La saisie pénale d’un bien appartenant à une société civile immobilière.

Par Matthieu Hy, Avocat.

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Explorer : # saisie pénale # confiscation # libre disposition # mauvaise foi

Lorsqu’une saisie pénale est pratiquée sur un bien immobilier, il est n’est pas rare que le propriétaire en soit une société civile immobilière. Si cette dernière est susceptible d’engager sa responsabilité pénale dès lors que les conditions de l’article 121-2 du Code pénal sont remplies, ce qui peut donc l’exposer directement à la peine de confiscation de l’article 131-21 du même Code, il sera ici envisagé l’hypothèse où la SCI n’est pas mise en cause.

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Dans ce cas, la confiscabilité du bien, qui conditionne la validité de la saisie pénale immobilière, s’analyse au regard de la situation des personnes, en général, physiques mises en cause ayant un lien de droit ou de fait avec la SCI. Pour qu’un bien appartenant à un tiers, en l’espèce une SCI, soit confiscable, il faut d’une part que le mis en cause en ait la libre disposition et d’autre part que le tiers soit considéré comme de mauvaise foi. Telles sont les conditions cumulatives énoncées en matière de confiscation de l’instrument de l’infraction, de confiscation reposant sur la présomption d’illicéité, de confiscation de patrimoine et de confiscation en valeur, prévues respectivement par les alinéas 2, 5, 6 et 9 de l’article 131-21 du Code pénal. Lorsque le bien est considéré comme le produit direct ou indirect de l’infraction [1], la protection du tiers de bonne foi est également assurée [2].

S’agissant de la condition de libre disposition, elle renvoie à la détermination, derrière les apparences, du « propriétaire économique réel du bien » [3]. Elle est utilisée par le juge pénal pour empêcher que la simple interposition d’une personne physique ou morale entre le mis en cause et son patrimoine suffise à faire obstacle au prononcé d’une peine de confiscation. En matière de SCI, la jurisprudence fournit deux types d’illustration de la libre disposition.

Le premier a trait à la proportion de parts sociales détenues par les mis en cause dans la société. Il a été jugé, à propos de l’actif net résultat de la vente d’un bien immobilier par une SCI, que sa confiscabilité résultait du fait que les associés mis en cause, héritiers détenant de façon indivise 99,5% du capital, avaient le pouvoir de décider de l’affectation de cet actif [4]. Ainsi avaient-ils, selon la chambre de l’instruction de la Cour d’appel approuvée par la chambre criminelle de la Cour de cassation, la libre disposition de l’actif. De même, il a été considéré que les deux associés uniques de SCI étant mis en examen, les biens immobiliers appartenant aux sociétés sont saisissables [5].
A contrario, doit-il être considéré que la libre disposition ne peut résulter d’une proportion moindre de parts sociales détenue par le mis en cause dans la SCI ? Deux arguments vont dans ce sens. D’une part, si la jurisprudence de la chambre criminelle est limitée, un arrêt paraît néanmoins pouvoir plaider en ce sens [6]. Dans cette espèce, a été considéré comme ayant la libre disposition de sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire d’une SCI son unique gérant, qui disposait « seul de la signature bancaire pour ce compte dont il fai(sait) usage librement en procédant à des opérations inexpliquées au profit de son associée et compagne ». Or celui-ci disposait de la moitié des parts sociales. Dès lors que la Cour d’appel ne s’est pas contentée de cet élément factuel par ailleurs passé sous silence par la Cour de cassation, il semble établi que le seul fait, pour le mis en cause, de disposer de la moitié des parts sociales ne suffit pas à lui donner la libre disposition des biens de la SCI. D’autre part, les statuts de SCI dite « familiale » exigent en général une décision de l’assemblée générale des associés, prise à la majorité simple ou qualifiée, pour autoriser un acte de disposition.

En tout état de cause, l’ensemble de cette jurisprudence demeure particulièrement critiquable. Elle ne reflète nullement la raison d’être de la notion de libre disposition, à savoir faire échec à un mécanisme frauduleux destiné à faire disparaître le véritable ayant-droit économique derrière un propriétaire de paille. Elle constitue uniquement une simplification abusive de la situation. En effet, les biens saisissables de l’associé mis en cause devraient se limiter à ses parts sociales. La présence d’un seul porteur de parts tiers à la procédure pénale, y compris ultra minoritaire, devrait faire obstacle à la saisie pénale du bien immobilier de la SCI, dès lors qu’il n’est pas un associé de paille, ce qui correspondrait à la seconde hypothèse envisagée plus loin. Seuls ces principes pourraient le protéger valablement dès lors qu’une restitution partielle du bien, qui est exclue au stade de la saisie pénale mais possible au stade de la confiscation, n’est faite qu’au profit de la SCI et non du seul associé de bonne foi lorsqu’elle porte sur le bien immobilier lui-même.

Le second type de décisions concerne une hypothèse plus proche de la notion de libre disposition envisagée comme un mécanisme frauduleux d’interposition d’un propriétaire de paille entre le mis en cause et son patrimoine. En effet, bien que le mis en cause ne dispose d’aucune part sociale, il est considéré comme l’ayant-droit économique réel du bien immobilier. Ce cas de figure renvoie notamment à celui exposé à l’article 6.1. de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne visant des biens transférés à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie afin d’éviter la confiscation. Le recours à des prête-noms pour exercer les fonctions de dirigeant de droit, d’administrateurs et d’associés et dissimuler que le mis en cause est le véritable et unique ayant-droit économique du bien est caractéristique [7]. Les juridictions s’appuient sur un faisceau d’indices pour conclure que les tiers ne sont que des propriétaires de papier. Ainsi ont pu être relevés des éléments relatifs à la divergence entre la gérance de fait et la gérance de droit, à la destination du bien immobilier, à l’absence ou à la modicité du loyer, à l’accès aux comptes bancaires, au caractère fictif des mouvements financiers, à la réalisation de travaux [8].

En pratique, les juridictions ont malheureusement parfois tendance à relever, en guise d’indices, des éléments factuels tout à fait classiques en matière de SCI qui ne démontrent rien en soi et surtout pas la libre disposition, notamment le fait que le mis en cause soit gérant ou que les associés soient membres de la même famille. La frontière est parfois mince entre la libre disposition et l’utilisation d’une SCI comme mode de gestion patrimoniale et de facilitation de la transmission entre ascendants et descendants.

S’agissant de la condition de mauvaise foi du tiers, la notion est assurément maltraitée (en un ou deux mots) par la jurisprudence à plusieurs titres. Tantôt elle éclipse la première condition de libre disposition [9], tantôt elle se confond avec [10]. La mauvaise foi paraît parfois constituer la justification d’une sanction du tiers propriétaire [11] là où elle devrait avoir pour unique objet de s’assurer que le tiers ne sera pas impacté par la confiscation dans la mesure où, contrairement aux apparences, le bien n’est jamais entré dans son patrimoine.

La notion est encore plus délicate à appréhender s’agissant des personnes morales dès lors que la bonne ou la mauvaise foi s’apparente à un élément moral. Or, la caractérisation de l’élément moral ne fait pas partie des conditions d’engagement de la responsabilité pénale d’une personne morale. La chambre criminelle a parfois l’occasion de rappeler à l’ordre les juridictions du fond tenté par un tel anthropomorphisme [12].

Dès lors, comment déterminer la bonne ou la mauvaise foi d’une SCI ? Logiquement, l’analyse se porte, non sur la personne morale, mais sur les personnes physiques qui la composent. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a permis de déduire la mauvaise foi de la société du fait que le prévenu en était l’unique gérant [13]. Elle a par ailleurs affirmé que la mise en cause de l’associé unique de la société exclut la bonne foi de celle-ci [14]. La difficulté n’est pas résolue lorsque la société se compose à la fois d’associés ou de gérants mis en cause et d’associés ou de gérants tiers de bonne foi. Elle le serait si la jurisprudence se prononçait en faveur du caractère confiscable des seuls biens à la libre disposition des associés mis en cause ou de mauvaise foi.

Naturellement, même lorsque les conditions de libre disposition par le mis en cause et de mauvaise foi de la SCI sont remplies, cette dernière n’est pas démunie de toute manière de contester la saisie pénale, notamment au moyen du principe de proportionnalité [15].

Matthieu Hy
Avocat au Barreau de Paris
www.matthieuhy.com
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Notes de l'article:

[1Article 131-21, alinéa 3, du Code pénal.

[2Crim., 7 novembre 2018, n°17-87.424.

[3Crim., 25 novembre 2020, n°19-86.979.

[4Crim., 23 mai 2013, n°12-87.473.

[5Crim., 25 septembre 2019, n°18-85.211.

[6Crim., 3 avril 2019, n°18-83.052.

[7Crim., 8 novembre 2017, n°17-82.632.

[8Crim., 19 novembre 2014, n°13-88.331 et 13-88.332, Crim., 8 novembre 2017, n°17-82.632 ; Crim., 18 décembre 2019, n°17-85.083.

[9Crim., 15 janvier 2014, n°13-81.874.

[10Crim., 18 décembre 2019, n°17-85.083.

[11Crim., 3 février 2016, n°14-87.754.

[12Crim., 21 janvier 2020, n°18-86.961.

[13Crim., 15 janvier 2014, n°13-81.874.

[14Crim., 10 mars 2021, n°20-84.117.

[15Crim., 25 novembre 2020, n°19-86.979.

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