Mon premier conseil est de réagir le plus tôt possible. Si les tentatives directes pour faire cesser les comportements douloureux ont échoué, les victimes ne doivent pas attendre d’être au 36ème dessous pour changer de tactique. Il n’y a jamais de raison valable de souffrir au travail à cause du comportement d’un collègue, et la santé mentale et le bien-être sont précieux et fragiles. Plus elles attendent, plus leur situation risque d’empirer et leur capacité à agir s’affaiblir. On est toujours légitime à vouloir se faire respecter, et les employeurs sont garants de ne pas exposer leurs salariés à des facteurs de risque, notamment émotionnels ou psychosociaux.
Médiation ? Enquête interne ? De quoi parle-t-on exactement ?
La médiation s’inscrit dans le cadre de relations interpersonnelles ayant vocation à perdurer.
Elle a pour objet :
- soit 1) de restaurer suffisamment la relation entre les médiés pour qu’ils puissent travailler ensemble,
- soit 2) de leur permettre de trouver eux-mêmes une solution à leur différend/difficulté, le plus souvent grâce un aménagement de leurs conditions de collaboration (redéfinition des process, des attentes, des comportements ou des conduites, …).
D’où le fait que la médiation salariale inclut souvent l’employeur (son représentant) à un moment donné, souvent lorsque les parties sont proches de trouver un accord, mais que celui-ci nécessite des modifications d’organisation ou des engagements devant être avalisés par la direction.
L’enquête interne pour harcèlement moral ou sexuel a une autre finalité.
Son objet est d’établir les faits, c’est-à-dire de recueillir les preuves, et de dire s’ils pourraient ou non entraîner la qualification de harcèlement par un juge. Ce faisant, elle ne va pas dans le sens d’une restauration de la relation, mais tend plutôt à trancher les responsabilités. Par un effet d’entraînement, l’enquête participe à élargir le conflit à d’autres salariés, parfois sommés par les protagonistes de prendre un parti ou de témoigner, voire en la constitution de clans.
Mais la réalité du harcèlement et de la souffrance de la victime ne signifie pas ipso facto que l’enquête ou le juge retiendront cette qualification.
D’une part, il est difficile de prouver les accusations. La justice a besoin de preuve. Et, les enquêteurs manquent parfois d’éléments tangibles (les harceleurs laissent généralement peu de traces matérielles de leurs méfaits). Lorsque les éléments se limitent aux seules versions des protagonistes, le doute bénéficie à la défense.
D’autre part, sans qu’il s’en rende nécessairement compte, d’autres éléments ont peut-être contribué au ressenti, au mal-être exprimé par le plaignant (charge de travail écrasante, conditions matérielles de travail indécentes, objectifs irréalisables, conflit de valeur, …) sans être directement ou exclusivement imputables à la personne incriminée. Le mis en cause n’est peut-être qu’un rouage dans un système qui le dépasse et dont il est également victime.
Quel "outil" choisir ?
La médiation sera adaptée :
- Si le plaignant juge qu’il faut que les comportements cessent, mais qu’on peut laisser une chance au mis en cause,
- Si les preuves des agissements de harcèlement ne seront pas aisées à réunir (absence de preuve matérielle et de témoin).
L’enquête interne sera adaptée :
- Si le plaignant juge que les choses sont allées trop loin et que justice doit être faite, que les statuts de victime et de harceleur doivent être reconnus,
- Si les preuves sont disponibles ou si l’enquêteur pourra lui-même en recueillir facilement (un nombre substantiel de témoignages concordants peut constituer un faisceau d’indices probant).
Humainement, plus on aura attendu pour réagir et plus on aura souffert, plus on cherchera la justice, voire la vengeance (quitte y perdre des plumes liées à la violence et à l’aléa inhérents aux enquêtes). On pourrait conseiller la victime putative de tenter une médiation lorsque la situation n’est pas trop envenimée, puis, en cas d’échec, de demander une enquête. Le mis en cause, lui, a intérêt à accepter la médiation pour démontrer ses bonnes intentions, voire à en solliciter une, plutôt que de subir le retentissement d’une accusation infamante.
En résumé et hors toute considération de preuve, si le plaignant privilégie la paix, la médiation serait davantage recommandée. Si c’est la justice qui est demandée, l’enquête correspondrait mieux.
À l’échelle d’une vie professionnelle, nous pouvons tous nous sentir un jour harcelé au travail. L’important, c’est moins ce qui nous arrive que la manière dont nous réagissons.