Conformément aux dispositions de l’article L3131-15 du Code de la santé publique, le Premier ministre a édicté le décret du 29 octobre 2020 en vue de prévoir un certain nombre de restrictions de libertés.
L’article 3 de ce décret prévoit que
« III. - Les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public autres que ceux mentionnés au II mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes sont interdits (… ) ».
Cette obligation est réprimée par les dispositions de l’article L3136-1 du code de la santé publique qui prévoit une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe (135 euros).
I- Quel est le champ d’application de l’interdiction des rassemblements, réunions et activités à plus de six ?
La contravention ne concerne que l’espace public. Ainsi la voie publique (A) ou les établissements recevant du public sont concernés par cette interdiction (B).
A) L’application certaine à la voie publique.
Il s’agit des voies de circulation ouverte au public mais également les voies privées ouvertes à la circulation publique.
Lorsque l’on fait référence aux voies publiques, en réalité, on renvoie à la définition du domaine public.
Le domaine public est défini à l’article L2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques. Ce sont les biens qui appartenant à une personne publique sont affectés soit à l’usage direct du public soit affecté à un service public à condition qu’il fasse l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution d’une mission de service public.
L’application de l’interdiction de rassemblement, réunion ou activité à plus de six personnes est extrêmement large.
B) L’application indiscutable aux lieux recevant du public.
Les établissements recevant du public sont définis par la loi.
L’article R123-2 du Code de la construction et de l’habitation
« Pour l’application du présent chapitre, constituent des établissements recevant du public tous bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non.
Sont considérées comme faisant partie du public toutes les personnes admises dans l’établissement à quelque titre que ce soit en plus du personnel ».
L’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales relatif à l’ordre public quant à lui donne des exemples concrets de lieux recevant du public. Il s’agit « les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises » auxquels il faut ajouter par exemple les halls de gares ou d’aéroports, les cimetières, etc.
Deux conditions pour qualifier un ERP :
1ère condition : une condition matérielle : Un ERP peut être un bâtiment, mais encore un local ou une enceinte ;
2nde condition : une condition finaliste : Le lieu doit avoir pour finalité de recevoir du public ou des réunions avec une admission libre ou conditionnée à une participation financière directe ou indirecte.
Le Code de la construction et de l’habitation en énumère une liste en tenant compte des types et des catégories.
La nature de l’activité exercée au sein de l’établissement est donc le critère essentiel pour déterminer s’il s’agit d’un ERP ou non.
Un seul point apparait indiscutable, un domicile privé, n’est pas un ERP.
II- Pourquoi pensions-nous que cette infraction s’appliquait dans les lieux privés ?
« Connaître ses droits, c’est se réapproprier le contrôle de sa vie » pouvais-je écrire dans un autre article.
Plusieurs éléments ont contribué à cette ambiguïté.
A) L’ignorance regrettable du droit par les citoyens.
Tout le monde connait cette fiction juridique selon laquelle, « nul n’est censé ignorer la loi ». Pourtant, bien peu sont ceux qui la connaissent et ce y compris parmi les juristes.
En effet, comme dans l’allégorie de la caverne, l’acquisition de la connaissance demande un effort qui bien souvent ne se réalisera pas. Comme l’ombre sur les parois de la grotte, le citoyen lambda a une représentation erronée de la réalité juridique.
N’ayant pas la connaissance des dispositions juridiques qui impactent l’ensemble de ses libertés, ce dernier n’a en réalité jamais été lire les dispositions règlementaires qui régissent l’ensemble de sa vie.
A tort !
B) L’ambiguïté de la communication gouvernementale.
La force de ce Gouvernement est sa communication. Si les citoyens ne vont pas s’enquérir de la connaissance des règles de droit, en revanche d’aucun ignore l’existence des gestes barrières, du couvre-feu, du confinement ou de toutes les autres mesures mises en place dans le cadre de la lutte contre la pandémie.
Cependant, cette communication a la fâcheuse tendance à flirter avec l’illégalité.
Les « recommandations » gouvernementales font naître dans l’esprit des citoyens l’existence de restriction qui en réalité ne reposent sur aucune base juridique.
On peut ainsi lire sur le site du gouvernement, la liste des « recommandations ».
Ces recommandations ont fait penser au citoyen lambda que de tels rassemblements au domicile n’étaient pas autorisés.
Ce procédé est extrêmement critiquable dès lors que le respect de la sphère privée constitue un élément permettant de distinguer l’Etat de Droit de l’Etat totalitaire.
C’est d’ailleurs en raison des principes constitutionnels [1] et conventionnels [2] que les mesures règlementaires prises jusqu’à ce jour n’ont jamais concernées la sphère privée.
Le droit au respect de la vie privée implique une défense contre les intrusions extérieures, mais aussi une liberté d’agir dans la sphère privée.
Surtout, et comme l’a rappelé récemment le Conseil d’Etat, de telles recommandations pourraient être attaquées en justice.
Ainsi a été jugé que
« 3. Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre » [3].
Cet arrêt concernait un recours demandant l’annulation des modèles d’attestation de déplacement.
Il est ainsi clairement établi que la communication gouvernementale est sur le plan juridique très discutable dès lors qu’elle emporte des conséquences sur le comportement des citoyens qui restreignent eux même leur liberté d’agir au sein de leur domicile en pensant respecter une obligation juridique sous peine de contravention.
C) Le rôle discutable de la presse.
La presse n’a pas non plus aidé à une bonne information sur la coercivité ou non de cette obligation. En effet, les journaux ayant titrés « fêtes clandestines » ne se comptent plus [4].
Tout d’abord, le terme clandestin fait penser au fait qu’il s’agit de quelque chose d’illégale. Or, aucune disposition règlementaire ou légale n’interdit les rassemblements à plus de six dans l’espace privé.
Ensuite, il est impératif de connaître le lieu où l’infraction a été établie.
Exemple : sortie du domicile, un tel rassemblement est interdit. Ainsi, une interpellation de personnes ayant participé à une fête « clandestine » sur le parking d’un gîte, ne constitue pas une interdiction de rassemblement dans les lieux privés.
Cette information est très souvent absente. En effet, dès que les individus se trouvent dans l’espace public ou dans un lieu recevant du public, l’infraction est constituée. Cependant, il ne s’agit pas d’une infraction commise dans la sphère privé dès lors que rien n’interdit d’être à plus de six à son domicile.
Il est ainsi clairement démontré qu’il n’existe aucune infraction lorsque l’on se trouve à plus de six dans la sphère privée.
III- Quid de la répression pénale d’un rassemblement, d’une réunion ou d’une activité dans la sphère privée ?
Une telle contravention serait entachée d’illégalité. Pourtant, certaines d’entre elles ont été établies.
Dans la sphère privée, les agents verbalisateur ont eu recours à deux stratagèmes :
1. Obtenir l’autorisation de l’occupant (propriétaire ou locataire) de pénétrer dans les lieux privés afin de constater les infractions contraventionnelles ;
2. Recourir à la procédure de flagrance.
Sur le premier point, on ne saurait rappeler l’importance, dans le cadre d’un évènement privé à plus de six personnes, de ne jamais consentir à l’introduction des forces de police dans un domicile privé et ce même en cas d’insistance des forces de l’ordre.
S’ils veulent pénétrer dans les lieux, ils devront obtenir un mandat dont les conditions de fonds et de formes ne pourront pas être remplies dans une telle hypothèse [5].
Les contraventions émises ne reposeront sur aucune base légale dès lors que l’interdiction de rassemblement ne concerne pas les lieux privés.
Malheureusement, le montant de la contravention de 135 euros sera suffisamment dissuasif pour inviter les contrevenants à cesser une telle activité. D’autre part, recourir aux services d’un avocat emportera des frais supérieurs au montant de la contravention elle-même.
Dans les faits, le résultat souhaité par la politique gouvernementale sera obtenu y compris dans l’espace privé.
Sur le second point, la procédure de flagrance est définie à l’article 53 et suivant du code de procédure pénale. Cette procédure pourrait à première vue permettre aux forces de l’ordre de s’introduire dans le domicile privé pour constater l’existence d’un délit ou d’un crime.
Bien entendu, de tels évènements privatifs ne constituent pas une infraction et encore moins un crime ou un délit.
Pour échapper à cette contradiction, les agents verbalisateurs qualifieront les faits en délit de mise en danger d’autrui.
IV- Quid du délit de mise en danger d’autrui ?
Rappelons les dispositions de l’article 223-1 du Code pénal :
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Les conditions de ce texte sont triples :
1. Méconnaissance d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ;
2. Exposition direct d’autrui à un risque immédiat de mort immédiate ou de blessures de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente ;
3. Une violation manifestement délibérée.
L’interdiction des rassemblements, réunions et activité à plus de six personnes constitue dans les espaces publics et les ERP une obligation particulière de sécurité. Cette obligation est distincte de l’obligation générale de prudence dès lors qu’elle appelle un comportement particulier. La première condition semble donc acquise, mais seulement pour les lieux publics.
Qu’en est-il des deux autres ?
L’exposition à un risque immédiat de mort ou d’infirmité ou mutilation.
Le risque de mort ou de blessure particulièrement grave est très discutable. En effet, la létalité du virus est inférieure à 1%. Egalement 94% des formes graves sont réalisées par les plus de 65 ans et plus, et ce, avec un âge médian de 85 ans [6].
Le caractère immédiat est également discutable dès lors que le virus du SARS COV 2 implique un délai de 2,1 jours entre les premiers signes cliniques et le diagnostic. Ce délai est allongé entre la date des premiers signes cliniques et l’éventuel décès.
Or, le lien de causalité doit être direct et immédiat [7].
Si le résultat de mort, d’infirmité ou de mutilation est indifférent sur la question de la qualification de l’infraction en cause, en revanche, autrui doit être exposé directement et immédiatement au risque.
Cette condition n’est nullement remplie.
La violation manifestement délibérée.
Il faut une triple conscience et connaissance pour que cette infraction soit reconnue :
1. L’auteur doit avoir conscience et connaissance de la présence d’autrui ;
2. L’auteur doit avoir conscience et connaissance de méconnaître une obligation particulière de prudence et de sécurité ;
3. L’auteur doit avoir conscience et connaissance que par son comportement il peut causer un risque de mort, mutilation ou infirmité.
Sans nier les morts de ce virus, on peut affirmer sans difficulté que le délit de mise en danger d’autrui est particulièrement inadapté à l’interdiction en cause que le rassemblement se passe tant sur le domaine public que dans la sphère privée.
En effet, il est nécessaire de caractériser un niveau élevé de culpabilité. Or, il est évident qu’un restaurateur qui ouvre son restaurant pour accueillir du public, ou un repas entre amis à plus de six personnes à son domicile n’emporte pas la conscience et la connaissance exigée par le texte.
Dans pareilles circonstances, il convient de contester de telles infractions et de refuser toute composition pénale qui implique une reconnaissance de la commission d’une infraction.
Le recours à ces procédés visent à maintenir la population dans la peur et la croyance légitime qu’ils doivent scrupuleusement respecter les mesures gouvernementales y compris dans leur foyer.
Ainsi, il convient de se réinformer sur ses droits et de mettre fin à cette ignorance coupable qui cause bien plus de mal que ce virus.
Discussions en cours :
Bonjour,
Merci pour votre très clair et rassurant article.
J’aurais cependant une question pour plus de précision :
Pour un mariage (25 personnes) le rassemblement est autorisé en mairie pour 30 personnes :donc pas de soucis.
Les festivités toujours avec 25 personnes auront lieu dans le gite d’un ami prêté à titre gratuit, ce lieu est-il considéré comme une structure privée ou pas ?
Merci d’avance pour votre retour
Bien cordialement
Mme Laplace
"Nul n’est censé ignorer la loi" . S’il est vrai que bien peu sont ceux qui la connaissent, situation qui fait de cette proposition une fiction, il est également vrai que ce célèbre adage doit être interprété en référence à l’objectif d’accessibilité de la loi consacrée par la décision n° 99-421 DC du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999. Destinée à assurer l’effectivité de l’égalité devant la loi et la garantie des droits, l’accessibilité de la loi impose que les citoyens soient mis en situation de connaître les normes qui leur sont applicables. Dès lors, "nul n’est censé ignorer la loi" signifie alors que les normes ne sont opposables que si elles ont été publiées.