Rémunération variable et/ou de bonus des salariés : panorama de jurisprudence 2022.

La rémunération variable du salarié est toujours un sujet délicat à traiter dès lors qu’elle peut revêtir une importance financière non négligeable pour le salarié.

Depuis longtemps, la Cour de cassation encadre strictement les règles applicables à la rémunération variable, et aux objectifs qui en sont le point de départ, afin d’éviter tout abus dans la détermination de son montant.

1) Pas de promesse unilatérale d’embauche sans rémunération variable précise.

Il est acquis que la promesse unilatérale d’embauche, pour être qualifiée comme telle et ainsi produire toutes ses conséquences en cas de non-respect par l’employeur, doit mentionner les éléments suivants :
- Emploi du salarié ;
- Date de début du contrat de travail ;
- Rémunération.

Toutefois, qu’en est-il de la rémunération variable ? Doit-elle être prévue ? Et si oui jusqu’à quel degré de détail.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 9 septembre 2020, avait estimé que :

« l’absence de signature de l’avenant portant uniquement sur la part variable de la rémunération » était sans incidence sur la qualification de promesse unilatérale d’embauche.

Ce n’est toutefois pas la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 avril 2022 (n°20-22.454).

Bien au contraire, la Cour de cassation semble considérer la rémunération variable au même titre que la rémunération fixe, estimant qu’en présence de pourparlers sur la « détermination de la part variable de la rémunération », aucune promesse unilatérale d’embauche ne pouvait être retenue.

Cette solution semble ainsi tout à fait cohérente, eu égard à l’importance que peut revêtir la rémunération variable pour un salarié.

Toutefois, aucune indication n’est donnée quant au degré de précision nécessaire pour la détermination de la rémunération variable, et notamment pour les salariés dont le montant de la rémunération variable n’est pas plafonnée mais soumis à des plans de commissionnement.

Dans de tels hypothèses, les plans de commissionnement doivent-ils être transmis pour qu’une promesse unilatérale d’embauche puisse être reconnue ?

2) Les objectifs du salarié doivent nécessairement être portés à sa connaissance en français.

Dans un arrêt du 2 février 2022 (n°20-15.183), la Cour de cassation est venue rappeler que, pour être valablement opposables au salarié, ses objectifs doivent être portés à sa connaissance en français, et ce quand bien même le salarié parlerait couramment la langue fixant ses objectifs.

En l’espèce, un salarié employé en qualité de spécialiste reporting financier s’est vu fixer des objectifs en anglais, objectifs nécessaires à la détermination de sa rémunération variable et ce pendant 3 ans.

Le salarié a par la suite saisi le Conseil de prud’hommes, estimant que ses objectifs lui étaient inopposables, du fait de l’absence de traduction, et qu’il pouvait donc prétendre au paiement de l’intégralité de sa rémunération variable.

La Cour d’appel de Paris l’a débouté de ses demandes, estimant que la langue anglaise était la langue d’échange entre le salarié et sa direction et qu’il avait été amené à remplir ses évaluations en anglais, sur la base des objectifs qui lui était transmis.

En substance, la Cour d’appel estimait que le salarié ayant la maîtrise de la langue anglaise, il n’était pas nécessaire qu’une traduction en français de ses objectifs lui soit communiquée pour qu’ils lui soient opposables.

La Cour de cassation n’a toutefois pas retenue cette interprétation, jugeant que :

« les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable étaient rédigés en anglais et qu’il ne ressortait pas de ses constatations que le salarié avait eu accès, sous quelque forme que ce soit, à un document rédigé en français fixant ces objectifs ».

Aussi, à défaut pour le salarié de disposer d’une traduction du document fixant ses objectifs (nonobstant sa maitrise de la langue en question), ces derniers lui sont inopposables et il peut donc bénéficier du paiement de l’intégralité de sa rémunération variable.

3) Évolution de la rémunération variable du salarié.

La rémunération variable d’un salarié peut être amenée à évoluer dans le temps, que ce soit dans son principe ou du fait de la modification des objectifs.

a) L’accord exprès du salarié est impératif en cas de suppression de sa rémunération variable.

Dans le premier cas, l’accord exprès du salarié est impératif, dès lors que cela constitue une modification du contrat de travail.

C’est notamment ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juillet 2022 (n°21-10.607).

Dans le cas d’espèce soumis à la Haute Juridiction, une salariée avait, selon l’arrêt d’appel, sollicité une augmentation de sa rémunération mensuelle de base avec, en contrepartie la suppression de sa rémunération variable.

Un courrier avait été formalisé à ce titre, reprenant les échanges qui seraient intervenus entre la salariée et le gérant, échanges attestés par ce dernier.

Si la connaissance de ce courrier par la salariée n’était pas contestée, il n’avait jamais été signé par la salariée.

La Cour de cassation estime dans ces conditions que l’accord exprès de la salariée n’est pas démontré et, partant, que sa rémunération variable ne pouvait être supprimée moyennant une augmentation de son salaire de base, et ce quand bien même cela serait financièrement plus favorable pour elle.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de modification du contrat de travail.

Toute modification, favorable ou non au salarié, doit faire l’objet d’un accord exprès, cet accord ne pouvant se déduire de la simple poursuite du contrat, sans contestation de la part du salarié.

Il est donc impératif pour les salariés d’être vigilant lors de la signature d’éventuels avenants, cela pouvant entraîner des conséquences non négligeables et parfois définitives, sans possibilité de recours ultérieur.

b) L’employeur peut, sous condition, modifier les objectifs du salarié.

Dans le cas d’une modification des objectifs du salarié, impactant de fait sa rémunération variable, son accord exprès n’est pas nécessaire dès lors que la détermination des objectifs relève du pouvoir de direction de l’employeur.

Toutefois, l’employeur ne peut modifier les objectifs d’un salarié qu’à deux conditions, rappelées dans un arrêt du 28 septembre 2022 (n°20-22.885) :
- Les objectifs fixés doivent être réalisables ;
- Les objectifs sont fixés en début d’exercice.

Dans cet arrêt, les objectifs d’une salariée avaient été modifiés en cours d’année. L’employeur estimait qu’il n’avait commis aucun abus en cela.

Toutefois, la Cour de cassation a estimé qu’il ne convenait pas d’analyser si les objectifs avaient été modifiés abusivement, mais bien s’ils l’avaient été en début d’exercice, tout en restant réalisables.

De plus, la Cour de cassation ne reprend pas l’argument de la salariée quant à la nécessité de son accord dans le cadre d’une modification de ses objectifs.

4) L’employeur doit apporter des éléments permettant de calculer le montant de la rémunération variable due.

Dans deux arrêts des 16 février 2022 (n°20-17.863) et 29 juin 2002 (n°20-19.711), la Cour de cassation a rappelé qu’en cas de litige sur la rémunération variable d’un salarié, il appartient à l’employeur de :

« communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d’un salarié » et de « justifier des éléments permettant de déterminer la base de calcul et la rémunération variable pour les périodes en litige ».

Ce n’est donc pas au salarié de justifier du montant de la rémunération variable qu’il prétend devoir percevoir mais bien à l’employeur de verser aux débats les éléments permettant de calculer la rémunération variable due.

La Cour de cassation fonde ses décisions sur deux éléments :
- L’employeur détient les éléments permettant de calculer la rémunération variable du salarié : c’est donc à lui d’en justifier ;
- L’employeur se prétend libérer du paiement de la rémunération variable du salarié : il doit donc rapporter la preuve que son obligation est éteinte.

5) Le salarié a droit au paiement de sa rémunération variable, au prorata temporis de son temps de présence, en cas de départ en cours d’année.

Le paiement de la rémunération variable, en cas de départ en cours d’année du salarié, fait l’objet d’un contentieux important.

En effet, que ce soit pour le salarié ou l’employeur, le paiement (ou non) de la rémunération peut avoir un impact significatif sur la volonté de rompre le contrat de travail.

Aussi, un salarié peut-il se voir refuser le paiement de sa rémunération variable s’il démissionne ou est licencié en cours d’année ?

Pour la Cour de cassation, la réponse est négative dès lors que :

« une prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, elle s’acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice » [1].

Le salarié a donc droit au paiement de sa rémunération variable s’il quitte l’entreprise en cours, la Cour de cassation rappelant toutefois dans un arrêt du 6 juillet 2022 (n°21-12.242) que :

« l’ouverture du droit à un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumise à une condition de présence à la date de son échéance ».

Le salarié doit donc être en mesure de connaître en amont la portée de sa démission, ou de son licenciement, sur sa rémunération variable.

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Camille Bonhoure, Avocat
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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