La Kafala n’est pas une adoption !

Par Nisrine Ez-Zahoud, Avocat

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Explorer : # kafala # adoption # droit international

Cass. 1e civ. 15 décembre 2010 n° 09-10.439 (n° 1190 F-PBI)

Par ce récent arrêt, la Cour de Cassation rappelle un principe constant selon lequel, l’adoption d’un mineur étranger ne peut pas être prononcée, en droit français, si sa loi personnelle prohibe cette institution.

En l’espèce, il s’agissait d’un enfant algérien et la loi algérienne, interdit sans aucune réserve l’adoption telle que nous la connaissons en droit français.

-

Avant de revenir à cette nouvelle jurisprudence, il convient de faire un rapide rappel de la position des tribunaux français confrontés à des demandes d’adoption sur le fondement d’un acte de Kafala…sans pour autant remonter trop loin dans les décisions.

La situation jurisprudentielle actuelle…

En 2006, saisie de deux pourvois (2 arrêts – pourvois n°06-15265 et n°06-15264) dans l’intérêt de la loi, la Cour de cassation [1] a cassé au visa de l’article 370-3 du Code civil, deux arrêts d’appel qui avaient assimilé la « Kafala » à une adoption simple.

Ces deux arrêts de la Cour de cassation font donc une application stricte de l’article 370-3 du Code civil et plus particulièrement l’alinéa 2 de ce texte, lequel dispose que :

« L’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ».

Pour les Hauts Magistrats, « violent l’article 370-3, alinéa 2, du Code civil les arrêts qui prononcent une adoption simple, après avoir relevé que la loi personnelle de l’enfant interdit l’adoption, en retenant que la loi étrangère connaît, sous le nom de Kafala, une institution similaire, alors que, selon leurs propres constatations, la Kafala n’est pas une adoption et que, par ailleurs, l’enfant n’était pas né et ne résidait pas habituellement en France ».

Dans ces cas d’espèces, nul doute que la cassation était inévitable !

En 2009, la Haute juridiction par un nouvel arrêt de principe a réaffirmé que la Kafala n’était pas une adoption [2]

En l’espèce la première chambre civile de la Cour de cassation ne s’est pas limitée à réaffirmer que la Kafala n’est pas à une adoption comme elle a pu le faire avec les arrêts du 10 octobre 2006 (Cass.Civ. 1re, 10 oct. 2006). Elle va au contraire plus loin, faisant référence aux droits fondamentaux et aux normes internationales.

C’est ainsi que la Cour a affirmé que le refus de prononcer l’adoption de l’enfant recueilli par Kafala, en application de l’article 370-3 du code civil introduit par la loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale, constitue une différence de traitement au regard de la vie familiale de l’enfant en raison de sa nationalité et de son lieu de naissance et une atteinte au droit de mener une vie familiale normale.

Et d’ajouter que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

En tout état de cause, l’adoption d’un enfant de nationalité marocaine ou algérienne ne pourra jamais être prononcée en France, et ce même avec le consentement du représentant légal de l’enfant.

Une réserve néanmoins, lorsque cet enfant mineur est né et réside habituellement sur le territoire français.

Récemment la Haute Juridiction rappelle que la Kafala n’est pas une adoption par une décision du 10 décembre 2010 (Cass. 1e civ. n° 09-10.439 - n° 1190 F-PBI).

Dans cette nouvelle espèce, des époux ont recueilli en Kafala un enfant algérien sans filiation connue. Le Tribunal algérien les ayant autorisés à lui donner leur nom.

Les époux adoptants forment devant les tribunaux français une requête en adoption plénière et, subsidiairement, en adoption simple de cet enfant.

Leur appel se solde par un échec, les époux décident donc de se pourvoir en Cassation, faisant grief à la Cour d’appel d’avoir rejeté leur requête selon le moyen suivant :

- Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale, ajoutant que

- l’adoption est le meilleur moyen pour cet enfant d’intégrer une famille et de poursuivre en invoquant que

- l’enfant abandonné et la famille qui l’a recueilli ont droit à une vie familiale normale, pour achever leur moyen par affirmer que

- le texte qui empêche un enfant abandonné dans son pays d’origine, qui a vécu depuis son plus jeune âge sur le territoire français, d’être adopté par un couple français qui l’a recueilli, au motif que le statut personnel de l’enfant prohibe l’adoption, a pour effet d’établir une discrimination entre enfants.

La Haute Juridiction rejette l’ensemble de ces arguments. Elle renvoie purement et simplement à la loi personnelle de l’adopté, l’article 370-3, al. 2 du Code civil étant la traduction, en droit interne, des règles édictées par la convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.

Dès lors et y ajoutant que c’est sans méconnaître son intérêt primordial, ni établir de différence de traitement au regard de sa vie familiale, ni compromettre son intégration dans une famille, que l’arrêt critiqué a rejeté la requête en adoption, dès lors que la Kafala, expressément reconnue par l’article 20, alinéa 3, de la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, préserve son intérêt supérieur.

Force est de constater que cette décision confirme une jurisprudence désormais bien établie de la Cour de cassation qui, sur le fondement de l’article 370-3 du Code civil, refuse aux personnes ayant recueilli un enfant par le biais d’une Kafala de demander le prononcé d’une adoption simple ou plénière de droit français (Cass. 1e civ. 10-10-2006 n° 06-15.264 et 06-15.265 : Bull. civ. I n° 431 et 432).

Rappelons les termes de cet article « l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ».

En l’espèce, la loi personnelle du mineur, c’est-à-dire sa loi nationale, était la loi algérienne. Sur le fondement du droit musulman, celle-ci interdit l’adoption et permet, comme solution de substitution, la Kafala (voir mon prochain article "Un remède à l’Adoption pour les Pays musulmans : la Kafala…mais que signifie cette notion ?").

Nul doute que prononcer l’adoption de l’enfant aurait été totalement contraire aux dispositions l’article 370-3 du Code civil.

Néanmoins il est important de souligner que la Cour de cassation, à nouveau, fait référence (voir décision antérieure = Cass. 1e civ. 25-2-2009 n° 08-11.033, précité) à la convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d’adoption internationale. Il semblerait que les Hauts Magistrats aient pris position d’en faire application systématique pour toutes les adoptions internationales, même pour celles qui n’entrent pas dans son champ d’application… car rappelons-le, cette convention n’est applicable qu’entre les Etats signataires, dont l’Algérie, ne fait pas partie… cette application n’est certainement pas anodine…

Quoi qu’il en soit, il est désormais bien connu que la Kafala ne peut être assimilée à une adoption, même simple, et ce, en raison qu’elle ne crée aucun lien de filiation et que les enfants des pays de Droit Musulman ne sont en principe pas adoptables.

Nisrine EZ-ZAHOUD
Avocat au Barreau de Lille
nisrine.ezz chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1(Cass. 1er Chambre civile du 10 octobre 2006 pourvoi dans l’intérêt de la loi. Cassation sans renvoi d’un arrêt de la cour d’appel de Reims concernant un enfant originaire de Marrakech pris en charge par un couple de nationalité française et un arrêt dans le même sens et du même jour concerne la situation d’un enfant algérien)

[2 (Cass. 1er Civ. - 25 février 2009, n° 08-11.033 / Juris-data : n° 2009-047181 (voir aussi Cass.1er civ. 28 janvier 2009- n° de pourvoi 08-10.034).

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