Décision du Conseil d’Etat du 14 Février 2013 : vente de médicaments, prescription médicale et commerce électronique.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # commerce électronique # vente de médicaments # prescription médicale # législation européenne

La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits sanitaires a autorisé le gouvernement à prendre une ordonnance pour encadrer l’information et le commerce électronique de certains produits de santé, conformément à la directive du 8 juin 2011 relative à la lutte contre la falsification de médicaments.

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L’ordonnance du 19 décembre 2012 a prévu d’encadrer le commerce en ligne de médicaments par l’introduction de nouvelles dispositions dans le Code de la santé publique. Il est prévu notamment la création des articles L.5125-34 et L.5125-36.

L’article L.5125-34 dispose que « l’activité de commerce électronique n’est autorisée que pour les médicaments de médication officinale qui peuvent être présentés en accès direct au public en officine ayant obtenu l’autorisation de mise sur le marché  », c’est-à-dire sans prescription médicale. L’article L.5125-36 prévoit que «  la création du site Internet de commerce électronique de médicaments de l’officine de pharmacie est soumise à autorisation du directeur général de l’agence régionale de santé .

C’est à propos de la légalité de ces dispositions qu’est intervenu le Conseil d’Etat statuant en référé dans une décision du 14 février 2013. Il s’agissait en l’occurrence d’un pharmacien exerçant l’activité de vente en ligne de médicaments qui contestait la légalité des nouveaux articles du CSP rappelés ci-dessus, au regard de la législation européenne. Il demandait ainsi au Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L.521-1 du Code de justice administrative, de suspendre l’application des textes en cause dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er mars 2013, en raison d’une contradiction avec les textes communautaires.

Les arguments du requérant en faveur d’une suspension des dispositions de l’ordonnance

1 / la requête en référé-suspension

L’examen de la requête par le juge des référés était justifié d’après le requérant par l’urgence et l’existence d’un doute sérieux sur la légalité des textes en cause. Depuis la loi du 30 juin 2000, les administrés sont autorisés à agir devant les juridictions administratives au moyen du référé-suspension. L’introduction de l’article L.521-1 dans le Code de justice administrative permet ainsi au juge administratif de connaître des demandes d’urgence en matière de suspension.

L’appréciation de l’existence d’un doute sérieux sur la légalité des textes en cause et du caractère d’urgence de la demande s’effectue désormais de manière plus libérale que l’ancienne notion de « préjudice difficilement réparable ». Ainsi, le Conseil d’Etat considère depuis une décision de 2001 que la « condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE, 19 janvier 2001, Conf. nat req. 228815). On remarquera que dans sa décision du 14 février 2013, le Conseil d’Etat reprendra mot pour mot cette formule.

Par ailleurs, depuis sa décision Diakité de 2010, le Conseil d’Etat admet que le juge des référés puisse examiner un moyen tiré de l’inconventionnalité de la loi (CE ord. 16 juin 2010, Mme Diakité, req. n° 340250) : «  un moyen tiré de l’incompatibilité de dispositions législatives avec les règles du droit de l’Union européenne est de nature à être retenu, eu égard à son office, par le juge des référés en cas de méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit de l’Union ». La présente décision ne fait donc que confirmer la jurisprudence du Conseil d’Etat reconnaissant au juge des référés le pouvoir de contrôler la légalité d’une disposition au regard de la législation européenne.

En l’espèce, le requérant apportait plusieurs éléments notamment financiers et comptables, pour démontrer que l’exclusion par l’ordonnance de 2012 de certains médicaments sans prescription médicale, de la liste de ceux pouvant être commercialisés en ligne, était de nature à lui causer un préjudice grave et immédiat.

2/ l’incompatibilité entre les textes communautaires et les dispositions de l’ordonnance

Le demandeur faisait valoir dans ses conclusions une incompatibilité entre les dispositions prévues par l’ordonnance du 19 décembre 2012 et celles de la directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 relative à la lutte contre la falsification des médicaments. Tandis que la directive ne distingue que deux catégories de médicaments (article 85), à savoir ceux soumis à prescription médicale et ceux qui ne sont pas soumis à une telle prescription, le nouvel article L.5125-34 créé par l’ordonnance de 2012 ajoute une nouvelle distinction au sein de la catégorie ne nécessitant pas de prescription médicale.

Opérant ainsi une sous-distinction là où le droit communautaire n’en fait rien, l’article L5125-34 distingue certains médicaments dits de médication officinale, pourtant vendus sans prescription médicale, et qui ne figurent pas parmi la liste des médicaments autorisés à être commercialisés en ligne à partir du 1er mars 2013.

Pour appuyer sa démonstration, le requérant invoquait l’arrêt de la CJUE du 11 décembre 2003 qui avait retenu dans son considérant 115 qu’« en ce qui concerne la catégorie de médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale, les considérations relatives à leur délivrance ne sont pas de nature à justifier l’interdiction absolue de leur vente par correspondance » (CJUE 11 décembre 2003 DOCMORRIS C-322/01).

La réponse du Conseil d’Etat à la demande de référé-suspension des dispositions de l’ordonnance

Le Conseil d’Etat devait examiner d’une part si les circonstances de l’espèce ouvraient la voie à une requête en référé suspension et d’autre part si un doute sur la légalité de l’ordonnance par rapport à la législation communautaire pouvait être relevé.

1/ Les circonstances de l’espèce justifient une requête en référé suspension

Le Conseil d’Etat a examiné les circonstances de l’espèce au regard des dispositions de l’article L521-1 du Code de justice administrative. Ce texte dispose que « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». En l’espèce, le Conseil d’Etat a relevé que compte tenu des éléments apportés par le requérant, la situation d’urgence exigée par le texte, était remplie.

Selon le Conseil d’Etat, le chiffre d’affaires que le requérant réalise grâce à la vente en ligne de médicaments sans prescription médicale est constitué, à hauteur de 58 %, par la vente des médicaments sans prescription médicale mais non autorisés à la vente en ligne à partir du 1er mars 2013. Le juge des référés admet donc que si les dispositions de l’ordonnance sont mises en œuvre à partir de mars 2013, le requérant risque de subir un préjudice grave et immédiat, ce qui répond à la condition d’urgence de l’article L521-1.

2/ Le doute sérieux quant à la légalité de la décision

Le juge des référés est un juge de l’urgence et de l’évidence qui doit se prononcer dans des délais très brefs. Cette exigence de rapidité l’empêche en principe d’exercer un examen en profondeur de la légalité d’un texte par rapport au droit de l’Union européenne. C’était du moins sa position jusqu’à sa décision de 2010 (CE ord. 16 juin 2010, Mme Diakité).

Dans la décision du 14 février 2013, le Conseil d’Etat s’est livré à l’examen des textes communautaires. L’examen n’est certes pas approfondi, il ne doit être que sommaire mais suffisamment développé pour mettre en évidence le doute quant à la légalité.

En l’espèce le Conseil d’Etat a examiné la directive de 2011 pour y relever que ce texte ne prévoyait en effet que deux catégories de médicaments, ceux soumis à prescription et ceux qui n’y sont pas soumis. D’autre part, il fait un examen plus avant en se référant à un arrêt rendu par la CJUE en 2003 qui renforce l’idée que le droit communautaire n’opère aucune distinction dans la catégorie des médicaments sans prescription vendus sur Internet.

Après avoir confronté les dispositions de l’ordonnance et celles du droit communautaire, le Conseil d’Etat en tire la conclusion que « M. L. est fondé à demander la suspension de l’exécution de l’article L. 5125-34 du code de la santé publique en tant qu’il ne limite pas aux seuls médicaments soumis à prescription obligatoire l’interdiction de faire l’objet de l’activité de commerce électronique ».

Antoine Cheron

ACBM Avocats

acheron chez acbm-avocats.com

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