Plan de redressement des conseils de prud’hommes : urgence !

Par Alexandra Sabbe Ferri, Avocat.

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Explorer : # justice prud'homale # délais judiciaires # réformes judiciaires # responsabilité de l'État

"La qualité du service que rendent les conseils de prud’hommes au justiciable n’est pas satisfaisante, pas plus que leur fonctionnement. En première instance comme en appel, les délais sont trop longs et les stocks augmentent en dépit des réformes du droit du travail qui ont réduit le volume des contentieux." Cour des comptes, juin 2023...

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Dans ses observations définitives de juin 2023, la Cour des comptes dresse un bilan alarmant de la situation des conseils de prud’hommes.

Elle invite le ministère de la justice à engager, sans délai, un plan de redressement à partir de neuf recommandations.

Le constat est sans appel : "la qualité du service que les conseils de prud’hommes rendent au justiciable n’est pas satisfaisante, pas plus que leur fonctionnement".

Il résulte de l’analyse documentée et précise des 2 principaux indicateurs de performance retenus :
- délai moyen de traitement des affaires ;
- délai théorique d’écoulement du stock des procédures.

En bref, selon la Cour des comptes, les réformes successives depuis 2008, et surtout 2016, ont eu pour conséquence de réduire le nombre de nouvelles affaires introduites devant les conseils de prud’hommes, mais « n’ont guère amélioré ses performances. »

Cette observation est pudique dès lors que les chiffres et explications fournis démontrent une dégradation persistante de la justice prud’homale, en dépit des réformes.

En tant qu’avocat plaideur au conseil de prud’hommes depuis 2004, j’en suis une observatrice consternée.

C’est en raison de l’augmentation préoccupante des délais judiciaires dans nos dossiers et, de ce fait, des réticences de plus en plus marquées de nos clients à engager un contentieux prud’homal, que nous avons décidé d’agir.

Notre action vise à mettre en cause de façon systématique la responsabilité financière de l’État au titre des retards de justice, afin de l’inciter à mettre en œuvre rapidement un plan de redressement efficace, sous peine de voir lourdement augmenter, pour lui, le coût de ces retards injustifiables.

Car, l’effet pervers du dysfonctionnement de la justice prud’homale est de conduire au déni de justice, c’est-à-dire à la réduction de l’accès à la justice, droit fondamental s’il en est, puisqu’il est le garant du respect des droits et obligations des employeurs et des salariés et donc de la bonne régulation du marché du travail.

Et c’est essentiel de le souligner, l’impérieuse nécessité de disposer d’une justice prud’homale performante ne tient pas uniquement aux enjeux juridiques, d’accès au droit et d’accès à la justice, mais tout autant aux enjeux économiques.

La richesse de nos entreprises, et donc de notre économie, repose sur ses acteurs, c’est-à-dire sur l’ensemble des 26 millions de travailleurs du secteur privé. Or, comment réguler efficacement les relations de travail sans une justice prud’homale de qualité ?

Les 9 recommandations de la Cour des comptes, issues de ce rapport, m’ont séduite parce qu’avant d’envisager la moindre nouvelle réforme d’envergure aussi inutile que les précédentes si elle reste dans les cartons, elles visent à utiliser l’existant, mais à l’utiliser vraiment, pour le faire fonctionner correctement.

Les magistrats de la rue Cambon ne proposent pas une énième réforme. Ils recommandent de mettre en œuvre effectivement les précédentes réformes, de « manière coordonnée et volontariste ».

J’aime ce minimalisme, plein de bon sens, et je crois à son efficacité : la justice prud’homale est gangrénée par des aberrations de fonctionnement, dont j’ai découvert d’autres exemples dans ce rapport. Mettons-y déjà un terme avant d’inventer la nouvelle usine à gaz !

J’espère que les principaux intéressés, et disons-le, les principaux mis en cause par ce rapport qui ne sont pas les conseillers prud’homaux mais les services du ministère de la justice, sauront accueillir cette critique constructive et mettre en œuvre sans délai ce plan de redressement.

Pour finir cette tribune, je salue le travail des 13 482 conseillers prud’homaux qui font ce qu’ils peuvent, avec ce qu’ils ont, sans une rémunération décente à la mesure de leur investissement.

Alexandra Sabbe Ferri
Sagan Avocats

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Discussions en cours :

  • par Storne didier , Le 29 août 2023 à 23:26

    CPH pendant 15 ans j ai pu vivre de près les conditions d exercice de cette juridiction bi centenaire. Pour faire des économies de bouts de chandelle, il a été décidé de supprimer les élections au profit d une désignation sans rapport avec la réelle volonté de servir. Au surplus les ordonnances par une limite sévère des pouvoirs des juges ont parachève les dommages... A quoi fallait il s attendre d autre que l actuelle gabgi ?
    Je suis très sincèrement convaincu que le véritable projet de longue date est de supprimer cette exception Française. Force m est faite de croire mon analyse prémonitoire. Ceci dit des lors que les bénévoles devront être remplacés par des professionnels d ores et déjà surbookés (actuellement les departiteurs) je ne suis pas bien que financièrement la société y trouve son compte.
    Ma grand mère a juste titre disait que ce n est jamais en cassant le thermomètre que l on fait baisser la fièvre !

    Et si on faisait un retour arrière pour revenir à ce qui fonctionnait pas si mal mais sans être toutefois parfait et améliorable par une vraie formation confèrent une qualification reconnue.

    Cordialement

    Dst

  • par M° Marjolaine RENVERSEZ , Le 29 août 2023 à 17:55

    Si la justice est dans un état de clochardisation, c’est que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif de concert depuis la IV république et surement même avant considèrent qu’il faut réduire au maximum son autorité pour éviter les poursuites de leurs membres en le lui fournissant aucun moyen .

    Il est regrettable que l’administration ( la cour des comptes) se permette de critiquer le fonctionnement de la justice prud’homale, même si ses observations sont pertinentes, sauf à méconnaitre le principe de séparation des pouvoirs.

    Si la justice du monde du travail disposait des mêmes moyens financiers et humains que la Cour des comptes , les citoyens auraient des jugements motivés dans les trois mois de la saisine des CPH et ne devraient pas attendre 24 mois en première instance et 5 ans de la Cour !

  • par BenoitL , Le 27 août 2023 à 22:19

    Maître,

    Merci d’avoir attiré l’attention des lecteurs de VJ sur l’existence de ce rapport, dont je me permets de donner le lien : https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-06/20230622-S2023-0498-Conseils-de-prudhommes_0.pdf

    Cordialement,

    Benoît L
    Conseiller CPH
    Défenseur syndical

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