La responsabilité du joueur amateur de football (ou de son club).

Par Lorenzo Delfini, Elève-Avocat.

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Explorer : # responsabilité délictuelle # joueur amateur # faute sportive # assurance

Le monde du football retient son souffle dans l’attente du verdict concernant la participation du buteur colombien Radamel FALCAO (actuellement sous contrat avec l’AS Monaco) à la prochaine Coupe du Monde.
Ce dernier, récemment opéré, a subi une rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche lors de la rencontre de Coupe de France contre le club amateur du Monts d’Or Azergues Foot (Chasselay).
Le défenseur a l’origine du tacle litigieux, Soner Ertek, a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses menaces même si le joueur colombien lui a depuis publiquement pardonné son geste.

Au-delà de cette polémique, il convient de s’interroger plus généralement sur la nature de la responsabilité d’un joueur amateur. Peut-il voir sa responsabilité engagée à cause d’un fait de jeu, son club doit-il également répondre du préjudice subi par le joueur blessé ou par le club ?

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Qu’est-ce qu’un joueur amateur ?

La distinction avec le joueur salarié est parfois difficile à caractériser. La Cour de cassation a déjà retenu la qualification de salarié concernant un joueur de rugby qui recevait certaines sommes relatives à des remboursements de frais et à des primes de match alors même qu’il exerçait à titre principal une autre activité salariée à plein temps
(Cass. soc., 28 avr. 2011, n° 10-15.573).

Les critères jurisprudentiels caractéristiques du contrat de travail que sont : la fourniture d’une prestation de travail, le versement d’une rémunération et l’existence d’un lien de subordination juridique conduisent à entendre largement la notion de salariat dans le domaine du sport.

En retenant la qualification d’amateur, sur quels fondements serait-il possible alors d’envisager alors l’engagement de la responsabilité de ce type de joueur ?

3 pistes à envisager :
- Engager une action contre son club sur le fondement du principe général de responsabilité du fait d’autrui (article 1384 alinéa 1).
- Engager la responsabilité personnelle du joueur sur le fondement de l’article 1383 du Code civil.
- Engager une action contre son club sur le fondement de la responsabilité des commettants du fait de leur préposé (article 1384 alinéa 5 du Code civil).

L’ensemble de ces régimes relèvent de la responsabilité délictuelle dès lors qu’aucun lien contractuel ne lie les joueurs entre eux même lorsqu’ils participent à une même compétition nationale.

Sur la responsabilité du fait d’autrui :

Ce principe général de responsabilité du fait d’autrui a été dégagé pour la première fois par la jurisprudence avec l’arrêt Blieck de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rendu en 1991. Il a ensuite trouvé application concernant les associations sportives dans la mesure où elles ont pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler les activités de leurs membres.
Elles se doivent donc de répondre des dommages causés par ces derniers sous certaines conditions :
- L’existence d’une faute caractérisée par la violation des règles du jeu imputable à l’un des joueurs.
- Le joueur doit avoir commis un acte de nature à engager sa propre responsabilité.
- Il doit s’agir d’un comportement dépassant le cadre d’une action normale de jeu.

C’est le dernier critère qui suscite généralement discussion. Qu’est-il possible de qualifier de comportement dépassant le cadre d’une action normale de jeu ?

Un tacle par derrière par exemple, relève-t-il de cette catégorie ?
La jurisprudence en la matière est très pragmatique. Il a déjà été retenu que le geste défensif consistant à tacler un adversaire par derrière est un acte de déloyauté susceptible de provoquer un risque anormal faisant donc échec à la théorie de l’acceptation des risques.
(CA Aix-en-Provence, 10e ch., 17 avr. 2013, n° 11/03099).

Cette théorie doctrinale a longtemps été invoquée pour faire échapper certaines pratiques sportives au domaine de la responsabilité. Aujourd’hui elle a été fortement limitée et circonscrite à la réparation des dommages matériels et non corporels (article L321-3-1 du Code du sport).

A l’inverse un tacle réalisé de face a déjà été considéré comme ne faisant encourir aucun risque anormal et exonérant son auteur de toute responsabilité (CA Bastia, ch. civ., 27 mars 2013, n° 11/00977).

C’est donc au cas par cas et au regard des circonstances propres à chaque espèce que les tribunaux statuent dans ce domaine.

Sur la responsabilité du fait personnel pour imprudence :

C’est l’article 1383 du Code civil qui dispose que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. ».
Les critères retenus en la matière sont l’existence d’une faute commise par imprudence ou négligence, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Le lien de causalité et le préjudice font rarement débat.

C’est une nouvelle fois la qualification de la faute qui peut poser problème.
Si le tacle n’est pas exécuté en vue de blesser le joueur adverse, le caractère intentionnel est à écarter. Il a eu lieu alors d’analyser précisément les faits ayant conduit au dommage.
La part de responsabilité du joueur "victime" dans la survenance du dommage est également à prendre en compte et pourra conduire à minimiser la responsabilité du joueur "fautif ".

A titre d’exemple Falcao avant sa blessure avait déjà fait l’objet d’une période de convalescence et il avait ensuite repris intensivement la compétition en enchaînant de nombreux matches ce qui pourrait également expliquer la gravité de sa blessure.

Néanmoins lorsqu’un tacle a été exécuté de manière dangereuse par derrière, et n’a pas conduit à récupérer le ballon, il est possible de retenir une certaine imprudence et de considérer que le geste n’est pas conforme aux règles du jeu.

Mais en l’absence de toute décision arbitrale sanctionnant cette action le joueur bénéficie-t-il d’une totale exonération ?
La jurisprudence a tranché, en faisant primer la liberté d’appréciation du juge quant à la violation des règles du jeu sur la décision arbitrale.
Le juge pourra donc toujours retenir qu’une action est contraire aux règles du jeu et susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, là où l’arbitre avait écarté toute faute.

Sur la responsabilité du commettant du fait du préposé :

Elle repose sur 3 critères : un lien de subordination entre l’employeur et le salarié, une faute du salarié, commise dans l’exercice de ses fonctions.

Mais ce régime suppose au préalable l’existence d’un contrat de travail, qui comme on a pu le voir est exclu dans l’hypothèse d’un joueur amateur.
En effet, selon la jurisprudence, ce dernier conserve au cours de sa pratique « la liberté et la spontanéité inhérentes à la pratique du sport ».

Cette exonération peut également s’expliquer par des impératifs économiques et vise à préserver les petits clubs amateurs de tout recours systématique sur ce fondement.

En conclusion, la responsabilité d’un joueur même amateur et celle de son club peut être engagée sur différents fondements et avoir des répercussions financières conséquentes pour ce type de structure. D’où l’intérêt (et l’obligation dans la plupart des cas) de souscrire des assurances couvrant ce type de risque.

En effet, même si le club ne décide pas de poursuivre le joueur ou son club en réparation du préjudice subi, c’est le cas échéant la CPAM sur le fondement de l’action récursoire (prévue par l’article L. 454-1 du Code de la sécurité sociale) qui pourra obtenir le remboursement des frais relatifs à l’accident survenu.

Lorenzo Delfini, avocat au Barreau de Paris
https://delfini-avocat.fr

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Discussions en cours :

  • Maître,

    Je me permets de revenir vers vous suite à la lecture de votre article afin de vous faire part d’une série d’observations.

    Je ne souhaite pas revenir ici sur votre première section relative à l’identité du joueur amateur, préférant vous faire part d’observations sur la seule question de la responsabilité.

    Concernant la responsabilité du fait d’autrui, les trois conditions que vous évoquez sont redondantes. Lorsque l’on reprend les critères posés par les arrêts de mai 1995, on retrouve notamment deux conditions supplémentaires :
    - le sportif doit avoir la qualité de "membre" de l’association ;
    - la faute doit être commise au cours de l’activité sportive (point qui peut être soulevé dans l’argumentation propre à l’analyse de l’application éventuelle de l’article 1384 alinéa 5).

    Vous faites référence à l’article L 321-3-1 du Code du Sport dans votre discussion relative à la théorie de l’acceptation des risques. Bien que cet article ne concerne pas le football, il me semble indispensable de rappeler que d’un point de vue juridique (et non politique) cet article ne peut être associé à la théorie de l’acceptation des risques.

    Concernant votre exposé sur l’imprudence, je vous rappelle que l’imprudence et/ou la négligence n’est sanctionnable en matière sportive que si cette dernière est justement "fautive" eu égard aux règles sportives. En plus des règles sportives, on peut même ajouter les usages de chaque sport puisque ces derniers sont désormais retenus par les juges.

    Vous souhaitant une bonne réception de la présente, je me tiens à votre disposition pour échanger sur ces différents points.

    Cordialement,

    Olivier GEORGES

    • Monsieur,

      Merci de vos remarques qui permettent de compléter mes propos qui n’ont pas vocation à être exhaustifs mais plutôt à rappeler de manière synthétique certains grands principes.

      Sur les deux critères que vous avez mentionnés, ils ne me paraissent pas essentiels à la compréhension du mécanisme de la responsabilité dans ce cadre dès lors qu’ils découlent de l’objet même des association sportives : organiser, diriger et contrôler les activités de leurs membres.

      Sur la théorie de l’acception des risques et l’article L321-3-1 du Code du sport, il est vrai qu’il s’agit sûrement d’une décision politique néanmoins juridiquement elle a notamment pour effet indirect de restreindre la portée de cette théorie aux dommages matériels.

      Enfin sur l’imprudence, je pense que nous sommes d’accord, je souhaitais simplement souligner que le juge n’est pas lié par la décision arbitrale concernant le fait de jeu "litigieux".

      Je reste à votre disposition pour échanger de nouveau sur ce sujet.

      Cordialement

      Lorenzo DELFINI

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