Le Tribunal administratif de Lyon a été saisi d’un recours en annulation à l’encontre de la décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (« ANSES ») d’autoriser la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 de la société Monsanto.
Le requérant, qui n’est autre que le CRIIGEN [1], faute de « précision » permettant d’apprécier le bien fondé de cette méconnaissance, oppose une nouvelle fois une décision de mise sur le marché d’un produit dont le principe actif est le glyphosate au respect du principe de précaution. Il rappelle à ce titre la valeur constitutionnelle de ce principe inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement et s’appuie sur une étude produite par la Centre international de recherche sur le Cancer (« CIRC »), rattaché à l’OMS, pour soutenir la probable cancérogénicité du glyphosate.
A l’instar des recours formés contre la diffusion des OGM ou la construction d’antennes-relais, l’invocation du principe de précaution implique la mise en balance des études scientifiques invoquées par chacune des parties à l’instance. Le juge ainsi saisi se voit contraint de trancher un litige qui, bien souvent, fait l’objet d’une controverse au sein-même de la communauté scientifique spécialisée.
L’intrusion du débat scientifique « dur » dans le processus décisionnel judiciaire suscite alors d’évidentes difficultés d’interprétation pour tout novice en la matière.
Dans le cas présent, l’ANSES et la société Monsanto ont invoqué au soutient du maintien de la mise sur le marché du produit contesté l’évaluation menée par l’agence européenne de sécurité alimentaire (ou « EFSA ») qui refusait de classer le glyphosate en tant que substance probablement cancérogène. Les défenderesses insistaient alors sur le caractère « isolé »de l’étude du CIRC produite par le CRIIGEN.
Le débat impliquait donc la confrontation entre deux études réalisées par deux organismes bénéficiant d’une assise officielle, CIRC/OMS d’un coté, une agence émanant de l’Union européenne de l’autre.
Dans un tel contexte, le Tribunal administratif de Lyon a tranché le litige en définissant un ensemble de critères d’appréciation des analyses scientifiques qui lui étaient présentées.
L’annulation de la mise sur le marché du Roundup Pro 360 a par conséquent été prononcée, le juge attribuant une prédominance à l’étude du CIRC en ce qu’elle s’est « fondé[e] sur l’ensemble des études scientifiques préexistantes, c’est-à-dire les études publiées dont les données brutes sont accessibles, les auteurs connus et les conclusions vérifiables par la communauté scientifique » et admettant donc, implicitement, que ces critères faisaient défaut s’agissant de l’étude européenne.
En résumé, le Tribunal administratif a dégagé des critères permettant de conditionner la prise en compte d’une étude scientifique, à savoir : sa publication et celle de ses sources brutes, la connaissance de l’identité de ses auteurs ainsi que la soumission de ses résultats à l’appréciation de pairs qualifiés.
L’ensemble de critères ainsi établi apparaît comme s’inspirant de la méthode d’appréciation de la communauté scientifique elle-même, à savoir la primauté donnée à la vérification commune de résultats publiés. Cette vérification est opérée via la connaissance de l’identité des auteurs et des biais potentiels que cela suppose, la publication du protocole de recherche dans son intégralité afin d’en identifier les potentielles faiblesses et, enfin, la soumission du résultat à un panel de spécialistes le plus large possible.
Le jugement du Tribunal administratif de Lyon démontre donc une volonté louable, si ce n’est nécessaire, de rationaliser l’appréciation par le juge des études scientifiques produites devant lui.
Pour autant, plusieurs réserves peuvent être émises.
Tout d’abord, la décision ici commentée est audacieuse mais devra subir le contrôle de la Cour administrative d’appel puis, de manière fortement probable, celui du Conseil d’État. Or, les décisions antérieures abordant l’applicabilité du principe de précaution, telles que celles relatives aux antennes-relais [2], se sont jusqu’ici gardées de proposer une grille de lecture des analyses scientifiques présentées. Il est donc légitime de redouter que la démarche du Tribunal administratif de Lyon ne franchisse jamais les portes du Palais Royal.
S’agissant des critères proposés par le Tribunal administratif en eux-mêmes, leur origine prétorienne pourrait représenter une faiblesse, tant sur la forme que sur le fond.
En effet, de nombreux dispositifs juridiques dépendent de l’appréciation d’études scientifiques, dont, notamment, ceux attachés au droit de l’environnement. L’impact de la définition de critères guidant cette appréciation sur les activités aujourd’hui affectées par le droit de l’environnement nécessiterait la tenue d’un débat démocratique préalable, ne serait-ce que pour accroître l’acceptabilité des critères fixés.
En outre, s’agissant de la définition même des critères d’appréciation, il paraît essentiel, voire inévitable, d’intégrer la communauté scientifique à leur processus de détermination. Bien que ces critères se doivent de rester généraux afin d’assurer une large applicabilité, leur efficacité ne pourra uniquement être assurée que par l’intermédiaire d’un processus de définition intégrant pleinement les professionnels, auteurs et critiques habituels des études publiées. Toute initiative excluant ces professionnels s’exposerait tout d’abord à un potentiel manque de légitimité mais aussi et surtout à un risque de compréhension incomplète du processus de publication des études scientifiques faisant perdre toute efficacité au dispositif souhaité.
En conclusion, bien que la démarche adoptée par le Tribunal administratif de Lyon tende à une rationalisation nécessaire de l’approche des données scientifiques par le juge administratif, sa complète mise en œuvre se heurte à des incertitudes importantes. Le risque d’annulation du jugement lors des prochaines étapes de la procédure administrative représente la première de ces difficultés.
Pour autant, en prenant un léger recul, emprunter une autre voie que celle du juge pourrait permettre de contourner les obstacles précités. En effet, l’article 34 de la Constitution attribue au domaine de la loi la définition des principes fondamentaux attachés à la préservation de l’environnement.
Le Législateur apparaît donc comme pleinement compétent pour fixer un ensemble de critères fondamentaux opposables aux études impliquées dans une prise de décision relative à la protection de l’environnement. Une telle voie serait évidemment longue et, ainsi que le veut le jeu politique, tumultueuse. Elle permettrait toutefois d’impliquer pleinement la sphère scientifique publique française aux débats et de graver les critères objectifs ainsi définis dans le marbre de la loi.
Cet outil juridique nouveau représenterait une première clé de décryptage d’une controverse scientifique à laquelle serait confrontée l’administration et, à terme, le juge. Il constituerait également une assise juridique permettant d’écarter les études manquant de transparence et présentant des risques d’instrumentalisation.