La question des antennes-relais de téléphonie mobile a resurgi dans l’actualité de façon brûlante à plusieurs titres.
Trois opérateurs sont condamnés par la justice française, par trois décisions, un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 4 février 2009, un jugement du tribunal de grande instance de Carpentras du 16 février 2009 et enfin pour couronner le tout, une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance d’Angers en date du 5 mars 2009.
Ces décisions qui constituent une jurisprudence, même si elle n’est pas la seule, ont pour point commun de condamner les opérateurs.
Or, la décision du juge des référés du tribunal de grande instance présente une double originalité (la décision peut être consultée sur http://denis.seguin.avocats.fr).
Tout d’abord, et c’est la distinction la plus visible, il s’agit d’une ordonnance de référé. C’est une première, car les autres décisions favorables aux opérateurs sont des décisions du juge du fond. Le juge des référés d’Angers a statué avant que les antennes relais ne soient implantées. Il a donc interdit à l’opérateur, la société Orange, d’installer ses antennes dans le clocher de l’église, à proximité de l’école.
L’article 809 du code de procédure civile prévoit en effet que "le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remises en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite".
Il paraissait difficile de plaider le trouble manifestement illicite, l’antenne n’étant pas encore implantée.
En quoi pouvait-on considérer qu’il y a dommage imminent ? Les juges du fond précités ont considéré que les antennes relais pouvaient constituer un trouble anormal de voisinage, en exposant les riverains à des risques et ce, contre leur gré. Les juges du fond n’ont d’ailleurs pas attendu que des troubles ou maladies se manifestent. Le trouble anormal de voisinage est une catégorie particulière de dommages. On le sait, il s’agit d’une responsabilité sans faute.
Dès lors, le dommage était imminent, au sens d’un dommage dont on peut être sûr qu’il se réalisera, car ce trouble anormal de voisinage existerait dès l’installation.
C’est ce qu’a considéré l’ordonnance du 5 mars dernier et qui lui a permis de retenir sa compétence.
Mais il existe une autre caractéristique essentielle de cette décision et qui en constitue l’intérêt majeur. Elle se réfère expressément au principe de précaution.
Versailles et Carpentras ont appliqué le principe, mais sans le dire, en remodelant en quelque sorte la notion de trouble anormal de voisinage.
Le président du tribunal de grande instance d’Angers applique, quant à lui, sans ambiguïté le principe de précaution en visant la Charte constitutionnelle de l’environnement et l’article L 110-1 du code de l’environnement.
La loi constitutionnelle n°2005-205 du 1 mars 2005,loi constitutionnelle relative à la Charte de l’environnement précise en son article 5 que "lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage". Le texte vise les autorités publiques. Le juge est une autorité certes judiciaire mais publique.
L’article L110 du code de l’environnement est rédigé ainsi :
"I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.
II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable".
Le législateur ne s’est pas limité à l’énonciation d’un principe, dans la mesure où il en a défini le contenu.
Ce que dit l’ordonnance du juge des référés du TGI d’Angers du 4 mars 2009, c’est que ce principe est une règle de droit qui s’applique. Ce sont des textes qui peuvent être invoqués par les particuliers devant le juge. Il ne s’agit donc pas d’un principe qui serait extérieur au droit de la responsabilité civile. Bien au contraire, on est en présence d’un principe à caractère normatif applicable directement.
L’opérateur plaidait que le débat scientifique était clos. Impossible pour les riverains de prouver quoique ce soit. Par contre, il a été soutenu que de nombreuses incertitudes scientifiques subsistaient. Précisément, les incertitudes ne doivent pas retarder l’adoption des mesures préventives : c’est le sens du principe de précaution. A la question posée de savoir si le principe de précaution constitue une norme juridique, le juge a selon nous, clairement répondu par l’affirmative.
Denis Seguin
Avocat à Angers
Docteur en Droit
Spécialiste en droit de l’environnement