Les deux principales associations de juristes d’entreprises dénoncent l’opposition du CNB à la création du statut d’avocat en entreprise et à la reconnaissance de la confidentialité des avis de leur profession. De nombreuses voix plaident en faveur de l’octroi de cette confidentialité afin de rendre le droit français et les entreprises françaises plus compétitifs (voir à ce sujet "Le droit source de compétitivité en entreprise ?").
Pour ces deux associations, cette opposition est susceptible d’engendrer une fracture entre la profession d’avocat et de juriste d’entreprise. Elles vont en conséquence encourager leurs membres à écrire aux avocats avec lesquels ils travaillent afin de leur demander de confirmer par écrit leur soutien à la reconnaissance de leur indépendance, de la confidentialité de leurs avis et correspondances et de sa protection. Elles précisent que ce soutien entrerait dans les critères de sélection auxquels est associé un « budget estimé à plus de 1,3 milliards d’euros qui est chaque année confié à des avocats en France par les directions juridiques locales. ».
M. Musson, est ce une menace aux avocats ?
Non, mais c’est comme cela que cela a sans doute été perçu par certains.
Il nous semble que reconnaître la confidentialité de nos avis et œuvrer pour qu’elle soit protégée est dans l’intérêt de tous, et en premier lieu de nos entreprises. Il nous apparait donc naturel de demander aux partenaires extérieurs avec lesquels nous travaillons au quotidien qu’ils partagent cet intérêt commun et contribuent à une meilleure protection de leurs clients.
C’est aussi œuvrer pour une meilleure compétitivité de la France comme place de droit car aujourd’hui l’absence de confidentialité nous isole des grands pays de droit, au détriment de l’ensemble des professions juridiques et en particulier des jeunes qui sont de plus en plus nombreux à l’issue de leurs études de droit à vouloir rejoindre l’entreprise.
Cet engagement nous semble noble et légitime. C’est un pacte de confiance conclu avec ceux qui collaborent avec nos équipes juridiques internes démontrant leur attachement aux mêmes objectifs et intérêts : ceux de l’entreprise, des professions juridiques dans leur ensemble, de la compétitivité de la France et de sa place de droit.
Il ne faut pas y voir une quelconque menace de boycott comme j’ai pu l’entendre, mais simplement l’un des critères de sélection ou de rétention de nos avocats externes à prendre en compte dans l’indispensable lien de confiance à établir entre un client et son conseil et le développement du partenariat moderne entre les ressources juridiques internes et externes mobilisées au service des entreprises .
Croyez vous vraiment que les directions juridiques vont retirer les budgets alloués aux avocats s’ils ne répondent pas à votre appel ?
Je ne sais pas. Je pense néanmoins que cela serait interprété comme une marque de défiance à l’égard d’une direction juridique et de ses équipes de la part de ses partenaires traditionnels existants s’ils ne répondaient pas favorablement à cet appel. Je ne dis pas non plus que le choix d’un nouveau conseil se fera sur ce seul critère à l’avenir, mais je suis persuadé qu’il comptera de plus en plus si la situation n’évolue pas concernant la reconnaissance et la protection de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise.
Je tiens également à signaler que l’engagement sollicité figure déjà parmi les conditions de collaboration de certaines entreprises étrangères implantées en France avec leurs conseils extérieurs.
Nous souhaitons également voir confirmés à travers cet appel les encouragements ou engagements reçus officieusement de la part de très nombreux cabinets en faveur de l’action que nous menons pour assurer la sécurité juridique de nos entreprises, la compétitivité de nos professions juridiques et de la France comme grande place de droit.
Quelle suite entendez vous donner à cette action ?
Nous espérons que d’autres voix se joindront à celles de nos associations pour soutenir, dans le cadre du débat parlementaire actuel sur la loi Macron, la reconnaissance et la protection de la confidentialité des avis et correspondances des juristes d’entreprise en France. Reconnue comme indispensable par tous et n’altérant en aucune manière le rôle et les intérêts de la profession d’avocats, nous aurions du mal à comprendre que l’opportunité qui se présente de réaliser ce premier progrès ne puisse être saisie.
Ce progrès aurait pu être réalisé en empruntant une autre voie, plus ambitieuse et que nous avons soutenue, celle d’une grande profession du droit avec un mode d’exercice en libéral et en entreprise pour les avocats. Il semblerait que la majorité des composantes actuelles de la profession d’avocats n’y soit pas encore prête.
Ne laissons pas vains les débats des 20 dernières années pour réaliser enfin un premier pas en faveur de la protection juridique des entreprises et la compétitivité de nos professions...nos homologues étrangers et les autres grands pays de droit ne nous attendent pas !
Irez-vous jusqu’à demander la création d’une nouvelle profession réglementée de juriste d’entreprise ?
Ce n’est pas ce que nos associations demandent. Nous nous battons pour la reconnaissance et la protection de la confidentialité des avis et correspondances des juristes d’entreprise. Cela ne passe pas nécessairement par la création et l’organisation d’une nouvelle profession réglementée. Il ne faut néanmoins jamais oublier que la profession de juriste d’entreprise existe, elle est la seconde profession juridique en France avec 16.000 membres, et elle est reconnue par la loi (article 58 de la loi de 1971). Le juriste d’entreprise est en revanche unijambiste en France, car on le prive d’une partie des droits et moyens nécessaires à l’exercice normal de son activité juridique qu’est la confidentialité... comme l’ont tous ses concurrents qui ne sont pas du tout les avocats, ses partenaires, mais les juristes étrangers !
Le bruit court que l’avocat en entreprise sera dans le projet de la loi « Justice du 21ème siècle », pouvez vous nous en dire plus ?
Cela a été indiqué dans les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée Nationale sur les amendements en faveur de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Je crois me souvenir que cela a été notamment mentionné par le ministre, convaincu que la création d’une grande profession du droit réunissant avocats et juristes d’entreprise s’inscrit dans le sens de l’histoire et que celle-ci lui rendra sans doute raison. Il a ainsi indiqué que cela pourrait être éventuellement de nouveau réabordé à l’occasion et dans le cadre du projet de loi sur la Justice du 21ème siècle programmé en 2016.
Ne retardons pas les premiers progrès qui peuvent encore se réaliser dans le cadre du projet actuellement en débat au Parlement ! Ils permettront d’autant plus facilement d’en réaliser de nouveaux à l’avenir avec l’ensemble de la profession des avocats !
Discussions en cours :
C’est, je pense, une erreur de réduire cette question de statut à une querelle interprofessionnelle franco-française mêlée de procès d’intention.
L’avocat salarié d’entreprise existe dans un certain nombre de pays européens et la Cour de Justice de l’UE a eu l’occasion de dire, non pas que c’était une horreur ni que c’était une merveille, mais plus simplement que le rapport d’emploi - le lien de subordination - ne permet pas le même degré d’indépendance que celui d’un avocat libéral, ni en conséquence le même niveau de protection du secret professionnel (Arrêt Akzo Nobel du 14 septembre 2010 - Arrêt Puke du 6 septembre 2012).
Cette constatation de bon sens ne devrait faire injure à personne. Et, comme on le voit au travers de cette jurisprudence, le fait de coiffer le juriste salarié d’entreprise du titre d’avocat et de l’inscrire à un barreau ne change rien à l’affaire. Qui peut d’ailleurs sérieusement regretter l’abandon, dans le projet Macron, de cette étrange idée de vouloir créer un avocat interdit de plaidoirie et soumis à un secret professionnel inopposable aux autorités judiciaires agissant dans le cadre du code de procédure pénale (ce qu’elles s’efforcent de faire la plupart du temps) ?
Transformer les juristes d’entreprise en avocats de second ordre serait, me semble-t-il, la pire des solutions. Elle n’apporterait rien de déterminant à l’indispensable présence permanente du droit dans l’entreprise, à la fois comme garantie de son éthique et comme moteur de son activité économique. Elle risquerait d’aboutir, à terme, à l’affaiblissement généralisé du statut de l’avocat, dont l’indépendance (y compris par rapport au client) et le secret professionnel "absolu" qu’elle permet sont indispensables dans une société démocratique.
Le juriste d’entreprise doit être indépendant dans les conseils qu’il donne à son employeur. Il ne peut l’être statutairement dès lors que, qu’on le veuille ou non, son sort et ses intérêts sont étroitement liés à celui de l’entreprise dont il est salarié, ce qui est parfaitement honorable mais est très différent du sort et des intérêts de l’avocat par rapport à ceux de son client. On parle ici de statut, pas des qualités personnelles des uns ou des autres, tant il est évident que certains indépendants sont, de fait, plus dépendants que certains subordonnés.
La démarche des deux prestigieuses associations de juristes d’entreprise, invitant leurs adhérents à choisir leurs avocats partenaires, non plus seulement en fonction de leur compétence mais aussi en fonction de leur docilité, peut à cet égard s’avérer instructive. Elle est en tout cas déjà révélatrice d’une certaine conception de l’indépendance, non seulement de celle des avocats, mais aussi de celle qui est revendiquée pour les juristes d’entreprise.
Les uns et les autres méritent mieux que cela.
Benoît Van de Moortel
Juriste
Je suis responsable juridique et à vrai dire, j’étais plutôt opposé au projet de loi Macron.
Notre groupe gère le contentieux commercial et social en interne, ce qui nous permet, depuis plusieurs années :
de faire traiter nos dossiers par des personnes qui connaissent nos problématiques, nos activités et nos sociétés sur le bout des doigts ;
par des personnes qui, ayant anticipé le contentieux, ont préparé celui-ci bien en amont ;
qui plus est, à moindre coût pour l’entreprise.
J’ajoute que la connaissance du contentieux me semble indispensable à l’exercice efficace d’une activité de conseil.
Le projet de loi Macron signait la fin de cette gestion juridique qui nous donne entière satisfaction, en privant l’avocat d’entreprise de la possibilité de représenter son employeur devant les juridictions. Conséquence : des contentieux plus coûteux, pas nécessairement mieux gérés, et des conseils à mon avis de moindre qualité.
Si j’avais un conseil à donner à l’AFJE et au Cercle Montesquieu, c’est au contraire de cultiver la singularité de notre profession, les avantages indéniables que celle-ci représente pour les entreprises, de l’encourager à aller vers la voie de la gestion interne du contentieux et, pourquoi pas, de proposer des formations en rapport avec cet objectif.