L’essor contraint du télétravail.

Par Laurent Gay, Avocat.

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Explorer : # télétravail # crise sanitaire # code du travail # santé et sécurité au travail

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Lors de sa présentation du plan de déconfinement à l’assemblée nationale le 28 avril dernier, le premier ministre, a indiqué qu’il convenait de réorganiser la vie au travail et a encouragé la poursuite du télétravail en ces termes : « Le télétravail doit être maintenu partout où c’est possible ».

Rendu impératif pour tous les postes qui le permettent à la suite du passage au stade 3 de la pandémie de Covid-19, le télétravail devrait donc se poursuivre, post-déconfinement, pour un certain nombre de salariés.

Or, si le recours à cette forme d’organisation du travail est encadré par le code du travail et l’accord national interprofessionnel conclu le 19 juillet 2005, il n’est pas sans poser certaines difficultés qui doivent être anticipées par les entreprises.

Le télétravail est défini comme toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication [1].

Le caractère obligatoire du télétravail en cette période de crise sanitaire ne doit pas occulter les règles qui doivent s’appliquer à cette forme d’organisation du travail.

La mise en place du télétravail.

Le caractère obligatoire du télétravail en période de crise sanitaire.

En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés [2].

En application de ce texte, l’employeur peut mettre en place le télétravail, de manière unilatérale, sans l’accord du salarié.

Le télétravail peut également être mis en place à la demande du salarié, notamment lorsque celui-ci ne dispose d’aucune solution de garde pour son (ou ses) enfant(s) de moins de 16 ans.

Le refus de l’employeur doit alors être motivé.

Toutefois, cette forme de travail n’est pas adaptée à tous les salariés.

Le poste occupé par le salarié, son degré d’autonomie, etc., doivent être analysés avant d’avoir recours au télétravail.

Le recours au télétravail hors circonstances exceptionnelles.

Lors du conseil des ministres du 2 mai dernier l’état d’urgence sanitaire a été prolongé pour une durée de deux mois jusqu’au 23 juillet prochain.

En conséquence, le recours au télétravail, postérieurement aux circonstances exceptionnelles actuelles, devra être mis en place selon les modalités prévues par le code du travail.

Hors circonstances exceptionnelles, la mise en œuvre du télétravail nécessite, au préalable, un accord collectif, ou à défaut une charte élaborée par l’employeur après avis du comité du comité économique et social.

En l’absence d’accord collectif ou d’une charte, un accord entre le salarié et l’employeur doit être formalisé par tous moyens  [3].

L’accord mettant en place le télétravail doit préciser :
- les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
- les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
- les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
- la détermination des plages horaires au cours desquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
- les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail [4].

L’accord peut détailler les différents métiers de l’entreprise pour donner une définition objective des emplois pouvant donner lieu à la mise en œuvre du télétravail et, inversement, pour expliquer les raisons pour lesquelles certains postes sont exclus.

Il peut également fixer des conditions d’ancienneté à réunir, prévoir l’inclusion ou l’exclusion des salariés sous CDD, des salariés en période d’essai, définir les modalités de télétravail, déterminer la procédure de demande de passage en télétravail, formaliser les modalités de prise en charge des frais induits par le télétravail, envisager les garanties pour assurer un retour dans l’entreprise lorsqu’il est mis fin au télétravail, etc.

L’employeur peut refuser une demande de télétravail formulée par un salarié mais a l’obligation de motiver son refus.

Les difficultés pratiques liées au télétravail.

Les règles de décompte du temps de travail et les modalités de contrôle de la charge de travail.

Les règles de décompte du temps de travail sont plus délicates à mettre en œuvre lorsque le salarié n’est pas dans l’entreprise et il est plus difficile d’évaluer la charge de travail, les délais d’exécution et de vérifier le respect des durées maximales du travail et des temps de repos obligatoires.

Le télétravail peut s’effectuer à temps plein ou être en alternance avec des périodes de travail dans les locaux de l’entreprise.

Dans ce dernier cas, le nombre de jours de télétravail pourra être prédéfini pour ne pas désorganiser les équipes présentes et pourra être apprécié sur une période à définir (semaine, mois).

Le salarié sera tenu de respecter le calendrier fixé par l’employeur quant au nombre et jours télétravaillés et le nombre de jour de présence dans l’entreprise.

Le recours au forfait jours permet d’éviter le décompte horaire du temps de travail, mais un contrôle du temps de travail ou du temps de repos reste obligatoire pour veiller au respect des temps de repos minima obligatoires et des temps de travail maxima.

Les plages horaires pendant lesquelles le salarié peut être habituellement contacté devront être fixées par le salarié et l’employeur ; ce qui permettra de respecter la vie privée de salarié.

Il s’agit d’une clause obligatoire de l’accord collectif ou de la charte sur le télétravail.

Les modalités de contrôle de la charge de travail, doivent être définies dans l’accord collectif ou la charte.

La charge de travail, les normes de production et les critères de résultats exigés du télétravailleur doivent être équivalents à ceux des salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’employeur.

Les équipements de travail du télétravailleur.

Sous réserve de la conformité des installations électriques et des lieux de travail, l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail.

La liste de ces équipements devra être précisée par écrit.

Si exceptionnellement, le télétravailleur utilise son propre équipement, l’employeur en assure l’adaptation et l’entretien.

Le télétravailleur doit être couvert par une assurance pour couvrir l’espace au domicile dédié à l’activité professionnelle ainsi que le matériel et les équipements mis à disposition de l’employeur.

Le matériel informatique peut être pris en charge par l’assurance de l’employeur, l’assurance du salarié peut prendre en charge les dégâts à domicile.

Il pourrait donc être utile de préciser, dans le contrat de travail, les conditions de prise en charge d’assurance au cas par cas.

Le plus souvent, il suffira d’étendre le contrat d’habitation du salarié à la situation de télétravail.

Le télétravailleur doit prévenir son assureur de l’utilisation d’une partie de son logement à des fins professionnelles et fournir une attestation d’assurance habitation.

Si l’obligation de prendre en charge les frais qui figurait au terme de l’article L1222-10 du code du travail a été supprimée par l’ordonnance du 22 septembre 2017, toutefois, l’obligation de prise en charge des coûts liés à l’exercice des fonctions est une obligation générale dont l’employeur ne peut s’exonérer.

L’employeur doit donc prendre en charge les coûts directement engendrés par le télétravail.

Santé et sécurité au travail.

Les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité au travail sont applicables aux télétravailleurs.

Au titre de son obligation de sécurité de résultat, l’employeur doit veiller au strict respect de la réglementation relative à la santé et à la sécurité des salariés.

Il informe le télétravailleur de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail.

Le télétravailleur, quant à lui, est tenu de respecter et d’appliquer correctement ces politiques de sécurité.

Afin de vérifier la bonne application des dispositions applicables en matière de santé et de sécurité au travail, l’employeur, les représentants du personnel compétents en matière d’hygiène et de sécurité et les autorités administratives compétentes peuvent demander au télétravailleur de visiter le lieu réservé au télétravail.

Mais attention cet accès est subordonné à une notification à l’intéressé qui doit préalablement donner son accord.

Le télétravail se faisant sans possibilité de vérification régulière par l’entreprise que le salarié travaille bien dans des conditions qui ne risquent pas d’être nuisibles à sa santé, il est possible de prévoir pour les télétravailleurs des formations spécifiques, ou au moins de l’information, sur ces questions d’aménagement de l’espace de travail.

La reconnaissance du caractère professionnel d’un accident.

Accident du travail.

Lorsqu’un accident survient au domicile du télétravailleur, la question de la preuve du caractère professionnel peut se poser.

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 a apporté des éléments de réponse : « l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident du travail » [5].

Par conséquent, afin d’éviter toute difficulté liée à la reconnaissance du caractère professionnel d’un accident, il conviendra d’identifier clairement le lieu de travail et les horaires de travail.

A défaut, le salarié devra apporter la preuve du lien de causalité entre l’accident et le travail qu’il s’est vu confié.

Si le télétravailleur dispose d’une large autonomie dans la gestion de son temps de travail, notamment dans le cas de forfait jours, il peut éprouver quelques difficultés à prouver que l’accident survenu à son domicile a une origine professionnelle.

Dans ce cas de figure, il est recommandé de fixer des clauses prévoyant des contraintes horaires (plages de présence obligatoire/astreintes) ou les modalités permettant de savoir quand est connecté le télétravailleur.

Si l’accident survient pendant les plages horaires fixées par l’accord ou le contrat de travail ou pendant que le salarié est connecté au réseau informatique de l’entreprise, le lien de l’accident avec l’activité professionnelle sera plus aisé à démontrer.

Accident de trajet.

L’accident survenu au télétravailleur lors d’un trajet aller-retour entre le domicile et le lieu de travail peut constituer un accident de trajet pris en charge par la législation sur les accidents de travail.

Le télétravailleur doit apporter la preuve du lien de causalité entre le parcours effectué et le travail.

Dans cette situation, l’accord ou le contrat de travail peuvent faciliter la constitution de cette preuve s’il précise la fréquence des déplacements nécessaires au télétravailleur ou encore l’instauration de réunions périodiques dans les locaux de l’entreprise.

La garantie des droits collectifs.

Les télétravailleurs ont les mêmes droits collectifs que les salariés qui travaillent dans les locaux de l’entreprise, notamment en ce qui concerne leurs relations avec les représentants du personnel et l’accès aux informations syndicales, y compris par les intranets syndicaux dans les mêmes conditions que les autres salariés [6].

Ils bénéficient des mêmes conditions de participation et d’éligibilité aux élections pour les instances représentatives du personnel.

Ils font partie, au même titre que les autres salariés, des effectifs de l’entreprise pris en compte pour la détermination des seuils.

Laurent Gay,
Avocat au Barreau de Marseille

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Notes de l'article:

[1Article L1222-9 du code du travail.

[2Article L1222-11 du code du travail.

[3Article L1222-9 du code du travail.

[4C. trav., art. L. 1222-9, II.

[5Article L.1222-9 du code du travail.

[6Article L1222-10 du code du travail.

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