Dans cette affaire, une institution privée étrangère, la Fundacion Museo de la Moda, avait été déclaré adjudicataire d’une robe haute-couture de Lanvin lors d’une vente aux enchères opérée par la maison Cornette de Saint Cyr.
Estimant après son achat que les restaurations et les altérations significatives que la robe avait subies affectaient son authenticité, la « Fondation » a sollicité l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles et ainsi, le remboursement de son prix d’achat. Elle a en outre demandé l’engagement de la responsabilité professionnelle de la maison de ventes et de l’expert pour préjudice financier et moral.
Par un jugement en date du 14 mai 2020, le Tribunal judiciaire de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes. Cette dernière a donc interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris.
Elle invoquait devant la cour que le catalogue de vente ne mentionnait ni les restaurations ni les altérations subies par la robe alors même qu’elles étaient établies par un rapport d’expertise qu’elle avait fait réaliser par un tiers, et qu’en vertu de l’article 2 du décret du 3 mars 1981, la mise en vente d’un bien sans réserve vaut garantie d’authenticité et absence de restauration. Aussi elle estimait que ce défaut de précisions avait légitimement pu entrainer une erreur sur l’authenticité de la robe.
La Cour d’appel de Paris a donc dû se prononcer sur la question des restaurations affectant une robe haute-couture, de nature à entraîner ou non une erreur sur les qualités essentielles - en l’espèce, l’authenticité - du contrat de vente.
Elle n’a finalement retenu ni l’erreur sur l’authenticité de la robe haute-couture (I), ni la responsabilité de la maison de ventes aux enchères ou celle de l’expert ayant authentifié la robe litigieuse pour le compte de cette dernière (II).
I. Le refus d’annulation de la vente pour erreur sur l’authenticité de la robe restaurée.
1.1. L’absence d’altérations significatives affectant l’authenticité de la robe.
Selon l’ancien article 1110, alinéa 1er du Code civil,
« L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».
En matière d’œuvres d’art, l’authenticité est une qualité essentielle du contrat, selon les dispositions de l’article 1132 du Code civil.
Les restaurations doivent être importantes pour affecter l’authenticité de l’œuvre et leur incidence varie selon les catégories d’objets. Comme le rappelle la cour dans cet arrêt,
« La question des restaurations renvoie au débat sur l’authenticité : selon l’ampleur des restaurations, il pourra ou non être considéré́ que la chose a conservé son authenticité ».
Les juges se livrent donc à une appréciation in concreto du caractère significatif des restaurations et des altérations affectant la robe litigieuse, avant de déterminer si elles affectent l’authenticité de l’œuvre et se prononcer sur l’annulation de la vente aux enchères.
La cour relève des différences et des contradictions entre les diverses « expertises » produites, qui ne sont pas exactement concordants.
Selon le rapport d’expertise non contradictoire du conservateur-restaurateur mandaté par l’acquéreur, la robe aurait été démontée dans toute sa partie supérieure, afin de faire disparaître les tâches jaunies sous les aisselles et les déchirures. Or selon le mail écrit par la responsable des archives d’une maison de haute-couture à ce dernier, seule la partie supérieure du corsage serait complètement neuve. De plus, les modifications sont évoquées en termes hypothétiques, par l’emploi à deux reprises du verbe « sembler ».
En outre, le dessin d’archives de 1916 issu d’une maison de haute-couture et sur lequel se fonde ce rapport d’expertise faisait état de modifications légères : seules les cocardes et le nœud auraient été déplacés. Et selon la cour,
« il ne s’agit que d’un dessin et la preuve n’est pas rapportée que des modifications de ces accessoires n’avaient pas déjà été réalisées par la maison LANVIN lors de sa vente à la première cliente au regard de ses goûts, demandes et de sa morphologie ».
Quant à la photographie de la robe prise en 2011 lors d’une vente aux enchères, elle n’a pas été certifiée par un huissier donc son authenticité reste incertaine.
Ainsi, les restaurations invoquées par l’adjudicataire - le changement de la doublure, du fil des coutures et du gallon de l’intérieur des poignets, la fixation de la ceinture et déplacement des cocardes - sont considérées comme mineures et non significatives. En cela, elles ne pouvaient affecter l’authenticité de la robe.
1.2. Le caractère conservatoire des restaurations apportées à la robe.
Selon l’ancien article 1110 du Code civil,
« L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».
Mais comme le précisent les « us et coutumes » établis par le syndicat national des antiquaires, les « mesures conservatoires et de remise en état … n’altèrent en rien les caractères d’ancienneté et de style, et n’apportent aucune modification au caractère propre de l’œuvre ou de l’objet… ».
En l’espèce, des mesures de conservation, comme la reprise de coutures par le remplacement de certains fils, le changement d’un gallon à l’intérieur des poignets ou un changement de la doublure du corsage, avaient été prises mais elles étaient rendues nécessaires pour une robe de près de cent ans, en raison de son âge et de son usage.
Selon les mots du directeur du Palais Galliera, repris par la cour,
« Les interventions sur les aisselles des robes sont fréquentes en raison des tissus fragilisés surtout pour les modèles situés entre la fin du XIXe siècle et les années 1950 et ces réparations, « strictement localisées à ce niveau », n’altèrent, à son sens, ni la structure, ni la forme ni la lecture ni l’intégrité de la robe ».
Les juges refusent ainsi de prononcer l’annulation de la vente aux enchères pour erreur sur la substance,
« … il n’est pas rapporté la preuve qu’une erreur aurait altéré́, dans l’esprit de l’appelante, la substance de l’objet au sens de l’article 1110 alinéa 1 ancien du Code civil ».
En outre, le requérant aurait dû préciser contractuellement que l’absence totale de restauration constituait pour lui une qualité essentielle et était déterminante de son consentement, preuve qu’il n’a pas rapportée.
La nullité n’étan pas admise, le juge n’a pas eu besoin de se prononcer sur le caractère excusable de l’erreur.
II. L’absence de responsabilité de la société de ventes aux enchères et de l’expert retenue par les juges.
2.1. Le caractère non obligatoire de la mention des restaurations au catalogue.
L’acquéreur de la robe estimait avoir été trompé par le catalogue de vente : selon lui, il aurait dû indiquer les restaurations et les altérations subies par la robe. En plus d’engager une action en nullité de la vente, il a donc engagé une action en responsabilité contre le commissaire-priseur et l’expert mandaté par ses soins pour expertiser la robe.
L’article 2 du décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transaction d’œuvres d’art, dit décret « Marcus » dispose que
« La dénomination d’une oeuvre ou d’un objet lorsqu’elle est uniquement immédiatement suivie de la référence à une période historique, à un siècle ou à une époque, garantit l’acheteur que cet objet a été effectivement produit au cours de la période de référence ».
De plus,
« lorsqu’une ou plusieurs parties de l’œuvre ou objet sont de fabrication postérieure, l’acquéreur doit en être informé ».
Cependant, seules les restaurations, manques et ajouts significatifs doivent être mentionnés, comme cela est précisé par les alinéas 2 et 3 de l’article 1.5.5 de l’arrêté du 21 février 2012.
Le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes aux enchères vient confirmer cette règle : la description au catalogue doit indiquer
« l’existence d’éventuelles réparations, restaurations, manques et ajouts significatifs, dont le bien peut avoir fait l’objet et que l’opérateur de ventes volontaires a pu constater ».
Or la cour a estimé en l’espèceque les restaurations étaient mineures et non significatives. Il s’agissait de mesures conservatoires pour une robe de plus d’un siècle qui n’avaient pas à être signalées. Le commissaire-priseur n’avait donc pas l’obligation de les mentionner au catalogue de vente.
La maison Cornette de Saint Cyr invoquait également, à l’appui de son argumentaire, qu’une exposition publique précédant la vente permettait à l’acquéreur de se rendre compte des restaurations de la robe, que les objets étaient vendus en l’état et que l’acquéreur avait la possibilité de demander un rapport de conditions. Mais la cour n’a pas statué sur ces moyens et n’a reconnu que le caractère mineur non significatif des restaurations pour refuser de reconnaître un caractère obligatoire aux mentions des restaurations.
2.2. Le caractère non fautif de l’absence de mention des restaurations au catalogue.
Pour engager la responsabilité professionnelle du commissaire-priseur ou de l’expert, l’action de l’acquéreur est fondée sur l’article 1240 du Code civil qui doit prouver à ce titre une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Or, comme les restaurations mineures n’affectaient pas l’authenticité et que le commissaire-priseur n’avait pas l’obligation de mentionner les restaurations mineures de la robe, ce dernier n’a pu commettre de faute à cet égard et engager sa responsabilité professionnelle. Il en est de même à l’égard de l’expert :
« La robe ayant fait l’objet tout au plus de restaurations mineures (changement de la doublure, du fil des coutures et du gallon de l’intérieur des poignets, fixation, réversible, de la ceinture et déplacement des cocardes) non significatives, l’absence de leur mention au catalogue de vente de la société Cornette de Saint Cyr n’est pas fautif ».
L’acquéreur se voit donc refuser l’octroi de dommages et intérêts sur ce fondement.
Dans cet arrêt, la cour écarte également la question de la licéité de la clause figurant au catalogue de vente, rédigée dans les termes suivants :
« L’absence de mention d’état au catalogue n’implique nullement que le lot soit en parfait état de conservation ou exempt de restauration, usures, craquelures, rentoilage ou autre imperfection. Les biens sont vendus dans l’état où ils se trouvent au moment de la vente ».
Selon l’acquéreur, cette clause était exonératoire de responsabilité et donc contraire à l’article L321-17 du Code de commerce. Estimant que l’acquéreur avait été débouté de ses demandes à l’encontre du commissaire-priseur et de l’expert, les juges estiment qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur son caractère licite ou non.
Enfin, l’acquéreur se prétendait victime d’un préjudice d’image et de réputation.Selon lui, les restaurations et les altérations de la robe la dépréciaient et l’empêchaient d’exposer la robe dans son état initial au sein de la collection permanente du musée et à l’occasion de la célébration des 125 ans de la maison de haute-couture. La « Fondation » est cependant déboutée de son action, la cour estimant qu’il ne rapportait pas la preuve de cet autre préjudice.
Cet arrêt apporte quelques précisions en matière de restauration et d’erreur sur l’authenticité. Il rappelle notamment la nécessité de prouver le caractère significatif des altérations affectant l’œuvre, pour que l’erreur sur l’authenticité soit reconnue par le juge.