Affaire Markelys / Beezik : sur l’originalité d’un logiciel, les éléments protégeables et la forme d’expression du code source.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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L’action en contrefaçon de logiciel est ouverte à tout éditeur dont les droits d’auteur sur le logiciel sont méconnus, pourvu qu’il ait la pleine propriété des droits qui y sont attachés et que son programme d’ordinateur soit original.
(Cour d’appel de Paris, 24 Mars 2015 Markelys Inter. c/ Beezik Ent., Business & Décision et autres)

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Un récent arrêt de la cour d’appel de Paris est venu rappeler l’importance que revêtent ces exigences, préalablement requises à l’examen au fond de l’action en contrefaçon [1].

En substance, pour agir en contrefaçon de logiciel et pouvoir entrer dans l’assiette de protection, le demandeur doit d’une part avoir intérêt et qualité à agir, c’est-à-dire être pleinement titulaire des droits sur l’œuvre et non pas simplement bénéficier d’une licence d’utilisation et, d’autre part, démontrer l’originalité du logiciel.

C’est sur ce second point, celui de l’originalité du logiciel, que repose l’intérêt de la décision de la cour d’appel de Paris. En effet, le caractère utilitaire du logiciel nous fait vite oublier qu’il est une œuvre de l’esprit dont la protection par le droit d’auteur, en cas de contrefaçon, passe nécessairement par la démonstration de son originalité.

La présente décision sonne donc comme une piqûre de rappel pour l’éditeur d’un logiciel qui agit en justice sur le fondement de l’action en contrefaçon. L’originalité d’un logiciel doit être démontrée pour prétendre à la protection par le droit d’auteur, ce qui est banal mais rédhibitoire.

Ensuite, la cour apporte des précisions sur les éléments protégeables du logiciel, tout en écartant certaines preuves jugées insatisfaisantes à caractériser l’originalité.

Les faits

Sur la base du concept de publicité respectueuse consistant pour les internautes à accepter de recevoir des annonces publicitaires en contrepartie de produits et services offerts gratuitement par les partenaires commerciaux, deux associés qui avaient créé la société Imagiin.com, ont confié à la société Business & Décision la conception et le développement d’un logiciel intitulé Imagiin.

Survient une mésentente entre les deux associés de la société Imagiin.com qui se conclut par le départ et le transfert à l’un d’eux d’une copie du logiciel afin de lui permettre de créer la société Markelys. Après la mise en liquidation judiciaire de la société Imagiin, le logiciel continuera de faire l’objet de multiples cessions, rendant ainsi très aléatoire la chaîne des droits portant sur le logiciel.

Toutefois, contredisant sur ce point le TGI de Paris, la cour d’appel retiendra que de l’ensemble des éléments, il ressort que le liquidateur judiciaire de la société Imagina « a sans conteste cédé la propriété pleine et entière du logiciel Imagiin à M L, gérant de la société Markelys », laquelle est donc recevable à agir en contrefaçon.

En l’espèce, la société Markelys va agir en contrefaçon de logiciel contre le groupe de sociétés Beezik qui dispose d’une plateforme en ligne de téléchargement légal et gratuit de musique. Elle a en effet constaté que le site Beezik.com exploitait un logiciel dénommé Beezik qui constituerait une contrefaçon du logiciel Imagiin.

Il sera par ailleurs reproché à la société Business & Décision, intervenue initialement au profit de la société Imagina pour la réalisation du logiciel Imagina, d’avoir violé son obligation de confidentialité en collaborant avec les sociétés Beezik pour la création du logiciel Beezik.

A demande de la société Markelys, le TGI de Paris a d’abord autorisé par ordonnance la saisie du code source du logiciel Beezik, pour ensuite rejeter lors d’un jugement au fond toutes les demandes de la société Markelys pour absence de qualité et d’intérêt à agir en contrefaçon.

La société Markelys interjette appel de la décision sur le fondement des articles L.122-6 et L.335-3 du CPI, faisant valoir qu’elle dispose de la qualité d’auteur lui permettant d’agir en protection de son logiciel, lequel présente selon elle un caractère original lui ouvrant droit à la protection par le droit d’auteur.

La décision de la cour d’appel

Infirmant le jugement, les juges d’appel admettent la qualité et l’intérêt à agir en contrefaçon de la société Markelys. Toutefois, la cour n’a pas été en mesure de vérifier la réalité les actes de contrefaçon dont se plaignait la société Markelys, faute pour cette dernière d’avoir rapporté la preuve de l’originalité de son logiciel.

La cour énonce ainsi sa décision : « Que la condition d’originalité du logiciel constituant une condition de fond préalable de l’action en contrefaçon, il convient, à défaut de preuve de cette originalité, de débouter la société Markelys de son action ».

Avant d’analyser dans le détail les éléments et arguments présentés par la société Markelys pour démontrer l’originalité de son logiciel Imagiin mais que la cour a jugé comme indifférents, un rappel de la jurisprudence relative à la manière dont doit s’apprécier l’originalité d’un logiciel s’impose.

1/ Le critère de l’originalité du logiciel en jurisprudence

La conception personnaliste du droit d’auteur français doit amener à considérer en principe que l’originalité s’agissant d’un logiciel, œuvre de l’esprit, se trouve dans l’empreinte de la personnalité de l’éditeur.

Cette conception a été remise en cause par l’arrêt Pachot rendu par la Cour de cassation en 1986 afin de prendre en compte la spécificité du logiciel comme œuvre utilitaire.

Désormais, c’est en considération de l’objet que l’originalité sera ou non reconnue au logiciel et non plus en fonction de la personnalité de l’auteur qui n’a plus besoin de se projeter dans son œuvre en quelque sorte. Seuls les choix qu’il a opérés pour disposer les éléments et composants de l’objet seront déterminants.

Selon l’arrêt Pachot, «  l’organigramme, la composition du logiciel, et les instructions rédigées, quelle qu’en soit la forme de fixation constituent la forme d’expression du logiciel  » et que l’originalité des logiciels réside dans l’effort personnalisé de leur auteur, effort matérialisé par une structure individualisée  [2].

On voit avec cet arrêt que la protection accordée par le droit d’auteur au logiciel dépend notamment de la forme d’expression qu’est le code source, définis comme un ensemble de fichiers informatiques contenant les instructions devant être exécutées par un micro-processeur.

Dans un récent arrêt, la protection par le droit d’auteur fut refusée à une société au motif que le caractère innovant de son logiciel n’était pas en soi suffisant à caractériser l’originalité et que par ailleurs, l’élaboration du langage de programmation, c’est-à-dire son code source, n’était pas explicitée et les choix techniques mis en oeuvre ne révélaient aucun effort créatif [3].

Pour apprécier la réalité de la contrefaçon le juge commence par examiner le caractère original du code source du logiciel de l’éditeur qui agit pour exploitation servile, puis le cas échéant procède ensuite à la comparaison des codes sources des deux logiciels en cause.

2- L’absence d’originalité du logiciel pour défaut de preuve

Dans le présent arrêt du 24 mars 2015, la cour d’appel de Paris a refusé de faire droit aux revendications de la société Markelys portant sur l’originalité de son logiciel Imagiin. La cour relève que la société Markelys n’a pas produit dans ses pièces ou écritures le code source de son logiciel.

En effet, de manière très curieuse, cette société qui avait procédé à la saisie-contrefaçon du code source du logiciel Beezik et introduit une requête en saisie-description du même code source aux fins de comparaison avec son propre logiciel, a a priori omis de présenter à la cour la pièce du dossier contenant la description du code source du logiciel Imagiin.

En l’absence d’indication de code source, ce qui montre au passage l’importance que revête la description du code source dans l’appréciation de l’originalité, les juges d’appel ont rejeté tous les autres éléments de preuve mis en avant par la société Markelys pour démontrer l’originalité du logiciel.

Ainsi, si le concept de publicité respectueuse développé par le gérant de Markelys peut être considéré comme original en lui-même, il ne peut permettre pour autant de qualifier d’original le logiciel Imagiin réalisé pour sa mise en œuvre.

Il en sera de même des montants investis par la société Markelys pour développer le logiciel dont on sait que la jurisprudence refuse en général, au même titre que les crédits d’impôt recherche, de les prendre en considération pour apprécier l’originalité d’un logiciel.

Une cour d’appel avait ainsi écarté la preuve de l’originalité de la manière suivante : « la fourchette de valorisation entre 2,7 millions et 4,9 millions n’est pas de nature à démontrer l’originalité des composantes du logiciel, alors même qu’il est fait état de progiciels du même type exploités par d’autres sociétés concurrentes » [4].

La société Markelys avait également tenté de démontrer l’originalité de son logiciel en versant une attestation émanant de la société Business & Décision, laquelle s’était engagée « à réaliser une œuvre originale  ». Or la cour n’a pas été convaincue par cette preuve, qui ne saurait rendre incontestable cette originalité.

La production d’une attestation d’inscription, rédigée en anglais et ne constituant pas la dernière version de l’inscription, auprès de Logitas, société spécialisée dans le dépôt de logiciels, n’emportera pas plus la conviction des juges d’appel.

A défaut de preuve de l’originalité du logiciel, condition de fond préalable de l’action en contrefaçon, la cour d’appel a donc logiquement débouté la société Markelys de ses demandes en réparation.

La présentation de l’arrêt peut laisser croire que l’originalité d’un logiciel ne pourrait se démontrer que par la description de son code source. Nous avons vu en effet que la jurisprudence se réfère à ce moyen de preuve pour apprécier cette originalité, pour ensuite procéder à l’examen de la réalité de la contrefaçon.

Cependant il n’en va pas toujours ainsi. Il peut être fait abstraction du recours au code source du logiciel pour apprécier l’originalité et par conséquent la réalité de la contrefaçon.

C’est du moins l’enseignement qu’on peut tirer d’un récent arrêt de la Chambre commerciale. Alors que le pourvoi soutenait que l’originalité d’un logiciel par rapport à un autre s’apprécie par comparaison des codes sources, la Cour de cassation n’en retiendra pas moins que «  les deux logiciels présentaient des ressemblances étroites susceptibles à tout le moins de caractériser un comportement parasitaire  » [5].

Antoine Cheron

ACBM Avocats

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Notes de l'article:

[1CA de Paris, 24 Mars 2015 Markelys Inter. c/ Beezik Ent., Business & Décision et autres

[2A.P, 7 mars 1986, Pachot, pourvoi N° 83‐10.477

[3CA Montpellier, 6 mai 2014, n° 13/00995, Sté Alix c/ SA Codix

[4CA Montpellier, 6 mai 2014, n° 13/00995, Sté Alix c/ SA Codix

[5Chambre commerciale, 7 Octobre 2014 n° 13-19.797, Société Gemlog /Société Waid

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