« Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales ». Cette disposition de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires réserve les indications commerciales « steak », « filet », « bacon », « saucisse » et « fromages », à des produits composés de protéines animales. Toutefois la mise en œuvre de cet article 5 renvoie à un décret pour fixer « la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n’est pas possible ».
Un décret qui se fait attendre.
En juillet 2021, le rapport d’information de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur la mise en application de cette loi notait l’absence de ce décret.
Y aurait-il une difficulté ? On se rappelle en effet, qu’une disposition analogue figurerait initialement à l’article 31 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), article annulé comme tant d’autres à cette loi par le Conseil constitutionnel, le 25 octobre 2018, car adoptés selon une procédure contraire à la Constitution.
L’obstacle cette fois ne serait pas à rechercher du côté de la procédure parlementaire mais dans le respect de la législation européenne. En effet, sur une question de Monsieur le sénateur Henri Cabanel, le Ministère de l’économie, des finances et de la relance, en septembre de cette année, souligne pour l’élaboration de ce décret que « ce travail se fonde notamment sur une étroite concertation avec les filières professionnelles concernées, afin d’aboutir à un dispositif qui soit compréhensible et applicable par des opérateurs, ce qui appelle à certains ajustements techniques », et annonce que le projet de décret sera notifié à la Commission européenne.
Le projet de décret notifié à la Commission.
Effectivement, le 1er octobre 2021, le projet de décret fait l’objet d’une notification à la Commission.
Or, ce projet réserve deux surprises.
D’une part, il pose un principe absolu sans retenir un seuil de présence de protéines végétales pourtant annoncé à l’article 5 de la loi.
« Il est interdit d’utiliser, pour désigner une denrée transformée contenant des protéines végétales :
1° une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n’est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ;
2° une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale ;
3° une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ;
4° une dénomination d’une denrée alimentaire d’origine animale représentative des usages commerciaux ».
Les exceptions à ce principe (arômes, ingrédients aromatisants, plats préparés ou encore le renvoi pour les usages du 4°) à la concertation avec les organisations professionnelles) et les dispositions transitoires ne constituent que des mesures techniques sans intérêt ici.
La seconde surprise vient du projet de l’article 6 de ce décret qui disposerait :
« Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret ».
A se limiter à cette première phrase, les produits contenant des substituts végétaux et fabriqués hors de France pourraient donc être commercialisés en France sous des termes utilisés habituellement pour la viande, ce qui serait interdit aux fabricants français !
La seconde phrase de ce projet d’article 6 n’offre guère d’espoir aux fabricants français face aux produits fabriqués dans un autre pays : « Ces produits peuvent être importés et commercialisés en France avec l’une des mentions prévues au présent décret ou des mentions analogues ». Soit le gouvernement reconnait expressément cette liberté aux seuls fabricants étrangers de produits contenant des protéines végétales destinés au marché français. Soit cette seconde phrase est incompréhensible puisque l’article 1er du projet qui définit les termes employés, ne les applique qu’ aux denrées alimentaires fabriquées sur le territoire national !
Une interdiction privée d’effets réels.
Sauf à imaginer que les fabricants français acceptent cette concurrence des produits composés de protéines végétales venus de l’étranger, il est probable que ce projet de décret soit abandonné et que d’ailleurs l’article 5 de la loi du 10 juin 2020 ne puisse pas être appliqué.
Antérieurement, le 30 septembre, le gouvernement français a également notifié l’article 5 de la loi du 20 juin 2020 au regard de la directive 2000/13/CE sur l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que de la publicité faite à leur égard. C’est-à-dire le même texte que celui notifié à l’appui du projet de décret.
Il est donc probable que l’avis du Conseil d’État qui n’interviendra qu’après la décision de la Commission, en reprendra les termes pour souligner qu’une barrière à l’importation de produits fabriquées dans l’Union est impossible, et qu’une solution franco-française pour interdire l’emploi des termes habituellement associés à la viande pour désigner des aliments composés de protéines végétales conduira à une impasse économique pour les fabricants français.