La liberté d’ester en justice ou d’aller en justice est un droit, dont dispose tout justiciable, qui doit rester limité par la notion d’abus de droit dans l’action.
La fraude, liée par la volonté de tromper doit être sanctionnée.
Le fautif, s’expose outre à une amende civile et des dommages et intérêts pour procédure abusive, mais aussi sa duperie des juges provoquée par ses manœuvres sont constitutives d’un délit pénal du ressort du Tribunal correctionnel.
C’est le délit d’escroquerie au jugement, dont les contours ont été fixés par la jurisprudence, qui suppose que l’auteur trompe son juge, ou tout homme de loi dans le but d’obtenir une décision ou un titre qui portera atteinte à la fortune de la personne condamnée.
L’analyse des manœuvres déterminantes est un élément essentiel à la fois dans la volonté et la commission du délit.
I- La définition de l’élément matériel et moral du délit pénal et les Tribunaux
L’article 313-1 du Code pénal dispose :
« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. »
La peine et l’amende pourront être majorées dans certaines circonstances aggravantes visées par l’article L 313-2 du Code pénal (ex bande organisée...), étant rappelé que la tentative est punie des même peines que l’action aboutie.
Le principe posé, il faut rappeler que : si toute action en justice est un droit, des limites sont posés à la fois dans l’abus de l’action, mais aussi dans sa fraude.
L’abus de droit "d’ester en Justice", fautif peut être sanctionné par une amende civile et des dommages et intérêt contre le demandeur. (Il s’agit ici d’une action judiciaire, intentée de mauvaise foi, sachant qu’elle est vouée à l’échec ou pour nuire à l’adversaire. De la même façon en cas de plainte avec constitution de partie civile, d’appel ou de pourvoi en cassation jugés dilatoires ou abusifs)
La duperie et la tromperie des juges provoquée par des manœuvres déterminantes constitueront le délit pénal d’escroquerie au jugement.
Toute production d’une pièce fausse, destinée à obtenir une décision qui portera atteinte au patrimoine d’autrui, ou l’omission dans une déclaration pourront être prises en compte.
"L’escroquerie au jugement" tient dans le fait de tromper la religion du juge dans le but d’obtenir un titre avec lequel le demandeur pourra porter atteinte à la fortune de la personne condamnée, de vouloir obtenir en fraude des droits d’autrui une décision de Justice.
La Cour de cassation a précisé les contours de la notion d’élément matériel.
A partir du moment où une action en justice n’est que l’exercice d’un droit, il ne suffira pas pour que ce délit soit constitué, que le plaideur formule des allégations mensongères, mêmes répétitives. Il faudra qu’il les accompagne d’éléments extérieurs.
Le principe posé, il faut rappeler que : si toute action en justice est un droit, des limites sont posés à la fois dans l’abus de l’action, mais aussi dans sa fraude.
La tentative d’escroquerie est toute aussi délictueuse. Crim, 3 juin 2004, pourvoi N° 03-87.486
A) L’élément matériel : des manœuvres frauduleuses destinées à tromper la religion du juge
1°- La notion de juge doit s’entendre au sens large
Il peut s’agir d’un juge ou d’un tribunal, mais aussi d’un arbitre ( affaire Tapie ?) Crim, 30 juin 2004, pourvoi No 03-85019
Une commission : ex une commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales ; Crim, 9 janvier 2008, pourvoi No 06-87999.
Un expert chargé de rendre un rapport au Tribunal.
Un huissier pour lui faire rédiger un constat qui, relate en fait une pure mise en scène : Crim., 14 novembre 1979, pourvoi N° 79-90.407.
2°-L’usage de moyens frauduleux
Crim, 23 janvier 1919, (Bull. n° 21) « Le délit de tentative d’escroquerie au jugement est caractérisé par des manœuvres frauduleuses visant à tromper le juge dans l’exercice de sa fonction... »
Crim, 8 novembre 1962, (Bull. crim, no 312 ). « Le jugement en tant que titre exécutoire emporte obligation ou décharge. Son obtention par l’usage de moyens frauduleux relève de la qualification d’escroquerie. »
Crim, 22 mai 1968, pourvoi N° 67-92.782 Crim, 7 janvier 1970 pourvoi N° 69-90.114 Crim, 12 mai 1970, pourvoi N° 69-90.026
« Si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, sa mise en œuvre peut constituer une manœuvre frauduleuse caractérisant le délit d’escroquerie. »
3°- Les moyens matériels utilisés
Le faux sous toutes ses formes
La production de fausses attestations, de faux documents, un jugement tronqué ou caduque, une fausse comptabilité, un faux constat ou une fausse traduction pourront favoriser la duperie.
Exemple une fausse promesse de bail Crim, 19 novembre 2003, pourvoi N° 02-87580, un faux contrat de travail ; Crim., 30 novembre 1995, pourvoi N° 94-84.612 :une fausse facture Cass. Crim, 19 septembre 1995, pourvoi N° 94-85353,
Crim, 12 mai 1970, pourvoi No 69-90026 et Crim, 24 juin 1970 pourvoi N° 69-93.217
« On ne saurait voir une manœuvre frauduleuse, … dans la production, à l’appui d’une action en justice, d’une pièce dont le juge civil a précisément pour mission de déterminer le sens exact et la valeur probante ».
Crim, 26 mars 1998 pourvoi N° 96-85.636
« Constitue une tentative d’escroquerie le fait pour une partie de présenter sciemment en justice un document mensonger destiné à tromper la religion du juge et susceptible, si la machination n’est pas déjouée, de faire rendre une décision de nature à préjudicier aux intérêts de l’adversaire. » voir aussi Crim, 14 mars 1972 pourvoi N° 71-91.077
Des déclarations mensongères, même répétitives, ne suffiront pas pour constituer le délit d’escroquerie lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’un fait extérieur ou d’un agissement quelconque destiné à y faire ajouter foi.
La fausse attestation Crim, 4 janvier 2005, pourvoi No 04-82715 ; Les faux témoignages mis en scène Crim, 3 novembre 1978, pourvoi N° 78-91144
L’altération d’une vérité déformée
Ex une décision de justice caduque après cassation, sans production de l’arrêt de renvoi de la cour d’appel qui déboute le demandeur de toute créance. Crim, 4 mars 1991, pourvoi N° 90-80321
Ex Crim, 7 avril 1992 N° pourvoi 91-84.189
Condamnation d’un époux qui, sans présenter de faux documents, avait produit des pièces qui donnaient une image inexacte de sa situation réelle (ici des feuilles de salaires qui ne mentionnaient pas des indemnités de déplacement reçues par ailleurs).
Les éléments extérieurs : manœuvres, fausse qualité, faux document, mise en scène…
Doivent être provoqués de mauvaise foi, par l’intervention et l’utilisation de l’appareil judiciaire dans l’obtention d’une décision en vue de la spoliation de l’adversaire. Crim, 20 avril 2005, N° de pourvoi : 04-84828
Les circonstances de fait seront appréciées souverainement. Il faudra démontrer la fausseté des documents allégués par exemple.
N’oublions pas les dispositions de
l’article 259-3 du Code civil :
Les époux doivent se communiquer et communiquer au juge ainsi qu’aux experts et aux autres personnes désignées par lui en application des 9° et 10° de l’article 255, tous renseignements et documents utiles pour fixer les prestations et pensions et liquider le régime matrimonial. Le juge peut faire procéder à toutes recherches utiles auprès des débiteurs ou de ceux qui détiennent des valeurs pour le compte des époux sans que le secret professionnel puisse être opposé.
l’article 272 du Code civil :
« Dans le cadre de la fixation d’une prestation compensatoire, par le juge ou par les parties, ou à l’occasion d’une demande de révision, les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l’honneur l’exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie »
La production d’une fausse attestation obligatoire aux débats sera un élément à considérer, si elle a emporté ou faussé la conviction du juge.
Petite nuance à préciser : Si la juridiction avait été avertie dès le début de la procédure de divorce de la possibilité pour un époux de percevoir outre son salaire, des indemnités de déplacement, et si l’épouse avait eu la possibilité de solliciter la production de tous les relevés de salaires pour la détermination des ressources de son époux, alors le délit ne peut pas être retenu.
Crim., 4 janvier 2005, pourvoi No 04-82715
Crim, 22 février 1996, pourvoi n° 95-81.627.
La déclaration d’un sinistre à une compagnie d’assurance, accompagnée d’un certificat de dépôt de plainte pour vol, destiné à donner force et crédit à la réalité de ce vol, caractérise le commencement d’exécution d’une tentative d’escroquerie.
B) L’élément moral et la mise en œuvre de l’action : l’intention frauduleuse
L’intention coupable, sans laquelle n’y a pas infraction, tient dans le fait que le l’une des parties, en parfaite connaissance de cause, a commis les manœuvres frauduleuses dans le dessein de tromper les magistrats et d’y aboutir. Sinon, il s’agirait de tentative.
C’est la mauvaise foi, la malhonnêteté, l’intention de nuire.
C) La mise en œuvre de l’action publique
Une plainte devra être adressée par RAR au procureur de la république près le tribunal de grande instance compétent, ou déposée au commissariat pour escroquerie en demandant réparation du préjudice qui a été causé.
La victime pourra se constituer partie civile jusqu’à l’audience pénale afin de formuler une demande de dommages et intérêts, en réparation du préjudice financier et du préjudice moral causé.
La Cour de cassation considère que l’escroquerie au jugement sera consommée au jour où la décision obtenue frauduleusement est devenue exécutoire.
Crim, 3 novembre 2011, pourvoi N° 10-87.945
« Le point de départ de la prescription de l’escroquerie au jugement est fixé au jour où est rendue une décision irrévocable dès lors que le faux destiné à tromper la religion du juge civil a été produit également en appel ; qu’en retenant la seule date du jugement pour point de départ de la prescription de l’action publique motif pris de ce qu’il était assorti de l’exécution provisoire, la cour d’appel a violé les articles susvisés. »
Même sens Crim. 17 octobre 2007, pourvoi N°07-82.674 Crim, 30 juin 2004 pourvoi N° 03-85.019
C’est donc à cette date que doit être fixé le point de départ du délai de prescription de 3 ans, s’agissant d’un délit. Parfois elle sera ajoutée à d’autres délits : faux et usage de faux document, et/ou faux témoignage.
Ainsi, entre les plaintes pour faux et usages de faux documents, faux témoignages, y compris par omission ou escroquerie au jugement, les risques d’amendes civiles liées aux abus judiciaires, les justiciables feront bien de respecter des conseils de prudence, puisqu’au delà du risque, il y a la sanction...
II- La poursuite civile
A) L’indemnisation sur le plan civil
Une demande de dommages-intérêts pour réparer le préjudice causé par le mensonge peut être sollicitée soit par voie de constitution de partie civile ( action pénale) soit devant le juge civil en fonction du montant de la demande.
B) Le recours en révision
Un délai de 2 mois court à compter du jour où la partie a eu connaissance d’une cause de révision pour déposer un recours en révision.
L’article 595 du NCPC permet d’envisager un recours en révision dans des cas particuliers
Le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes :
1. S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue.
2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie.
3. S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement.
4. S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
Discussions en cours :
Merci pour votre analyse du point de vue de la personne lésée qui est très intéressante.
Voici un cas d’espèce qui interroge sur les suites de l’annulation d’un jugement obtenu grâce à un faux document :
Une entreprise produit un document qui est retenu comme unique preuve par l’inspection du travail pour accorder l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé.
Ce salarié est immédiatement licencié
Il demande l’annulation de cette autorisation devant le tribunal administratif qui la confirm en première et seconde instance.
Le conseil d’État rejette le recours du salarié.
L’entreprise a produit le document-clé pour obtenir les 4 décisions.
Dans le cas où le juge pénal reconnaît que le document produit par l’entreprise est un faux et si le salarié obtient l’annulation de l’autorisation de l’inspection du travail, l’entreprise peut-elle soumettre à nouveau la demande d’autorisation de licenciement à l’inspection du travail sans le faux document ?
Si cela ’est pas possible pour l’entreprise, le conseil de prud’hommes considérera-t-il que le salarié protégé a été licencié sans autorisation de licenciement ?
Chère Consoeur,
Tout d’abord je tiens à vous remercier pour vos nombreuses publications qui me permettent souvent de gagner du temps et de trouver des idées précieuses.
Il me paraît dans cet article que le sens de l’arrêt de la Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 7 avril 1992, 91-84.189 est méconnu. La Cour rejette en effet le pourvoi formé contre la confirmation d’une ordonnance de non-lieu. Le mari n’avait donc été ni poursuivi ni condamné pour les faits mentionnés.
Compliments sincères pour la clarté de votre excellent article.
Complet et précis, pour un sujet complexe, je le recommande tant aux professionnels que nous sommes comme aux Etudiants en droit.
C’est un sujet qui me fut donné à l’examen en licence, il y a quelques bonnes années ...
Il est toujours d’actualité.
Merci
Bonjour,
Faire disparaître un désordre , donc modifier l’état des lieux alors qu’ une expertise judiciaire est prochaine rentre t’il dans ce champ ?
Cordialement.
Un syndic représentant le syndicat des copropriétaires mandate un avocat pour qu’il s’oppose à la demande d’un copropriétaire de voir annuler une résolution d’assemblée générale qui a élu au conseil syndical, une personne non copropriétaire et sans aucun mandat ( donc interdiction de l’élire en vertu de l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965).
Ce syndic refuse d’aviser les copropriétaires de cette procédure malgré une demande d’injonction d’information dudit syndicat de la part de ce copropriétaire contestataire.
Cet avocat n’ignore pas que ce syndicat n’est informé de rien de ce qu’’il se passe au Tribunal, concernant cette contestation et malgré tout, il persiste à plaider que l’élection de cette étrangère à la copropriété est légale, au nom de ce syndicat.
Or, si ce syndicat était informé, cela permettrait aux copropriétaires de se rallier à cette procédure ou d’engager une action
personnelle contre cette élection d’une étrangère à la copropriété.
Considérez- vous cela comme une escroquerie au jugement de la part du syndic et de l’avocat ? Il est certain que le syndic abuse de sa qualité de représentant légal du syndicat pour s’en servir comme une marionnette !!. Et cela pour être agréable au copropriétaire majoritaire de tantièmes qui assure sa réélection aux assemblées générales, étant précisé que c’est ce copropriétaire majoritaire qui a choisi cette candidate à l’élection au conseil syndical laquelle s’est présentée en son nom personnel et sans aucun mandat de ce copropriétaire majoritaire et sans même le fournir jusqu’à ce jour !!.
Merci de votre réponse.
Cet avocat dépose des conclusions
le message c’est le titre même