Non, ce n’est pas le goût de la madeleine fondant dans la bouche qui éveille en nous des souvenirs lointains d’enfance, mais c’est le "bovarysme" qui nous hante qui nous fait rêver de l’immortalité. Marcel Proust réinterprété, tournant vers l’avenir, plutôt que vers le passé, des souvenirs à raviver et à proroger…
Madame Bovary n’est pas seulement Gustave Flaubert, mais c’est moi, c’est toi, c’est vous, c’est nous tous ! Chacun veut briser sa coquille et partir à la conquête de l’absolu et du temps retrouvé.
Le site internet BrainBridge.tech nous transmet la nouvelle suivante : le développement d’une machine qui fera des transplantations de têtes sur des corps sains de donneurs. Si l’on cherche davantage sur Internet, on tombe sur la MIT Technology Review qui nous dévoile le ballon d’écume : cette vidéo de BrainBridge n’est qu’une deepfake pour tester le grand public et pour attirer les partisans des technologies anti-aging en quête d’amortalité.
Et si un beau jour ce fantasme devenait réalité ? C’est la question rhétorique que se pose le promoteur de la vidéo, l’homme de science Hashem Al-Ghaili, mais que l’on doit se poser nous aussi... Y serait-on prêt ?
Le défi du juriste serait de définir quelle personnalité juridique gardera "la chimère".
Serait-ce la personnalité juridique du corps ou celle de la tête ? Ou bien serait-ce celle d’une tierce personne ?
Lequel serait l’accessoire de l’autre ? L’article de la MIT Technology Review nous parle de transplantation de tête, comme si le corps était la pierre angulaire de la personnalité juridique.
Comme l’amortalité est l’apanage des transhumanistes, il faut bien réfléchir pourtant si ce n’est le cerveau qui prend le relais et définit l’essence de la personnalité humaine. C’est la vision cérébrale de l’homme.
Mais qu’en est-il de notre système juridique ? La personnalité juridique s’éteint au décès de la personne humaine. Et alors ? Des deux parties qui seront interconnectées, laquelle est celle vivante et qui définit la personne ?
Apparemment, la mort se définit par la perte irréversible des fonctions cérébrales ou "la disparition permanente et irréversible de la capacité de conscience et de toutes les fonctions du tronc cérébral".
Ce serait donc le cerveau qui englobe la fonction humaine, ce qui n’est pas tellement étonnant si l’on pense que les transplantations de cœur ou de poumons ne changent de rien les attributs de la personnalité juridique, bien que les battements du cœur ou la respiration soient des signes vitaux.
Ce sont des faits auxquels il faudra penser dans la démarche de construction du droit de l’avenir qui doit régler les droits de l’homme augmenté et surtout les obligations qu’il doit assumer et surtout qui doit renforcer les droits de l’Homme non-augmenté.
C’est le temps pour l’homo sapiens de céder sa place à l’homo numericus ?
À l’âge tech dans l’évolution de la Terre, on pense à créer même "des jumeaux numériques" qui reprennent de nos tâches quotidiennes et qui prennent des décisions à notre place. Jusqu’où ira l’essor de la fantaisie humaine en matière d’IA ?
Mutatis mutandis au champ du droit, sommes-nous préparés à laisser la place au notaire numérique, à l’avocat numérique, au juge numérique ?
Cet Homo juridicus digitalis serait-il meilleur que son modèle humain ? On en doute profondément…
Car l’Homme non-augmenté a le droit fondamental à l’humanisme et à l’humanité…