Sensationnalisme médiatique et responsabilité des médias. Par Pierre-Marie Besson, Elève-avocat.

Sensationnalisme médiatique et responsabilité des médias.

Par Pierre-Marie Besson, Elève-avocat.

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Explorer : # sensationnalisme médiatique # responsabilité des médias # déontologie journalistique # présomption d'innocence

La raison d’être de cet article est le fiasco médiatique auquel chacun d’entre nous a assisté le 10 octobre 2019, l’annonce de l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, qui se révélera être une erreur policière, relayée dans des proportions inacceptables par la machine médiatique.

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Guy, puisque c’est ainsi qu’il convenait désormais de l’appeler, verra sa vie dévoilée au grand jour : son nom diffusé, son domicile filmé, ses habitudes exposées. Un détail pourrait même prêter à sourire si l’enjeu n’était pas d’une telle importance : la dissemblance physique entre ces deux hommes.

Rien ne les rapproche, ils ont une taille et une physionomie différente, les empreintes ne sont pas tout à fait les mêmes…Qu’importe, l’audimat avant la véracité de l’information.

Le sujet est d’autant plus important dans une société où l’opinion publique, noyée par des flots d’informations continues, se fait justement son opinion à travers ce qu’on lui présente.

Devant dès lors aller crescendo, la responsabilité des journalistes ne cesse de diminuer jours après jours, jusqu’à atteindre la faute professionnelle.

Il est apparu impératif de rappeler à chacun la responsabilité à laquelle les médias sont soumis, qu’elle soit professionnelle ou morale (I), pour mieux apprécier les conséquences juridiques et privées que cela entraîne (II)

I - Une responsabilité professionnelle et morale.

La responsabilité des journalistes couvre deux domaines. Un aspect déontologique auquel ils sont en théorie soumis (A) ainsi qu’un aspect moral (B) au regard du rôle grandissant qu’ils jouent sur l’opinion publique.

A - Déontologie journalistique – Y-a-t’il encore quelqu’un à bord ?

Pour éviter de trop faire patienter le lecteur, donnons d’emblée la réponse à cette question.

Non, il n’y a plus personne à bord, et depuis 1999, au minimum.

Car en effet, rappelons-nous, ou apprenons-le, le 8 juillet 1999, Jean-Marie Charron remettait ce jour-là à Madame la ministre Catherine Trautmann, un rapport "sur la déontologie de l’information" , dans lequel il observait alors déjà qu’il y avait « une forme de dérive dans la pratique journalistique ainsi que dans la maîtrise éditoriale des principaux médias : mise en cause infondée de personnalités dans la publication d’enquêtes insuffisamment étayées ; citation prématurée de noms de personnes mises en cause dans les affaires de mœurs (pédophilie notamment), alors qu’elles bénéficieront parfois d’un non-lieu ».

Par ailleurs, à la surprise générale, il existe une charte, que le grand public ne connaît pas, rassurez-vous le corps professionnel concerné non plus, « La charte des devoirs professionnels des journalistes français ».

Parmi des principes généraux tel que le droit du public à une « information de qualité », constituant une « responsabilité vis-à-vis du citoyen », est inscrit en caractère gras, de manière à porter l’attention sur ce point, la prescription suivante.

« C’est dans ces conditions qu’un journal digne de ce nom ».

Un journal digne de ce nom, doit respecter « la dignité des personnes et la présomption d’innocence », tenir la véracité comme pilier de l’action journalistique.
Il doit en outre exercer « la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent ».
Enfin, mais surtout, il « ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge ».

A l’heure à laquelle les informations sont d’abord diffusées puis vérifiées, à l’heure à laquelle on organise des tribunaux médiatiques lors d’émissions largement diffusées, n’est-il pas temps pour les médias de prendre leurs responsabilités ?

Chacun se fera son opinion en son âme et conscience : existe-t-il encore un journal digne de ce nom ?

B - Une responsabilité éminemment importante au regard de l’impact sur l’opinion publique.

La responsabilité des médias est d’autant plus grande que leur profession ne se limite pas, ainsi que le prévoit leur charte, à une simple diffusion d’information mais empiète désormais sur le métier de policier ou de juge, façonnant de la sorte l’opinion publique.

En effet, reprenons le déroulement classique d’un procès populaire.

Tout d’abord, un article de presse sort, « X serait coupable de … ». Puis, toutes les rédactions des journaux ne parlent que de cela. En fonction de la notoriété dudit infâme personnage, celui-ci peut même avoir le luxe de s’offrir une édition spéciale. Edition spéciale dans laquelle d’éminents spécialistes du sujet viennent s’offrir une publicité, sur le dos de la personne mise à mal devant la France entière.

Enfin, et de cette manière la boucle est bouclée, la pression est devenue si grande sur l’employeur ou sur les épaules de la victime, que cette dernière se voit contrainte de céder à cette vindicte et de démissionner, se justifier.

Voici une preuve de plus pour le tribunal médiatique et populaire : si il a démissionné, il ne peut qu’être coupable. Les consciences se soulagent, l’égo se renforce, l’être immonde est hors d’état de nuire.

Une affaire doit être prise en exemple, celle de Dominique Baudis. Cet ancien maire de Toulouse qui pendant des mois a été accusé, à tort, de proxénétisme. La justice, seule, a fait son travail, puisqu’elle l’innocentera en 2005. La machine médiatique a elle, une fois de plus, remplie un rôle qui n’était pas le sien et a réussi à transformer une calomnie en vérité.

Ces procédés rendent au mieux la personne « présumée coupable », au pire ils la organisent le procès du mis en cause, et ce plus rapidement que par la voie judiciaire.

« Présumé coupable », lapsus malheureusement si souvent répété (un article du Monde datant de 2011, relevant que la "présomption d’innocence est régulièrement bafouée, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat"), lorsque certes l’on ne l’aura pas écrit comme tel, mais que l’instruction médiatique, uniquement à charge, désigne comme tel.

Après ce déferlement médiatique, au demeurant très peu objectif, qui, à part une décision de justice, pourrait dire aujourd’hui que François Fillon ou François de Rugy ne sont finalement coupables de rien et que l’on a jugé trop vite ?

II - Des pratiques à la frontière de la légalité.

Etant susceptibles de recouvrir des infractions pénales (A), il ne faut pas oublier qu’un des principes essentiels du droit pénal est la présomption d’innocence (B)

A - Absence de professionnalisme (oui) – Délits punissables (oui).

Il pourrait être fait état d’un délit tout particulièrement adapté à ce qu’il vient d’être décrit, le délit de diffamation, crée par une loi au nom évocateur : la loi sur la liberté de la presse de 1881.

Ce dernier, étant constitué par « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne », connaît néanmoins des tempéraments comme la « bonne foi de l’auteur » ou la légitimité des propos dans le cadre de l’intérêt général…

En professionnels du droit il faut s’en réjouir, le délit n’est pas automatiquement constitué, et des conditions doivent préalablement être remplies.

Bien sûr des journalistes pourraient être condamnés, et ils le sont par ailleurs régulièrement à ce titre. Bien sûr, d’autres « affaires » échappent à ce délit et c’est pour le moins dommage.

Car en effet, peut-on être de bonne foi lorsque l’on juge prématurément un individu sans lui laisser le choix de se défendre ?

Le débat d’intérêt public est certes une notion qu’il convient de sauvegarder pour ne pas tomber dans des régimes que nous dénonçons mais nous ne devons pas tomber pour autant dans du sensationnalisme où tout est dit sans retenu.

François Fillon, François de Rugy, Guy, tous ont un point commun : ils ont été jugés avant les tribunaux. Nous avons tout su d’eux, même des détails parfois infâmes.

Guy est hors de cause, sans la moindre excuse du corps professionnel qui aura conduit à le rendre célèbre en moins de deux heures.

François et François quant à eux, et quelle que soit la future décision de la justice, resteront, aux yeux de l’opinion publique façonnée par les diatribes médiatiques, coupables.

Parler avant de savoir ; bienvenue en 2019.

B - Le défunt principe de la présomption d’innocence.

Qu’est-ce que la présomption d’innocence ? Il s’agit d’un principe, au demeurant à valeur constitutionnelle, selon lequel en matière pénale, « toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés, tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par un jugement irrévocable de la juridiction compétente ».

Pilier d’un état de droit, il est à ce titre protégé, affirmé et souligné, par de multiples sources que sont la Déclaration des Droit des l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 ou le code civil et pénal.

Assurément, nul ne devrait pouvoir remettre en cause un principe mainte fois affirmé dont l’objectif est de protéger le justiciable contre les attaques partiales, arbitraires et dénuées de toute objectivité.

Amis prompts défenseurs de la liberté d’expression, je vous vois venir avec autant de modération qu’un article du canard enchaîne.

Certes, et notamment, la liberté de la presse, composante de la liberté d’expression est expressément reconnue par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, qui prévoit en son article 10 que « ce droit comprend la liberté de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorité publique ».

Certes, nous devons tous nous réjouir de ce que ce droit soit protégé, à l’heure à laquelle il est si souvent bafoué.

Alors, que l’on soit d’accord, il ne s’agit en aucun cas d’un article conservateur et rétrograde qui en arriverait à la conclusion que tout n’est pas bon à dire.

Mais alors, est-ce à justifier tous les coups portés à la présomption d’innocence que l’on constate désormais quasi-quotidiennement ?

Car, en effet, le droit à l’information du public n’exclut pas le respect de la présomption d’innocence . Cela est d’autant plus vrai que les tribunaux eux-mêmes, les vrais, estiment que la liberté d’expression est un principe inférieur à la protection de la présomption d’innocence.

En clair, la liberté d’expression se trouve limitée par la présomption d’innocence… et non l’inverse…

Pierre-Marie Besson,
Élève avocat.

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Discussion en cours :

  • par Michel TERRIER , Le 19 octobre 2019 à 14:57

    La "justice" (ou le tribunal) médiatique s’emballe trop souvent. Et les moyens légaux d’y remédier sont presque inefficaces.
    Qui oserait légiférer plus fortement sur une responsabilité de la presse ou des journalistes.
    Je reste pessimiste à ce sujet.

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