Responsabilité du syndicat des copropriétaires du fait de l’empiétement d’ouvrages privatifs.

Par Charles Dulac, Avocat.

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Explorer : # responsabilité du syndicat des copropriétaires # empiètement # parties communes à jouissance privative # droit de la copropriété

En copropriété comme en droit commun, la propriété du sol emporte celle des ouvrages du dessus. De ce fait, il importe peu que la construction ait été édifiée par des copropriétaires, légalement ou non, elle sera de nature commune si édifiée sur les parties communes, avec toutes les conséquences s’y attachant.

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Le 25 janvier 2023, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt en tout point inédit [1]. Dans les faits, deux copropriétaires avaient édifié sur leurs jardins respectifs, parties communes à jouissance privative, des ouvrages qui empiétaient sur l’assiette d’une autre copropriété. Non contente de cette situation, ladite copropriété avait assigné non pas les deux voisins, à titre personnel, mais la copropriété voisine considérant que le syndicat des copropriétaires aurait dû prendre des mesures pour obtenir la démolition des constructions érigées irrégulièrement par ses copropriétaires eu égard à son obligation de veiller à la conservation de l’immeuble et à l’administration des parties communes.

Si les conseillers de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avaient tout d’abord rejeté les demandes du syndicat des copropriétaires préjudicié, considérant que l’empiètement ne concernait pas les parties communes du syndicat assigné, ce dernier n’ayant pas commis de faute en ne sollicitant pas leur démolition, la Cour de cassation a rappelé que la situation de ces constructions, sur des parties communes à jouissance privative, suffisait à leur donner une nature commune dont le syndicat des copropriétaires mis en cause avait la garde. La responsabilité de ce dernier doit donc être recherchée.

En doit commun de la propriété, le paradigme est le suivant : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » [2]. Il faut comprendre de cette fiction juridique de l’existence d’une subordination de l’objet, l’ouvrage, sur le fonds, le sol, sur lequel il est implanté. Il en découle dès lors une présomption de destination par laquelle la construction épouse la nature juridique de l’immeuble sur lequel elle est ancrée. Pour simplifier, les fruits d’un arbre doivent être regardés comme une l’extension de l’arbre. De même, en immobilier, une cheminée en pierre moulée, arrimée au mur, doit être considérée comme un élément structurel de l’immeuble, par destination.

Et bien, c’est la même chose en droit de la copropriété. C’est en tout cas ce qu’a considéré la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2023. Les Hauts Magistrats ne se sont toutefois pas fondés sur les articles 552 et suivants du Code civil mais sur les articles 3 et 14 de la Loi du 10 juillet 1965. Spécificité oblige, la cour a privilégié le particularisme du droit de la copropriété et a excipé la notion de partie commune. D’autant plus qu’en l’espèce, il s’agissait de parties communes à jouissance privative. Aussi, si le syndicat des copropriétaires n’est pas, à proprement parlé, propriétaire desdites parties, il en est néanmoins le gardien. Il faut dès lors comprendre le statut des parties communes à jouissance privative (I), pour apprécier la responsabilité du syndicat des copropriétaires du fait des ouvrages édifiés, même à titre privatif (II).

I. Un ouvrage édifié par un particulier sur une partie commune à jouissance privative doit être considéré comme de nature commune.

A première vue, cette affirmation ne semble pas couler de source. En effet, si l’on se fie « bêtement et simplement » au principe le plus consacré de notre droit, celui de la propriété individuelle, la personne qui érige un bâtiment en est le propriétaire. Tel n’est pourtant pas le cas. Revenons sur les propos limaires évoqués en infra. L’article 552 du Code civil évoque un aspect plus complexe du droit de la propriété. Il importe finalement peu l’identité de celui qui a bâti l’ouvrage, ce qui compte est en définitif le lieu, l’emplacement sur lequel il est construit. De ce fait, sauf régularisation de la situation, le bâtiment épousera la nature de son emplacement.

C’est exactement ce qu’a voulu dire la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2023, en infirmant l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, pour rejeter les demandes du syndicat des copropriétaires préjudicié par l’empiétement, avait retenu

« qu’il n’est pas établi que les empiétements seraient dus à des ouvrages ayant la nature de parties communes et comme tels dépendants du syndicat des copropriétaires voisin » […] « tout en relevant que les ouvrages empiétant sur l’assiette de la copropriété […] avaient été édifiés par deux copropriétaires sur les jardins, parties communes de la copropriété […], dont ils avaient la jouissance privative, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ».

Il s’infère de la motivation de la Cour de cassation deux aspects :

  • La cour affirme le statut collectif de la partie commune à jouissance privative :

Il faut savoir que si l’arrêt de la Haute Juridiction date du 25 janvier 2023, les faits sont quant à eux bien plus anciens. En réalité, l’introduction de l’affaire remonte avant la Loi Elan, du 23 novembre 2018, qui a consacré notamment le statut de la partie commune à jouissance privative.

On comprend dès lors pourquoi la Cour de cassation s’est fondée au visa de l’article 3 de la Loi du 10 juillet 1965, seul, à cette époque, à régir le statut des parties communes générales et accessoires. Il fallait ainsi se fier à la jurisprudence des Tribunaux qui considérait unanimement que :

« Le droit de jouissance privatif n’est pas un droit de propriété ».

Effectivement, si le droit de jouissance d’une partie commune implique une exclusivité d’usage par le propriétaire du lot affecté [3], il ne s’agit aucunement d’une appropriation de la parcelle. Ce droit peut par ailleurs être temporaire et la partie concernée demeure la propriété du syndicat des copropriétaires.

C’est ce qu’a formalisée la Cour de cassation au terme d’un arrêt de principe du 6 juin 2007, en déclarant : « qu’un droit de jouissance exclusif sur des parties communes n’est pas un droit de propriété et ne peut constituer la partie privative d’un lot » [4].

« Le droit de jouissance privatif confère qu’un droit réel d’usufruit ».

C’est ici tout l’abstraction du démembrement du droit de propriété : le droit de jouissance exclusif sur une partie commune ne confère pas la pleine propriété mais bien un usufruit sur la parcelle commune. La cour d’appel suivie par la Cour de Cassation ont rappelé que

« les lots des copropriétaires étaient composés du droit à la jouissance exclusive et privative d’une parcelle de terrain sur lesquels est implantée chaque maison et la propriété privative des constructions ainsi que des millièmes de parties communes, la cour d’appel a retenu, à bon droit et sans dénaturation, que seul un droit réel de jouissance était conféré aux copropriétaires et que le sol était une partie commune (...) » [5].

Cette affirmation implique deux lectures. Celle positive qui donne un véritable droit d’usage au copropriétaire concerné, puis, celle négative, qui rappelle que le sol demeure partie commune Le cas échéant, le titulaire du droit de jouissance exclusif ne peut en aucun cas effectuer des actes de disposition ou d’aliénation sur la partie commune et sera soumis, pour ce faire, à l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaire.

Avec la loi Elan, de 2018, et son Ordonnance d’application, du 30 octobre 2019, la situation a été rationnalisée à l’article 6-3 de la Loi du 10 juillet 1965 qui dispose désormais :

« Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité exclusifs d’un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires.
Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot.
Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte
 ».

  • La cour prédispose de la destination commune des ouvrages qui y sont édifiés :

Si, dans son arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation confirme justement l’application de la loi nouvelle et du statut collectif de la partie commune à jouissance privative, elle semble toutefois aller plus loin. En effet, en considérant que les conseillers d’appel ont violé les textes en ne retenant pas la nature commune des ouvrages édifiés par les copropriétaires, du seul fait qu’ils avaient été construits sur une partie commune, les Hauts Magistrats ont dès lors extirpé la notion civiliste d’immeuble par destination pour la greffer au droit de la copropriété.

Cela signifierait donc que tout immeuble bâti sur une partie commune doit nécessairement être considéré comme propriété du syndicat des copropriétaires ?

Cela semble grossier car si un copropriétaire construit sur une partie commune et qu’il régularise la situation par un vote en assemblée générale, le syndicat des copropriétaires ne peut en aucun cas en disposer et revendiquer un quelconque droit de propriété dessus. En réalité, même si l’ouvrage est illégal, le syndicat des copropriétaires n’a aucun pouvoir d’aliénation. Tout au plus, il peut, même doit, solliciter sa démolition. En aucun cas, en copropriété, la nature du sol n’emporte une expropriation du bien à son propriétaire. Pire encore, le syndicat des copropriétaires ne dispose légalement d’aucun droit de propriété, pas même sur les parties communes dont il n’a qu’un pouvoir de garde. La propriété est celle de la collectivité des copropriétaires, seule à pouvoir décider de l’aliénation d’une partie commune par le biais des décision d’assemblées générales.

En fait, les termes de la Cour de cassation sont bien plus choisis et révèle une véritable finesse de raisonnement. On parle de « nature commune » des ouvrages et non de propriété. Cela semble dire tout autre chose. En l’espèce, c’est la copropriété voisine qui déplorait l’empiètement, pas le syndicat des copropriétaires sur lequel se trouvaient les ouvrages. Or, cette copropriété voisine ne disposait d’aucun droit sur les copropriétaires mitoyens et ne pouvait en aucun cas alléguer de l’irrégularité des constructions dont, par ailleurs, on ignore si elles avaient été dûment approuvées en assemblée générale. Aussi, la cour prédispose de la nature commune de ces ouvrages pour permettre opportunément à la copropriété voisine de rechercher la responsabilité du syndicat des copropriétaires, à charge pour lui d’exercer les recours adéquates contre ses propres membres.

En contournant toute notion de propriété des ouvrages ou de régularité de ces derniers, la cour facilite le travaille du tiers dans la recherche de la réparation de son préjudice. Cette solution est évidement astucieuse et s’inscrit également dans l’évolution législative afférente à la responsabilité du syndicat des copropriétaires.

II. Le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés aux tiers de tout fait trouvant son origine dans les parties communes.

Il faut comprendre qu’à la date des faits ayant retenu la décision de janvier 2023, l’article 14 de la Loi du 10 juillet 1965 évoquait la responsabilité du syndicat des copropriétaires comme suit :

« Il est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires ».

Cette vision, hautement restrictive, ne permettait aux tiers d’agir qu’en cas de démonstration d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien. Aussi, pour palier à cette contrainte, la Cour de cassation s’est donc employée à attribuer le caractère commun à l’ouvrage édifié sur les parties à jouissance privative pour permettre de caractériser le défaut de garde du syndicat dans sa mission d’administration des parties commune. En ne sollicitant pas la démolition des ouvrages, empiétant sur la mitoyenneté commune, le syndicat des copropriétaires a engagé de fait sa responsabilité.

Cette solution s’inscrit évidemment dans la vision dominante qui vise à assouplir la mise en jeu de la responsabilité du syndicat des copropriétaires. L’article 14 est par ailleurs, depuis la Loi Elan, rédigé comme suit : « Le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires ». Outre le caractère de « plein droit » de cette responsabilité (c’est-à-dire sans faute), la copropriété voisine n’aura pas à rechercher le défaut d’entretien ou le vice de construction. Le simple empiétement, provenant d’un ouvrage par nature commun, suffira à permettre l’engagement de la responsabilité du syndicat des copropriétaires. A charge pour ce dernier d’exercer les action récursoires contre ses membres fautifs.

En conséquence, l’arrêt du 25 janvier 2023 conduit à la vigilance du syndicat quant aux constructions érigées sur ses parties communes. Sa responsabilité pourra être facilitée. De même, et cela doit être rappelé, le syndic investi de l’administration de son immeuble devra être particulièrement diligent dans la vérification de ses ouvrages litigieux afin de ne pas risquer une mise en cause à titre personnel. Il ne sera dès lors pas possible de se retrancher sur le caractère privatif ou irrégulier de la construction érigée.

Charles Dulac
Avocat au Barreau de Paris
contact chez dulac-avocat.com

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Notes de l'article:

[1Cass., 3ème Civ., 25 janvier 2023, n°22-12.874.

[2Article 552 du Code civil.

[3Cass Civ. 3ème, 18 janvier 2018, n°16-16.950.

[4Cass. 3ème Civ., 6 juin 2007, n°06-13.477.

[5Cass. Civ.3ème, 2 octobre 2013, n°12-17.084.

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