Avec une surface de 66 360 hectares brûlés contre 9 714 par an en moyenne [1], l’année 2022 est celle d’un sombre record historique pour l’hexagone, sans compter qu’il s’agit du deuxième été le plus chaud observé en France depuis le début du XXᵉ siècle, marqué par un épisode de sécheresse alarmant.
La situation est d’autant plus inquiétante que, selon l’Organisation météorologique mondiale, « même si les émissions sont faibles, le réchauffement de la planète causera une augmentation des feux de forêts et de la pollution atmosphérique qu’ils entraînent » [2].
Dans pareil contexte, il est fort à parier que les sapeurs-pompiers, héros fatigués [3] par une intense sollicitation aggravée par un manque structurel d’effectif et de moyens [4], ne cesseront d’être mis à rude épreuve dans les années à venir.
Mais s’ils sont régulièrement sous les feux des projecteurs, la réalité opérationnelle à laquelle ils sont confrontés, ainsi que leur organisation, demeurent souvent méconnues du public. Par exemple, qui sait que, dans un véhicule de secours et d’assistance aux victimes, les pompiers venant au secours des personnes peuvent relever de six statuts distincts ?
Militaires, réservistes militaires, services civiques, fonctionnaires territoriaux (dits « professionnels »), volontaires et contractuels : tous sont amenés à remplir ensemble la même mission de secours et d’assistance aux victimes avec, pourtant, des statuts différents. Il en résulte une grande hétérogénéité des règles qui les régissent, et donc plusieurs dissymétries tant en termes d’obligations que de droits.
De ces six statuts, le plus important en effectifs est celui des sapeurs-pompiers volontaires, puisque sur les 252 700 sapeurs-pompiers en France, 197 800 sont volontaires, soit 78% [5] ; c’est le pilier de la sécurité civile française. C’est également le statut le plus atypique, puisqu’il est absolument unique en son genre.
L’article L723-5 du Code de la sécurité intérieure dispose à cet égard que
« L’activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n’est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres ».
Et c’est sur ce fondement que leurs droits divergent, tant en ce qui concerne l’indemnité-rémunération, la retraite, la sécurité, le repos, la formation, la grève, les sanctions disciplinaires (Voir l’article Sapeurs-pompiers professionnels et volontaires : comment se défendre dans une procédure disciplinaire).
Pourtant, les sapeurs-pompiers volontaires ne sont-ils pas des travailleurs comme les autres ?
La question est d’autant plus vive que l’actualité jurisprudentielle est particulièrement brûlante depuis que la Cour de justice de l’UE a expressément reconnu, dans une affaire concernant un sapeur-pompier volontaire belge, que le fait qu’une personne ait : « en vertu du droit national, non pas le statut d’un sapeur-pompier professionnel, mais celui d’un sapeur-pompier volontaire, est dépourvu de pertinence pour sa qualification de "travailleur", au sens de la directive 2003/88 » [6].
Tout sapeur-pompier volontaire, quel que soit l’État de l’UE dans lequel il exerce son activité, est donc incontestablement un « travailleur » dès lors qu’il « exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires ». La jurisprudence précise que : « La caractéristique définissant une relation de travail réside en la circonstance qu’une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération » [7].
La « rémunération » est ici entendue dans un sens large de nature à inclure les « indemnisations » que perçoivent aujourd’hui les pompiers volontaires français [8].
Pas l’ombre d’un doute : ici comme ailleurs, le sapeur-pompier volontaire est un travailleur ; relevons d’ailleurs que les accidents de travail liés à l’activité de pompier volontaire, ainsi que les maladies professionnelles, sont fort heureusement pris en charge [9].
En réalité, cette qualification ne surprend pas, surtout pour celles et ceux qui ont déjà passé un nombre inchiffrable de nuits blanches dans le véhicule de secours et d’assistance aux victimes dit « premier départ » ; difficile de contester le caractère « réel » et « effectif » des heures de sommeil sacrifiées.
Reste à définir les conséquences de cette qualification juridique...
La nécessité des périodes de repos, pour la sécurité et la santé physique et psychique des pompiers, est une conséquence immédiate mise au jour par l’arrêt de la CJUE de 2018. Il en résulte que l’article L723-15 du Code de la sécurité intérieure, ci-après, est parfaitement illégal car inconventionnel :
« Les activités de sapeur-pompier volontaire, de membre des associations de sécurité civile et de membre des réserves de sécurité civile ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail ».
Or le modèle de secours français est en partie structuré sur cette curieuse exception qui permet au pompier volontaire d’enchaîner sans limites travail de jour et gardes de nuits, ou vice-versa.
Certains considèrent alors la reconnaissance du statut de travailleur pour les pompiers volontaires comme une épée de Damoclès pour le modèle de secours français [10], mais au-delà même de son illégalité, est-il admissible de maintenir un modèle qui créé des risques pour la sécurité et la santé des pompiers volontaires [11].
Même si, par ailleurs, nombre de départements et de pompiers, dépendent économiquement de ce système, ce qui pose, en toile de fond, la question structurelle du manque de moyens des services publics pour réaliser leur mission tout en assurant à leurs agents et collaborateurs des conditions de travail saines et sûres, et une rémunération décente.
Il ne s’agit, effectivement, que de la pointe émergée de l’iceberg : il faut encore examiner, à l’aune de cette perspective nouvelle, les questions relatives aux indemnités-rémunération, à la retraite, etc.
Reste à savoir qui débusquera le lièvre.