Sans existence juridique propre, leurs positions les maintiennent en état de soumission, les empêchant de dénoncer leur situation de violences par peur de se voir délivrer une obligation à quitter le territoire français.
Chantage aux papiers, menace de répudiation… sont autant de facteurs qui ont poussé la chancellerie à agir en faveur de l’autonomie des femmes étrangères.
L’instruction relative à la délivrance des titres de séjour pour les victimes de violences conjugales et familiales du 23 décembre 2021 met un point d’honneur à réaffirmer le cadre juridique en vigueur en invitant les préfets dans l’utilisation de leur pouvoir discrétionnaire à faire preuve de bienveillance envers elles, car « il n’existe pas de femmes moins égales que d’autres » comme semblait l’affirmer Coluche.
Il apparaissait donc nécessaire de porter une attention particulière aux ressortissantes étrangères en situation de violences pour faire cesser cette omerta en vue d’améliorer leur condition d’accueil et d’intégration sur le territoire, et pour cause. Comment pourraient elles agir si aucune garantie de se maintenir en France ne leur était donnée ?
Le maintien du droit au séjour des victimes de violences en situation régulière (I) ou irrégulière (II) s’apprécie au regard de circonstances exceptionnelles et humanitaires.
I- Le maintien du droit au séjour des victimes de violences en situation régulière.
La loi permet à toute victime de pouvoir se maintenir en France dès lors que la vie commune à été rompue pour des faits inhérents à de la violence conjugale qu’elle soit physique [1], psychologique [2], économique [3] ou administrative [4].
Pour une délivrance du titre de séjour sur le fondement de circonstances humanitaires, l’instruction du 23/12/2021 nous rappelle que, l’état tient compte des conséquences que ces violences ont engendrées sur ces personnes et des répercussions qu’elles pourraient entrainer si elles étaient forcées à retourner dans leur pays d’origine.
A cette fin l’article L423-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit pour l’étranger conjoint de Français l’attribution d’un titre de séjour vie privé vie familiale d’un an si celui-ci a interrompu sa vie commune pour des faits de violences ; de même que pour l’étranger arrivé en France au titre du regroupement familial [5], ou pour les membres de famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale [6] ou d’apatrides [7].
Il est à noter que le législateur a souhaité attirer l’attention des préfets sur la vraisemblance des violences alléguées par la victime plutôt que sur leur temporalité.
En effet, il importe peu au législateur que ces faits de violences aient entrainé une rupture de la vie commune après leur arrivée en France et avant la délivrance de leur premier titre de séjour, ce qui n’empêchera pas celles-ci sous réserve d’en prouver la véracité de bénéficier d’un titre de séjour vie privée vie familiale d’un an.
L’instruction du 23/12/2021 qui s’inscrit dans le sens de la réponse apportée par le journal officiel le 19/02/2008 à la question n°5021 posée par l’assemblée nationale, s’attache à rappeler que le préfet n’est en aucun cas un juge pénal bien que disposant d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’ensemble des éléments de preuves rapportés par la victime. L’appréciation devant être réalisée uniformément au sein des préfectures du territoire national avec la plus grande vigueur et objectivé indépendamment des sentiments d’humanité et de compassion propres au ressenti personnel du préfet.
Qu’elles soient françaises ou étrangères la finalité est la même : prouver la vraisemblance des violences par tous moyens. L’enjeu consiste à disposer d’éléments de preuves suffisant à corroborer leur propos avec ou sans dépôt de plainte, tels que certificats médicaux, attestations de témoins, photos, échanges de textos, messages vocaux sur le téléphone portable ou via des réseaux sociaux…
En somme : prouver pour être protégée, prouver pour obtenir un titre lorsque l’on est étrangère.
C’est ainsi sans surprise qu’une victime de violences ayant engagé une procédure civile et obtenu une ordonnance de protection bénéficiera d’un titre de séjour pour motif humanitaire [8] ou d’une carte de résident pour l’engagement d’une procédure pénale à la suite d’un dépôt de plainte ayant abouti à une condamnation de l’auteur [9].
Toute les situations ne relevant pas de ces dispositions juridiques feront tout de même l’objet d’une appréciation in concreto [10] par le préfet dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire.
II- Le maintien du droit au séjour pour les victimes en situation irrégulière.
Les victimes de violences arrivées en France de manière irrégulière pourront faire l’objet d’une admission exceptionnelle au séjour au regard de motifs exceptionnels et de considérations humanitaires sur le fondement de la circulaire Valls du 28/11/2012 et de l’article L435-1 du Ceseda.
Les conditions d’appréciation restant soumises au caractère réel et sérieux des motifs invoqués, tenant à prouver la vraisemblance des violences par tous moyens.
Le préfet pourra en cas d’intime conviction, leur délivrer un titre de séjour vie privée vie familiale d’un an.
Etant précisé qu’en tenant compte de la vulnérabilité de ces victimes, les textes prévoient une exonération de taxe et de droit de timbre en cas de délivrance d’un titre de séjour ou d’une carte de résident [11].
Le cas spécifique des ressortissantes algériennes.
L’accord franco-algérien du 27/12/1968 [12] qui régit les conditions du droit au séjour des algériennes sur le territoire français, ne prévoit aucune disposition pour les situations de violences conjugales.
En l’absence de dispositions spécifiques, les ressortissantes algériennes pourront solliciter une demande de titre de séjour au préfet sur le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour.
Cette possibilité consacrée par la circulaire du 27/10/2005 relative au droit au séjour en France des étrangers relevant de régimes juridiques spéciaux, confirmée par l’avis rendu par le conseil d’état le 22 mars 2010 n° n°333679 permettent de ne pas en faire des victimes de seconde zone.
La France consciente du caractère prioritaire de la lutte contre les violences conjugales a su adapter son arsenal législatif aux femmes étrangères afin d’anéantir toute possibilité du conjoint de pouvoir décider de leur sort en France, mettant un point final à toutes les situations favorisant la dépendance et la soumission.
La protection accordée aux femmes étrangères reste encore limitée, nombreuses sont celles qui n’agissent pas, par peur des conséquences.
Discussion en cours :
Article très intéressant et très explicatif