L’article 9§2 de la Convention Européenne des droits de l’Homme qui s’inscrit en ce sens et pour laquelle la France est partie prenante, précise que
« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
L’articulation entre la neutralité du service public et la liberté de religion des usagers revêt un caractère particulier dans un contexte ou le fait religieux prend de plus en plus d’importance sur la scène politico-médiatique.
L’émergence de nouveaux modes d’alimentation « healthy food » accroissent également la volonté de certaines familles à œuvrer dans le sens de la mise en place d’un menu de substitution végétarien dans les cantines scolaires.
Les collectivités locales doivent non seulement essayer de faire face aux revendications de plus en plus nombreuses, et tenir compte de la précarité de certains usagers pour lesquels le repas scolaire représente le seul repas complet de la journée.
La restauration scolaire est un service public facultatif comme le rappelle la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Le choix de sa mise en place appartient à chaque collectivité territoriale qui est libre d’accepter de proposer une cantine à ses usagers ou de le refuser.
Le caractère facultatif de ce service public permet à la collectivité de bénéficier d’une marge de manœuvre dans le choix des menus en l’absence à l’heure actuelle de législation nationale précise à ce sujet.
Ce choix qui doit intervenir dans le respect de l’égalité d’accès à ce service et de la neutralité religieuse implique t-il nécessairement un droit de l’usager à obtenir un menu conforme à ses convictions religieuses ?
C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision rendue par le conseil d’état le 11/12/20.
Il s’agissait en l’espèce de la ligue de défense judiciaire des musulmans qui contestait la décision du maire de la commune de Chalon-sur-Saône de ne plus proposer dans les restaurants scolaires municipaux des menus de substitutions aux plats contenant du porc.
Le maire de cette commune avait décidé de mettre un terme à cette pratique installée dans la collectivité depuis 31 ans au motif que « le principe de laïcité interdit la prise en considération de prescriptions d’ordre religieux dans le fonctionnement d’un service public ».
La cantine est un service publique facultatif, il appartient à cet effet au parent de choisir librement d’y mettre son enfant en ayant préalablement connaissance des repas proposés par celle-ci.
L’assemblée nationale considère dans une réponse publiée au Journal Officiel le 07 janvier 2014 que
« Seules les prescriptions nutritionnelles relatives à la composition des repas tiennent lieu d’obligation. Aucune obligation de prévoir des plats de substitution en raison de pratiques d’ordre confessionnel ne saurait donc contraindre les collectivités ».
Le refus d’une collectivité d’adapter un repas en fonction des convictions religieuses des familles ne saurait être assimilé à une pratique discriminatoire puisqu’aucun refus de principe concernant l’accès à la cantine n’est par ailleurs opposé aux parents ».
Dans sa décision du 11 décembre 2020, Le Conseil d’Etat se prononce favorablement sur le maintien d’un menu de substitution considérant que cette pratique n’engendrait pas en l’espèce de difficultés particulières d’organisation du service public et ne contrevenait pas aux principes de laïcité et de neutralité.
Les collectivités territoriales n’ont pas l’obligation de se plier aux prescriptions alimentaires religieuses des usagers, elles ont cependant l’obligation de se conformer à l’intérêt général afin que tous les usagers puissent bénéficier du service de restauration scolaire conformément aux principes d’égalité et de neutralité du servie public.
Il revient donc à la collectivité de prévoir une diversité des plats proposés afin de permettre à tout un chacun de bénéficier d’un repas équilibré.
La décision rendue par le Conseil d’État semble aller dans le sens du pluralisme, la tolérance et l’ouverture d’esprit dans une société démocratique.
« L’éducation nutritionnelle à l’école doit être reliée à la vie sociale et tenir compte des différentes cultures » [1].
« Le service de restauration scolaire qui contribue au bon accueil des élèves et à la qualité de leur cadre de vie, favorise l’accomplissement de la mission éducatrice de l’école » [2].
La question des repas de substitution interroge à juste titre sur la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Outre les convictions religieuses, il paraît important de ne pas créer de pratiques discriminatoires ni même de stigmatisation d’un moment de plaisir dans la socialisation alimentaire.
C’est dans le cadre de ce temps extra-scolaire et de détente que les enfants peuvent le mieux interagir, par ailleurs , fournir un repas de substitution à un enfant ayant des contraintes alimentaires permet de lui assurer les apports nutritionnels nécessaires à l’énergie mobilisée au cours d’une journée d’école.
Ces différents enjeux ont conduit le défenseur des droits à intervenir sur cette question.
Le 28 mars 2011 le défenseur des droits en qualité de médiateur a été saisi de la situation de deux enfants accueillis au sein d’une crèche municipale.
Les nouvelles directives de la crèche, prévoyaient de la viande à chaque repas. Les enfants étaient libres d’en manger ou de ne pas en manger. Les parents invoquaient une pratique discriminatoire.
Le défenseur des droits constatant une absence de discrimination a tenté de concilier le maire et ces parents afin de trouver une alternative favorable au litige.
L’observatoire de la laïcité semble vouloir aller dans le sens du pluralisme, préconisant la mise en place d’une certaine diversité des menus en offrant un choix avec et sans viande. L’offre de choix constituant selon eux un principe d’intérêt général.
L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme protège tout individu suivant des préceptes alimentaires dictés par une religion ou un courant philosophique en témoigne l’arrêt Cha’are shalom Ve Tsedek Contre France du 27 juin 2000 ; ou encore l’arrêt Jakóbski c. Pologne du 7 décembre 2010. Il s’agissait en l’espèce d’un détenu qui demandait à l’administration pénitentiaire des repas sans viandes conformément à ses convictions bouddhistes. Face au refus de l’administration pénitentiaire, la cour en a conclu à une violation de l’article 9 au motif qu’une telle modification ne représentait pas une charge exorbitante.
L’objectif étant de concilier le libre exercice des convictions religieuses en matière d’alimentation sans imposer a l’administration des moyens excessifs à sa mise en œuvre. Elle doit compte tenu des contraintes liées au bon fonctionnement du service permettre d’assurer l’observance de telles pratiques.
Ces nécessités impérieuses qui mettent en balance des libertés publiques fondamentales concernent un large panel de la population : les enfants, les détenus, les personnes hospitalisées, ou tout autre usager du service public comme le précise la circulaire du 13 avril 2007 portant charte de la laïcité
« les usagers accueillis à temps complet dans un service public notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leur conviction, sous réserve des contraintes découlant des nécessités de bon fonctionnement du service ».
Les limites à la liberté religieuse doivent toujours poursuivre un but précis, légitime et non disproportionné à l’atteinte causée.
Le Conseil d’État a notamment eu l’occasion de le rappeler dans sa décision du 2 novembre 1992 « Kherouaa et autres » ainsi que dans celle du 11 décembre 2020 « Commune de Chalon-sur-Saône ».
Discussions en cours :
Une définition claire et simple de la laïcité, ce qu’elle permet ou non . Article très intéressant et très pertinent quant à la mission du service public dans ce contexte .
Bonjour,
Des repas halal peuvent ils être proposés dans les maisons pour tous qui sont des centres sociaux culturels gérés par les municipalités.
Merci.
Bonjour,
c’est possible mais juridiquement rien ne l’impose.
Bien Cordialement
Sonia Cherifi
Juriste