Le tribunal pour enfants.

Par Avi Bitton, Avocat et Clémence Ferrand, Juriste.

Comment est composé le tribunal pour enfants ?
Quelles affaires juge-t-il ?
Quelle est la procédure applicable ?
Quelles sont les recours contre un jugement du tribunal pour enfants ?

-

Les dispositions tenant à la justice pénale des mineurs, auparavant réparties au sein de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, du Code de procédure pénale et de plusieurs décrets, sont désormais regroupées dans le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) entré en vigueur le 30 septembre 2021.

Celui-ci modifie la procédure de jugement devant le juge des enfants et le tribunal pour enfants en instaurant une procédure de droit commun dite de « mise à l’épreuve éducative » composée de trois phases (audience d’examen de la culpabilité, période de mise à l’épreuve éducative et audience de prononcé de la sanction), et une procédure d’exception correspondant à une audience unique de jugement qui remplace les procédures de jugements accélérés qui existaient auparavant (convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement, procédure de présentation immédiate et procédure de comparution à délai rapproché).

I. Compétence et composition du tribunal pour enfants.

Le tribunal pour enfants est une juridiction spécialisée pour mineurs.

Il est compétent en matière de :
- Contraventions de la cinquième classe commises par des mineurs âgés d’au moins 13 ans (par exemple les violences légères) ;
- Délits commis par des mineurs âgés d’au moins 13 ans ;
- Crimes commis par des mineurs de moins de 16 ans ;
- Contraventions des quatre premières classes (par exemple, téléphoner au volant ou conduire un véhicule dépourvu de rétroviseurs) commises par des mineurs et connexes aux infractions susmentionnées [1].

Il est composé d’un juge des enfants, qui le préside, et de deux assesseurs nommés pour 4 ans et choisis parmi les personnes âgées de plus de 30 ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences. Un ou plusieurs assesseurs supplémentaires peuvent leur être adjoints lorsque la durée ou l’importance de l’affaire le rend nécessaire. Ces derniers siègent aux audiences mais ne prennent part au délibéré qu’en cas d’empêchement d’un assesseur constaté par le président [2].

II. Saisine du tribunal pour enfants.

1. Saisine par le procureur de la République.

A l’issue de la phase d’enquête, l’opportunité des poursuites appartient au procureur de la République. Il peut engager des poursuites et orienter l’affaire vers :

- Le tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes ;
- Le juge d’instruction pour les crimes et les affaires complexes ;
- Une juridiction de jugement spécialisée pour mineurs (juge des enfants ou tribunal pour enfants) aux fins de jugement selon la procédure de mise à l’épreuve éducative introduite par le CJPM.

Le juge des enfants est par principe compétent mais le procureur de la République peut, à titre exceptionnel, saisir le tribunal pour enfants soit par une convocation délivrée à sa demande, soit par un procès-verbal établi lors d’un déferrement intervenant à l’issue d’une garde à vue.

Pour cela, trois conditions doivent être réunies :
- Le mineur doit être âgé d’au moins 13 ans ;
- Il doit encourir une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à 3 ans ;
- Sa personnalité, la gravité des faits ou la complexité des faits doit le justifier [3].

2. Saisine par un magistrat.

Le tribunal pour enfants peut être saisi sur renvoi du juge des enfants en vue d’une audience d’examen de la culpabilité si la personnalité du mineur ou la gravité ou la complexité des faits le justifient [4].

Il peut également être saisi par une ordonnance de renvoi du juge d’instruction lorsque :
- Le mineur est âgé d’au moins 13 ans et les faits constituent un délit ou une contravention de la cinquième classe ;
- Le mineur est âgé de moins de 16 ans révolus et les faits sont constitutifs d’un crime.

III. Déroulement de la procédure devant le tribunal pour enfants.

1. Procédure de droit commun dite de « mise à l’épreuve éducative » [5].

Le tribunal pour enfants statue selon la procédure de droit commun sauf lorsqu’il est saisi par ordonnance de renvoi du juge d’instruction.

1.1 Audience d’examen de la culpabilité du mineur.

L’audience d’examen de la culpabilité intervient dans un délai compris entre 10 jours et 3 mois suivant la saisine de la juridiction.

Le tribunal pour enfants entend le mineur, les témoins, les représentants légaux et les personnes civilement responsables du mineur, la personne ou le service auquel le mineur est confié ou qui le suit, la victime ou la partie civile, le procureur de la République et l’avocat du mineur. Le mineur ou son avocat a la parole en dernier. Ces règles s’appliquent que le tribunal pour enfants intervienne en matière correctionnelle ou criminelle.

Par principe, la publicité des débats est restreinte. Toutefois, le prévenu mineur devenu majeur au jour de l’ouverture des débats peut demander à ce que l’audience soit publique, sauf s’il existe un autre prévenu qui est toujours mineur ou qui, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l’audience, s’oppose à cette demande (article L513-3 du CJPM). Le jugement ou l’arrêt est rendu en audience publique, en présence du mineur.

Le tribunal pour enfants peut :
- Renvoyer l’examen de l’affaire à une prochaine audience dans un délai ne pouvant excéder 3 mois, d’office ou à la demande d’une partie, s’il estime que l’affaire n’est pas en état d’être jugée [6] ;
- Renvoyer la procédure au procureur de la République lorsqu’il estime que les faits poursuivis sous une qualification délictuelle sont de nature à entraîner des peines criminelles [7] ou que la complexité de l’affaire nécessite des investigations complémentaires [8].

A l’issue de cette première audience, le tribunal pour enfants statue sur la culpabilité du mineur. S’il le déclare coupable des faits reprochés, il ordonne l’ouverture d’une période de mise à l’épreuve éducative et statue sur la constitution de partie civile. Si une période de mise à l’épreuve éducative est déjà en cours pour des faits antérieurs, il l’étend aux faits nouveaux ou, de façon exceptionnelle et par décision motivée, ouvre une nouvelle période de mise à l’épreuve éducative [9].

1.2 Période de mise à l’épreuve éducative.

Durant cette période, qui court jusqu’à l’audience de prononcé de la sanction, le tribunal pour enfants peut ordonner des mesures provisoires auxquelles le mineur sera soumis : expertise médicale ou psychologique, mesure judiciaire d’investigation éducative, mesure éducative judiciaire provisoire, contrôle judiciaire ou assignation à résidence avec surveillance électronique [10].

Ces mesures expirent à la date fixée par la décision et, quoi qu’il en soit, lors du prononcé de la décision rendue dans le cadre de l’audience de prononcé de la sanction.

Si le mineur ne respecte pas les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique, le tribunal pour enfants peut ordonner son placement en détention provisoire pour une durée ne pouvant excéder 1 mois [11].

Le contrôle de la période de mise à l’épreuve éducative relève de la compétence du juge des enfants qui peut, à tout moment, prescrire, modifier ou lever les mesures susmentionnées d’office, à la demande du mineur ou de son avocat, ou sur réquisitions du procureur de la République [12].

Durant cette période, le suivi du mineur passe également par la possibilité pour le juge des enfants de délivrer des mandats de comparution ou d’arrêt, modifier la date et la juridiction de l’audience de prononcé de la sanction, convoquer le mineur avant le terme de la période de mise à l’épreuve éducative devant le tribunal pour enfants en cas de manquement au contrôle judiciaire ou à l’assignation à résidence, révoquer le contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence et ordonner le placement du mineur en détention provisoire [13].

1.3 Audience de prononcé de la sanction.

Elle intervient après la période de mise à l’épreuve éducative, dans un délai compris entre 6 et 9 mois après la déclaration de culpabilité du mineur, et permet au tribunal pour enfants de statuer sur la sanction applicable.

Sont présentes les mêmes personnes que dans le cadre de l’audience d’examen de la culpabilité, dont le procureur de la République dont la présence est obligatoire.

Le tribunal pour enfants peut prononcer :

- Une déclaration de réussite éducative lorsque le mineur a respecté les mesures imposées dans le cadre de la période de mise à l’épreuve éducative ;
- Une dispense de mesure éducative ;
- Une mesure éducative ;
- Une peine sous réserve de l’application du principe d’atténuation de la peine encourue [14].

Pour les contraventions de la cinquième classe, les délits et les crimes, une mesure éducative peut être prononcée cumulativement avec une peine [15].

2. Procédure d’exception : jugement en audience unique [16].

Dans le cadre de l’audience de l’examen de la culpabilité du mineur, le tribunal pour enfants a la possibilité de statuer en audience unique s’il se considère suffisamment informé sur sa personnalité et n’estime pas nécessaire d’ouvrir une période de mise à l’épreuve éducative [17].

Cette procédure permet qu’il soit statué le même jour sur la culpabilité du mineur et la sanction.

Le tribunal pour enfants peut avoir recours à l’audience unique après avoir recueilli les observations des parties présentes à l’audience et par décision motivée.

Lors de l’audience unique, le tribunal pour enfants peut prononcer :

- Une dispense de mesure éducative ;
- Une mesure éducative ;
- Une peine, à condition que le mineur ait un antécédent éducatif c’est-à-dire, selon l’article L521-2 alinéa 2 du CJPM, qu’il ait déjà fait l’objet d’une mesure éducative, d’une mesure judiciaire d’investigation éducative, d’une mesure de sûreté, d’une déclaration de culpabilité ou d’une peine prononcée dans le cadre d’une autre procédure et ayant donné lieu à un rapport datant de moins d’un an versé au dossier de la procédure (ce rapport doit contenir des éléments circonstanciés relatifs au suivi éducatif, à la mise en œuvre de la mesure et à l’évolution du mineur, ainsi qu’une proposition éducative).

A titre exceptionnel, le tribunal pour enfants peut également statuer en audience unique par saisine du procureur de la République après déferrement du mineur, sous réserve de la réunion de conditions tenant au quantum de la peine et à la situation du mineur :
- La peine d’emprisonnement encourue doit être supérieure ou égale à 5 ans si le mineur est âgé de moins de 16 ans, et supérieure ou égale à 3 ans si le mineur est âgé d’au moins 16 ans ;
- Le mineur doit faire l’objet d’un antécédent éducatif (tel que défini ci-dessus) ou être poursuivi pour le délit prévu à l’article 55-1 du Code de procédure pénale (refus, par une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de prélèvements et de relevés signalétiques nécessaires à l’alimentation et à la consultation des fichiers de police).

3. Voies de recours.

L’appel d’un jugement du tribunal pour enfants est porté devant la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel. Il peut concerner la décision sur la culpabilité et la décision sur la sanction dans les délais et selon les modalités prévues par le Code de procédure pénale [18].

Par ailleurs, les règles relatives à l’opposition mentionnées à l’article 489 à 493 du Code de procédure pénale sont applicables aux jugements rendus par le tribunal pour enfants.

Avi Bitton, Avocat au Barreau de Paris
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre
Site : https://www.avibitton.com

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Notes de l'article:

[1Article L231-3 du CJPM.

[2Article L231-4 du CJPM.

[3Article L423-4 alinéa 2 du CJPM.

[4Article L521-8 du CJPM.

[5Article L521-1 du CJPM.

[6Article L521-3 du CJPM.

[7Article L521-4 CJPM.

[8Article L521-5 du CJPM.

[9Article L521-11 du CJPM.

[10Article L521-14 du CJPM.

[11Article L521-10 du CJPM.

[12Articles L521-13 et L521-15 du CJPM.

[13Articles L521-16 à L521-22 du CJPM.

[14Articles L121-5 à L121-7 et article L123-1 du CPJM.

[15Article L111-3 du CJPM.

[16Articles L521-26 et L521-27 du CJPM.

[17Article L521-2 du CJPM.

[18Articles L531-1 et L531-3 du CJPM.

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Discussion en cours :

  • par MORVANY , Le 10 octobre 2022 à 00:03

    Bonjour Maître

    Je tiens vraiment et sincèrement à vous adresser mes remerciements pour cette synthèse dynamique claire et concise extrêmement utile pour la préparation du concours de greffiers de services judiciaires 2023.
    Très bonne continuation à vous.

    Cordialement,
    Mle Sophia MORVANY
    sofyamorvany85 chez gmail.com

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