Crise sanitaire : la Justice n'a pas été remise à l'arrêt, mais les stocks sont toujours là.

Crise sanitaire : la Justice n’a pas été remise à l’arrêt, mais les stocks sont toujours là.

Rédaction du Village de la Justice

Dessin : Lauréat du "Concours des Dessins de Justice 2020 du Village de la Justice"

22740 lectures 1re Parution: Modifié: 4 commentaires 4.77  /5

Explorer : # crise sanitaire # continuité des services publics # télétravail # stock de dossiers

Tirant les leçons des difficultés générées par le premier confinement pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19, le service public de la Justice a continué à fonctionner en dépit du reconfinement décidé le 30 octobre 2020. Pour autant, cela n’a pas permis de résorber les stocks de dossier en attente. Thémis n’a pas été reconfinée, mais elle reste saturée.

Retrouvez ici les mesures prises pour assurer l’accessibilité des lieux de Justice et le fonctionnement des juridictions, ainsi que les informations sur le lancement du groupe de travail pour la réduction des délais de traitement de la Justice.

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Craintes d’une Justice « à 164 vitesses », avec des plans de continuation d’activités décidés par chaque juridiction, craintes aussi d’une Justice à l’arrêt, avec des audiences en souffrance et une aggravation des stocks de dossier... Les inquiétudes étaient à nouveau là à l’automne, sur fond de crise économique pour les professionnels du droit et de constat de l’insuffisance du budget et des moyens alloués à la Justice.

Christiane Féral-Schuhl, Présidente du Conseil National des Barreaux, le disait fermement lors de son discours officiel lors du Grand Atelier des Avocats, « il y a quelques mois, nous avons basculé dans une pandémie (...) qui a fait (...) vaciller la Justice, qui a fait vaciller toute notre profession, avec un premier confinement (...) désastreux pour la Justice. (...) Une Justice qui a bégayé, une Justice qui a trébuché sur ses valeurs (...). Nous ne voulons pas vivre de nouveau le pire alors que le reconfinement est de nouveau notre quotidien ».

Si la Justice n’a pas été expressément visée dans les discours du Président de la République [1] et du Premier ministre [2], il a été question de la continuité des services publics, qui sont restés ouverts, avec ou sans télétravail pour les personnels et avec attestation de déplacement dérogatoire pour tous.

Du côté de la Chancellerie.

Le garde des Sceaux devait annoncer les mesures prises spécifiquement pour la Justice lors du Grand Atelier des Avocats. Les événements de Nice l’ont malheureusement contraint à revoir ses priorités. Mais il avait adressé un message aux 84 000 agents du ministère de la Justice pour leur détailler l’impact qu’allait avoir le reconfinement [3].

Le porte-parolat du ministère de la Justice a également régulièrement organisé des briefing presse pour préciser la stratégie de la Chancellerie et communiquer l’évolution des chiffres des personnels et personnes placées sous main de Justice atteints par la Covid-19.

Globalement, l’activité des tribunaux a été maintenue, avec donc une situation "radicalement différente" par rapport à la précédente période de confinement. Les audiences ont continué à se dérouler aussi normalement que possible, sans désignation de contentieux prioritaires et sans activation des plans de continuation d’activités des juridictions.

Les portes des tribunaux sont restées ouvertes, dans le respect strict des gestes barrières, pour les personnes convoquées en justice et celles ayant des démarches à faire auprès des services d’accueil unique du justiciable (SAUJ).
Les parties, témoins, jurés et experts ont été considérées comme des personnes convoquées et ont donc pu se rendre sur place, même si la visioconférence a été privilégiée lorsqu’elle était légalement possible.

En revanche, le public n’a pas été autorisé dans les salles d’audience : assister à un procès n’était pas une dérogation prévue par le décret du 30 octobre. Mais le principe de publicité de la Justice a été considéré comme respecté avec la présence des parties et la possibilité pour les journalistes d’accéder aux audiences et de rendre compte des débats...

Pour agents des services judiciaires, de la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et de l’Administration pénitentiaire (AP), le principe a été celui du maintien de l’activité, avec un télétravail déployé massivement lorsqu’il était possible (« missions télétravaillables »).
Des aménagements ont été décidés pour doter les personnels en matériel, pour améliorer les conditions du télétravail (wifi, visioconférence, accès à distance aux messageries professionnelles). Pour les personnes vulnérables ou dans l’impossibilité de télétravailler (par exemple pour les parents d’enfants dont les classes/écoles sont fermées), des autorisations spéciales d’absence ont été délivrées et des aménagements du temps de travail ont été décidés afin d’éviter les périodes d’affluence dans les transports en commun.

A consulter :
- Circulaire du Secrétariat général du ministère de la Justice du 23 cotobre 2020, sur les conditions et modalités de mise en oeuvre du télétravail au sein du ministère de la Justice (Circ. 23 oct. 2020, NOR : JUST2028948C)
- Circulaire du Ministre de la Transformation et de la fonction publiques du 29 octobre 2020 relative à la continuité du service public dans les administrations et les établissements publics de l’Etat dans le contexte de dégradation de la situation sanitaire (Circ. min. 29 oct. 2020, NOR : TFPF2029593C)

Du côté des textes.

Des mesures ont été prévues dans les ordonnances prises sur habilitation de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire [4] "pour faciliter travail des juridictions". Les textes ont repris quasiment à l’identique ce qui a été prévu lors du premier confinement (avec le souci de simplifier le travail des juridictions par la "réappropriation"), sauf en ce qui concerne les délais (pas d’aménagement) : simplification de la tenue de certaines audiences, visioconférence, juge unique, etc.
En revanche, aucune des mesures des premières ordonnances relatives à la détention provisoire n’a été reprise : l’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE) devait être privilégiée, mais il n’y a pas eu de dispositif spécifique visant à « vider les prisons ». Plus largement, il y a eu une volonté d’adapter au mieux la réponse pénale à la gravité et la nature de la délinquance, en utilisant les moyens légaux à la disposition des magistrats.

Ce sont 3 ordonnances et 2 décrets de procédure (procédure civile-copro / procédure pénale / contentieux administratif) qui ont été présentées en Conseil des ministres du 18 novembre et publiées au Journal officiel du 19 novembre :

A consulter : Le juge des référés du Conseil d’État suspend la possibilité d’utiliser la visio-conférence lors des audiences devant les cours d’assises et les cours criminelles (CE, réf., ord. n° 446712, 446724, 446728, 446736,
446816
)

Dans les établissements pénitentiaires, les parloirs ont été maintenus, avec des mesures sanitaires renforcées (pose de dispositifs de protection (plexiglas) et gestes barrière).
L’accès aux unités de vie familiale (UVF) a, en revanche, été suspendu pendant le temps du reconfinement.
Un accès au téléphone a été pris en charge à hauteur de 30 euros par détenu et la gratuité de l’accès à messagerie pour écouter les messages vocaux laissés par les familles a été mise en place.
Le port du masque a été rendu obligatoire pour tous les détenus, dès la sortie de cellule, sans plus aucune distinction selon la zone géographique de l’établissement (masques fournis gratuitement).
Le travail en détention a été maintenu, s’il pouvait être effectué dans de bonnes conditions sanitaires. Les promenades ont elles-aussi été maintenues, mais avec des aménagements pour limiter les risques de contamination.

Du côté des professionnels du droit.

Pour permettre la poursuite des activités des professionnels du droit, le décret du reconfinement [5] avait également prévu expressément un nouveau cas de déplacement dérogatoire. Tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence était interdit à l’exception des déplacements non seulement pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative, comme lors du précédent confinement, mais aussi pour se rendre dans un service public ou chez un professionnel du droit, pour un acte ou une démarche qui ne pouvaient être réalisés à distance.

Les institutions représentatives des professions s’en sont d’ailleurs largement félicitées :

  • Avocats : lors de l’Assemblée générale du CNB du 13 novembre 2020, Christiane Feral-Schuhl s’est félicitée de l’absence d’activation des PCA au sein des juridictions et la possibilité, pour les clients, de se déplacer chez leur avocat. Elle a aussi rappelé brièvement la nécessité de mettre en place le télétravail autant que possible au sein des cabinets. [6]
  • Huissiers : Par un communiqué du 2 novembre, la Chambre nationale des Commissaires de justice, section huissiers de justice, a confirmé que les études d’huissier de justice restent ouvertes pour assurer leurs missions de service public. Patrick Sannino s’est félicité de l’engagement du ministre de la Justice de préserver l’activité des juridictions : « il s’agit d’un choix politique essentiel, notamment pour les litiges du quotidien. Les huissiers de justice poursuivront leur engagement aux côtés du Ministère de la Justice, en faveur d’une justice de proximité, dans le strict respect des règles sanitaires mais en utilisant, lorsque cela est possible, les outils numériques à distance ».
    - Notaires : dans un Communiqué de presse du 30 octobre, le CSN s’est félicité « de la publication de ce décret qui autorise la réception du public pour les actes ou les démarches qui ne peuvent être réalisés à distance. La mission de service public du notariat pour l’ensemble de nos concitoyens peut ainsi se poursuivre sur tout le territoire dans le respect d’un strict protocole sanitaire » (David Ambrosiano, nouveau Président du CSN).

Elles se sont également mobilisées pour faciliter la compréhension des règles par les justiciables : le CSN a mis à disposition des consignes pour se rendre chez un notaires (Notaires de France) ; un modèle d’attestation (convocation) à destination des clients des cabinets d’avocats était téléchargeable sur le site de la Conférence

Le groupe de travail pour la réduction des délais de traitement de la Justice.

Mercredi 3 février, Éric Dupond-Moretti a installé un groupe de travail présidé par Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Bobigny et omposé de magistrats, de fonctionnaire de greffe et de bâtonniers. Le but est de proposer des mesures concrètes pour désengorger nos tribunaux en résorbant les stocks d’affaires constitués au sein des juridictions.

Malgré l’engagement des magistrats, fonctionnaires de justice et professionnels du droit, les juridictions n’ont pu traiter normalement pendant de nombreux mois les dossiers en matière pénale ou civile. Et si le service public de la Justice a été maintenu lors de la seconde période de confinement à l’automne, « cette période n’a pas permis de résorber toutes les affaires en stock ».

Voici les chiffres (données statistiques : Direction des services judiciaires)

  • tribunaux judiciaires à la fin d’octobre 2020 : le stock des affaires civiles a augmenté de près de 43 000 affaires par rapport à la fin de l’année 2019 ;
  • en matière correctionnelle, à la fin septembre 2020 : le stock des affaires poursuivies a augmenté de 19 000 affaires par rapport à la fin 2019 ;
  • tribunaux de proximité : accroissement du nombre d’affaires en attente de traitement de près de 10 000 dossiers sur les dix premiers mois de l’année 2020 ;
  • juridictions prud’homales : augmentation substantielle du stock de près de 15 000 affaires.

En raison des enjeux, au premier rang desquels l’accès au service public de la justice et la confiance du citoyen dans l’institution judiciaire, le garde des Sceaux le dit : « il faut aller encore plus loin pour résorber les stocks ».
Et pour aider les juridictions qui travaillent actuellement à la résorption des stocks et en renforcer la communauté judiciaire, il est « nécessaire une réflexion commune pour me faire des propositions concrètes et innovantes, voire même très innovantes, peut-être même disruptive, afin de pouvoir faire face à cette situation exceptionnelle ».

Trois axes se dégagent du discours du garde des Sceaux :

  • identifier (à droit constant) les règles et vecteurs procéduraux permettant de faciliter le traitement des affaires pénales et civiles ;
  • proposer des pratiques entre professionnels du droit permettant d’optimiser le temps judiciaire (optimisation des pratiques locales et proposition de nouvelles pratiques) ;
  • et celle qui pourrait bien provoquer de vives réactions : « examiner les conditions selon lesquelles les avocats pourraient participer à l’activité juridictionnelle de manière exceptionnelle » (participation des avocats aux audiences collégiales aux côtés des magistrats, comme le Code de l’organisation judiciaire le permet déjà à de très rares occasions).

Réactions :
Hélène Fontaine, Présidente de la Conférence des Bâtonniers se dit favorable à la proposition de la Chancellerie de faire appel aux avocats pour suppléer les juges et résorber le stock des affaires (Journal France inter de 7h30, 4 février 2021, sujet justice 6’50, intervention de H. Fontaine 7’50)

Rédaction du Village de la Justice

Dessin : Lauréat du "Concours des Dessins de Justice 2020 du Village de la Justice"

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Notes de l'article:

[3Message vidéo à retrouver sur YouTube et Note de la Chancellerie du 30 octobre 2020 (site du CNB)

[6Voir aussi Tweet Conférence des Bâtonniers du 30 oct : « le décret paru cette nuit autorise les cabinets d’avocats à recevoir le public pendant le reconfinement et toujours dans le respect des gestes barrière »

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Discussions en cours :

  • Je vous remercie de cet article éclairant. Savez si les délais de procédure, appel, déféré, pourvoi seront suspendus ou courent-ils normalement ? Je vous remercie de votre retour.

    • par Marie , Le 9 novembre 2020 à 12:23

      Bonjour et merci pour votre message.

      Comme vous le savez, la « période juridiquement protégée » a pris fin le 23 juin à minuit (voir https://www.village-justice.com/articles/covid-delais-procedure-civile,35425.html).

      A ce jour, aucune nouvelle disposition de ce type n’a été adoptée et dans la mesure où les juridictions vont continuer à fonctionner normalement, il est peu probable que les délais de procédure fassent de nouveau l’objet d’aménagements. Mais nous restons en veille sur le sujet !

      Rédaction du Village de la Justice

    • Bonjour,

      Emmanuelle Masson (porte-parole du ministère de la Justice) a précisé, lors d’un briefing presse du 10/11/2020, que des mesures seront prévues dans les ordonnances prises sur habilitation de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire* "pour faciliter travail des juridictions" : facilités procédurales, visioconférence modalités de convocation simplifiées (de la même manière que pendant 1er confinement. AUCUN DISPOSITIF D’AMENAGEMENT NE SERA PREVU EN TERMES DE DELAIS (ni de détention, ni de procédure).

      * Loi de prorogation de l’état d’urgence : adoptée en dernière lecture à l’Assemblée nationale (TA n° 469, 7 nov. 2020 : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0496_texte-adopte-provisoire.pdf), en attente d’examen par le Conseil constitutionnel - ordonnances prévues pour la fin du mois de novembre.

    • par Faure , Le 11 décembre 2020 à 17:01

      Bonjour j ai une question
      Mon mari étant incarcéré nous avons normalement un uvf le 19 décembre mais je sais pas si c’est maintenu ou pas avez vous une réponse à cela sa fait 5 mois qu’en je l’es pas vu ces très longs merci pour votre réponse
      Cordialement

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