donné par avance et sans effort.

L’avocat aura donc une place prépondérante dans le processus d’exécution et de sortie de peine.

Par contre, le décret du 28 septembre 2022 crée une libération sous contrainte de droit pour les peines inférieures ou égales à deux ans.

I- Sur les réductions de peine avant le 1er janvier 2023.

1. Des crédits de réduction de peine (CRP) octroyés dès la condamnation.

Tous les détenus condamnés à une peine par les tribunaux français ont les mêmes droits quant aux CRP.

Avant la loi Taubira, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, un détenu en état de récidive légale ne bénéficiait pas des mêmes droits. Ceci n’est donc plus d’actualité.

Les détenus ont de manière systématique et sans démarches particulières trois mois de réduction de peine pendant la première année d’incarcération, suivis de deux mois de réduction de peine supplémentaire par année suivante, et 7 jours par mois de réduction pour la partie de la peine inférieure à 1 an [4].

Ainsi, dès le prononcé de la peine par la juridiction il est possible de déterminer quelle doit être la durée d’incarcération en retranchant ce crédit.

Exemple : Monsieur XXX a été condamné à 3 ans et 5 mois de prison ferme. Il bénéficiera alors d’une réduction de 3 mois la première année, suivie de 2 mois les deux années suivantes (ce qui représente 4 mois) ainsi que 7 jours / mois pour les 5 mois restants (ce qui représente 35 jours), soit une réduction totale automatique de 8 mois et 5 jours.

L’exception aux CRP automatiques concerne les actes de terrorisme sauf pour les actes qui concernent la provocation ou l’apologie du terrorisme.

Ainsi, dans ce système, l’avocat n’est pas utile et il suffit de ne pas faire de vague pour bénéficier des CRP.

2. Des réductions de peine supplémentaires (RPS) octroyés au mérite.

Les détenus ont la possibilité en fonction de leur comportement, et surtout de leur implication quant à leur future réinsertion, d’obtenir des RPS qui viendront s’ajouter aux CRP.

Pour obtenir ces RPS les détenus ont l’obligation d’avoir un comportement en adéquation avec une réelle repentance. Pour cela ils doivent avoir la volonté de travailler au sein de la prison, de reprendre leurs études dans le but d’obtenir un diplôme pendant la période d’incarcération, de suivre une formation, de suivre des soins dans le cadre d’une obligation de soin et de payer leurs "dettes" aux victimes ou au trésor public.

Les RPS sont donc accordées par le juge de l’application des peines et doivent être motivées.

Elles donnent droit à une réduction supplémentaire de 3 mois maximum par année d’incarcération et 7 jours / mois de réduction pour la partie de la peine inférieure à 1 an [5].

Pour un détenu en état de récidive les RPS sont accordées à hauteur de 2 mois maximum par année d’incarcération et 4 jours / mois de réduction pour la partie de la peine inférieure à 1 an.

En outre, les RPS ne sont pas à prendre pour acquis car elles peuvent être révoquées par le juge en cas de comportement inapproprié lors de l’incarcération.

Exemple :

Cas 1 : Monsieur XXX a été condamné à 3 ans et 5 mois de prison ferme. Pendant son incarcération il s’inscrit pour obtenir un CAP mécanicien, qu’il finit par obtenir, il est assidu dans ses études, s’investit tous les jours dans sa reconversion professionnelle et cherche actuellement un employeur pour sa sortie. Nous pouvons raisonnablement penser que les RPS lui seront accordées au maximum. Il bénéficiera alors d’une réduction de 3 mois de réduction par année d’incarcération (ce qui représente 9 mois), ainsi que 7jours / mois pour les 5 mois restants (ce qui représente 35 jours), soit une réduction totale au titre des RPS de 10 mois et 5 jours, qui viennent s’ajouter au CRP.

Cas 2 : Monsieur XXX, en état de récidive légale, a été condamné à 3 ans et 5 mois de prison ferme. Pendant son incarcération il s’inscrit à diverses formations, il est assidu dans ses études, s’investit tous les jours dans sa reconversion professionnelle et cherche actuellement un employeur pour sa sortie. Nous pouvons raisonnablement penser que les RPS lui seront accordées au maximum en état de récidive. Il bénéficiera alors d’une réduction de 2 mois de réduction par année d’incarcération (ce qui représente 6 mois), ainsi que 4jours /mois pour les 5 mois restants (ce qui représente 20 jours), soit une réduction totale automatique de 6 mois et 20 jours au titre des RPS, qui viennent s’ajouter au CRP.

Les deux notions ne se recouvrent pas, car des détenus peuvent ne poser aucun problème de discipline mais ne pas se préoccuper de leur réinsertion, et inversement.

CRP et RSP sont applicables à tous les condamnés placés sous écrou et même s’ils bénéficient d’une mesure d’aménagement de leur peine sous forme de placement extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique, permission de sortir ou autorisation de sortie sous escorte. En revanche, pour les condamnés exécutant une peine assortie d’une période de sûreté, les réductions de peine ne sont imputables que sur la partie de peine excédant celle-ci.

Dans ce système, la présence de l’avocat peut être utile à ce stade pour convaincre la commission d’application des peines (CAP). Mais l’interlocuteur privilégié est le conseiller d’insertion et de probation qui soutient le dossier lors des CAP.

3. Sur les réductions de peine exceptionnelle (RPE).

Une réduction de peine exceptionnelle peut être accordée aux détenus qui, grâce à leurs déclarations, ont permis de faire cesser ou d’éviter la commission d’une infraction.

Les déclarations peuvent avoir eu lieu avant la condamnation ou a posteriori [6].

Les RPE n’excèdent pas un tiers de la peine prononcée dans la limite de 5 ans maximum.

Beaucoup de personnes étaient satisfaites de ce fonctionnement car il permettait aux détenus, grâce aux CRP automatiques, de connaitre par anticipation la date à laquelle ils pouvaient sans effort particulier sortir de prison.

Ce système égalitaire et transparent laisse désormais la place concernant les personnes incarcérées à compter du 1er janvier 2023 à un autre calcul qui sera entièrement dépendant du comportement du détenu et de l’appréciation du magistrat.

Il semble dès lors important d’être suivi par un conseil afin de constituer un dossier en collaboration avec le SPIP.

II- Sur les réductions de peine à partir du 1er janvier 2023.

La nouvelle réforme de la loi remet tout en question concernant l’attribution automatique du crédit de réduction de peine. L’automatisme c’est fini !

Cette réforme n’est pas rétroactive et ne s’appliquera donc pas pour les détenus dont la peine est devenue définitive avant le 1er janvier 2023.

1. La fin des CRP / RPS au bénéfice d’une mesure de réduction individualisée.

Aujourd’hui les remises de peine ne seront plus accordées à l’ensemble des détenus de manière systématique mais bien au mérite. Mais pour l’application de cette mesure, la situation de chaque condamné est examinée au moins une fois par an.

Alors qu’auparavant le détenu avait droit à trois mois de réduction de peine d’office et devait démontrer son implication en terme de réinsertion pour les trois mois supplémentaires, il faudra maintenant se battre chaque année pour obtenir une réduction de six mois maximum.

Pour pouvoir en bénéficier le détenu doit respecter deux à quatre grands principes définis dans l’article 721 du Code de procédure pénale modifié par la loi du 22 décembre 202 :

- Le détenu doit avoir un comportement irréprochable. Il doit respecter le règlement et être impliqué dans la vie de la prison. Il ne doit pas avoir d’incident de comportement.

- Le détenu doit entreprendre une démarche de réinsertion cohérente, afin de justifier de sa volonté profonde de « changer de vie ». Pour cela il doit suivre des formations scolaires, universitaires ou professionnelles dans le but de pouvoir se réinsérer plus facilement à sa sortie. Il doit également être impliqué dans la vie de la prison en participant aux activités culturelles et physiques.

- Le détenu devra avoir commencé à indemniser les victimes ainsi que son éventuelle dette au trésor public.

- Si la condamnation faisait mention d’une obligation de soins, il faut absolument que celle-ci soit respectée sous peine de ne se voir accorder aucune remise de peine.

L’octroi de cette réduction de peine est soumis à l’appréciation du juge d’application des peines, qui après concertation pourra se prononcer sur le nombre de mois qu’il accorde à chaque détenu.

Vous l’aurez compris, pour pouvoir bénéficier d’une réduction de peine il faudra dorénavant être vraiment motivé et préparer en amont, avec l’avocat et le conseiller d’insertion et de probation, la commission d’application des peines.

2. L’aléa sur la durée octroyée au titre des réductions de peine.

La durée octroyée à chaque détenu pourra varier du quitte au double en fonction des éléments sus mentionnés au paragraphe II (1.).

La durée maximale accordée par le juge d’application des peines ne pourra excéder 6 mois par année complète d’incarcération et 14 jours / mois pour la partie de la peine inférieure à 1 an.

Exemple : Monsieur XXX a été condamné à 3 ans et 5 mois de prison ferme. Il bénéficiera alors d’une réduction de 6 mois maximum par année d’incarcération (ce qui représente 18 mois) ainsi que 14jours / mois pour les 5 mois restants (ce qui représente 70 jours), soit une réduction totale maximum de 20 mois et 20 jours.

L’exception concerne toujours les actes de terrorisme (pas de réduction de peine possible) sauf concernant la provocation ou l’apologie du terrorisme.

Les juridictions pénales évoluent aussi bien dans le temps que dans l’espace. Ainsi, la réforme en question ne pourra qu’augmenter la disparité et l’inégalité de traitement entre les détenus.

Le traitement inégal selon que l’incarcération a eu lieu avant ou après le 1er janvier 2023 fera écho à un traitement inégal selon la juridiction compétente territorialement. Le pouvoir d’appréciation du magistrat dans la lecture de la fiche pénale et dans l’appréciation du rapport produit par le SPIP augmente la marge de manœuvre possible sur un dossier qui sera assise sur la totalité de la réduction de peine qui peut être octroyée.

Désormais, tenue de rendre compte pendant toute la durée de la détention, la personne incarcérée ne peut plus vivre sa détention de manière passive si elle entend profiter d’une réduction de peine. Un contact régulier avec son conseil et avec le conseiller d’insertion et de probation est essentiel.

III La systématisation de la libération sous contrainte pour les peines inférieures ou égales à deux ans.

La libération sous contrainte (LSC) a été créée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 afin de permettre une sortie progressive de détention dans une perspective de réinsertion et pour éviter les sorties sèches.

Devenue au fil du temps et au regard de la surpopulation carcérale un véritable outil de gestion des stocks de prisonniers en fonction des places disponibles en détention, son examen par le juge d’application des peines devient systématique en 2019 avec la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 concernant les personnes qui exécutent des peines inférieurs ou égales à cinq ans.

La loi du 22 décembre 2021 et son décret d’application du 28 septembre 2022 érige la LSC en véritable droit pour les personnes qui purgent une peine inférieure ou égale à deux ans de prison et pour lesquelles il reste moins de trois mois à effectuer, que le juge de l’application des peines ne peut refuser que par une motivation spéciale consistant à démontrer que cette libération est matériellement impossible (pas de logement par exemple).

A cet effet, le SPIP doit fournir un avis sur la situation du détenu et les impossibilités éventuelles.

C’est ainsi que la personne incarcérée pour une peine inférieure à deux ans pourra, sauf impossibilité constatée, sortir trois mois avant la fin de sa peine sous bracelet électronique.

Par contre, la personne incarcérée pour une peine supérieure à deux ans, contrainte à une participation active à la vie carcérale afin de convaincre le juge d’application des peines de réduire le quantum de peine à exécuter, devra également se battre pour bénéficier d’une mesure d’aménagement en fin de peine. Sa situation sera examinée automatiquement si la peine qu’il exécute est inférieure ou égale à cinq ans.

Pour les peines supérieures ou égales à cinq ans, rien n’est prévu de façon systématique. L’assistance d’un avocat sera alors très utile. Au regard de la rémunération modique prévue par les textes au titre de l’aide juridictionnelle devant le juge d’application des peines, le dévouement du conseil sera peut-être malheureusement fonction de sa rémunération. C’est donc pour ces détenus que la justice sera la plus discriminatoire.

Roxane Salas
Avocat
Barreau de Montluçon

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[1C. pr. pén., art. 721 anc.

[2C. pr. pén., art. 721-1 anc.

[3C. pr. pén., art. 721-3 anc.

[4Ancien article 721 du Code de procédure pénale.

[5Ancien article 721-1 du Code de procédure pénale.

[6Ancien article 721-3 du Code procédure pénale.

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