Aristophil : un schéma “Ponzi” à l’origine de la faillite d’un fonds spécialisé dans les lettres et manuscrits ?

Par Alexandre Le Ninivin, Antoine Adeline et Caroline Morvan, Avocats.

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Explorer : # schéma ponzi # investissement # escroquerie # manuscrits anciens

Un scandale dans le monde des lettres et manuscrits anciens ne saurait passer inaperçu et l’affaire Aristophil promet de faire couler beaucoup d’encre. Une fraude massive, des milliers d’œuvres, 20 000 investisseurs et des centaines de millions d’euros en jeu.

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Un investissement très (trop ?) alléchant dans les lettres et manuscrits

Dans les années 2000, Gérard Lhéritier a créé la société Aristophil dans le but de proposer à tout particulier d’investir dans des collections de lettres et de manuscrits anciens, avec la promesse d’un rendement de plus de 8% par an ; cet investissement étant en outre exclu du champ de l’ISF.
Aristophil a acquis, au fil des ans, un stock de lettres et manuscrits, souvent importants, revendus aux investisseurs avec un prix d’entrée fixé à 1.500 euros.

Le système fonctionnait sur le principe spéculatif d’une revente à un prix supérieur du bien acquis à un prix présenté comme intéressant, soit sous forme de (1) parts en indivision (contrats Coralys), soit (2) en pleine propriété (contrats Amadeus), par l’intermédiaire de fonds - la société Finestim, et sa filiale Art Courtage - distributeurs exclusifs des produits, ou directement via la société Aristophil.

L’acte d’acquisition était accompagné d’une convention aux termes de laquelle chaque propriétaire (indivisaire ou en pleine propriété) consentait à ce que les œuvres soient conservées par Aristophil, pendant une certaine durée (de 5 ans minimum), à l’issue de laquelle il promettait de revendre le bien à Aristophil, qui restait libre de l’acquérir ou non (option d’achat).
Ces placements ont été proposés en France par les sociétés précitées, mais également en Autriche via Aristophil GmbH, en Belgique via Artesoris ou au Luxembourg via Artepoly’s. Aristophil aurait également disposé de filiales suisse, à Genève et en Asie, à Hong-Kong.
Parallèlement, Gérard Lhéritier a créé un Musée des Lettres et Manuscrits à Paris, installé dans un hôtel particulier du boulevard Saint Germain, puis un second à Bruxelles, dans lesquels étaient exposées les œuvres acquises.

En 2012, Gérard Lhéritier a par ailleurs fait l’acquisition de l’Hôtel de La Salle, hôtel particulier de 1700 m² situé dans le 7ème arrondissement de Paris, destiné à accueillir un Institut des Lettres et Manuscrits.

Le concept était séduisant : des manuscrits chargés d’histoire, une promesse de rentabilité élevée, le soutien de grands noms de l’art et de la politique. Beaucoup ont succombé à la tentation d’un tel placement. Les chiffres donnent le vertige : on compte près de 18.000 « investisseurs » pour un montant global souscrit de plus de 700 millions d’euros.

Cependant, des voix se sont rapidement élevées pour mettre en garde le marché, la valorisation des œuvres sur laquelle étaient assis les titres étant apparemment décorrélée de la réalité du marché et l’assurance de récupérer sa mise - plus les intérêts – de plus en plus incertaine.

Les alertes de l’AMF : investisseurs méfiez-vous !

Dès 2003, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a publié une première mise en garde au sujet des conventions d’indivision proposées par Aristophil, à la suite de laquelle elle a saisi le Parquet de Paris. Le tribunal correctionnel, après un examen de l’affaire, a retenu que l’activité d’Aristophil ne relevait pas du champ de compétence du régulateur, les contrats ne pouvant être qualifiés de produits financiers.

À la différence des produits financiers classiques, les lettres et manuscrits en qualité de sous-jacent, sont en effet considérés comme des « biens divers » dont la vente n’est pas soumise à l’agrément préalable de l’AMF.

Fort de cette décision, le groupe a poursuivi ses activités.

Le 12 décembre 2012, l’AMF a de nouveau publié un communiqué alertant les épargnants sur certains placements atypiques, tels que les « lettres et manuscrits ».

Enfin, par communiqué en date du 26 novembre 2014, l’AMF a tenu à préciser « que l’activité de la société Aristophil n’entre pas dans le champ de compétence du régulateur financier, et qu’elle n’a ni agréé, ni visé, ni enregistré des produits de cette société. En revanche, l’AMF rappelle qu’elle alerte régulièrement les investisseurs des risques des placements dits atypiques, et notamment les lettres et manuscrits, qui ne sont pas soumis à la réglementation protectrice des instruments financiers ».

L’enquête pénale et la faillite des sociétés du groupe à travers le monde

Sur la base d’un signalement TRACFIN et d’une demande d’information au parquet financier émanant de la Direction générale de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la brigade financière de Paris a ouvert, en mars 2014, une enquête préliminaire à la suite de laquelle une information judiciaire a été ouverte.

La justice a rapidement soupçonné un montage s’apparentant à un système dit « de Ponzi » consistant à rémunérer les investisseurs initiaux par les fonds procurés par les nouveaux entrants.

Le 18 novembre 2014, les différents locaux du groupe : le Musée des Lettres et Manuscrits, le siège social d’Aristophil, mais aussi celui des sociétés Finestim et d’Art Courtage, dans la région de Lyon, ainsi que le domicile de Gérard Lhéritier ont été perquisitionnés par la brigade de répression de la délinquance économique et la brigade financière.

Dans le cadre de l’enquête, les comptes de la société Aristophil ont été gelés et l’ensemble des collections placé sous scellés.

Consécutivement, les sociétés Finestim et Art Courtage ont été placées en liquidation judiciaire, le 29 janvier 2015, et depuis le 16 février 2015, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société Aristophil.

Le 4 mars suivant, Gérard Lhéritier, fondateur et président de la société Aristophil, a été mis en examen avec cinq autres personnes dont sa fille (responsable de la gestion des collections) et l’expert-comptable de la société, en raison notamment de soupçons d’escroquerie en bande organisée, pratique commerciale trompeuse et abus de biens sociaux.

La recherche des responsables et le sort des investisseurs

Après la débandade causée par les mises en redressement et liquidation des différentes entités, de nombreuses questions se posent, et il y a fort à parier que cette affaire n’en soit qu’à ses débuts.

Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il eu fraude ? Combien de dizaines de milliers d’euros ont été détournées ? Qui a conseillé quoi, qui et comment ? Quelles est la vraie valeur des milliers d’œuvres saisies ? Qui sont les responsables et sont-ils solvables ? Et surtout, comment récupérer les fonds investis !

D’aucuns évoquent la complaisance (pour ne pas dire la complicité) de certains libraires et experts qui ont survalorisé les manuscrits acquis), de conseils financiers et d’établissements bancaires.

A ce stade, le gel des actifs par la justice permet tout de même aux investisseurs qui se seront signalés à temps (déclaration de créance à adresser avant le 10 mai 2015, sauf le cas spécifique de créanciers étrangers – deux mois supplémentaires donc le 10 juillet 2015 - ou des demandes de relevés de forclusion, et demandes de revendication) d’espérer recevoir, à tout le moins une quote-part de leur placement à l’issue de leur vente, et de la distribution du prix par les organes de la procédure collective.

Cela pourrait tout de même prendre plusieurs années, et en l’état, la perte sèche pour nombre d’investisseurs apparait d’ores et déjà élevée. Il leur appartient donc d’agir, afin d’organiser leur défense.

De belles batailles judiciaires en perspective !

Alexandre Le Ninivin, Antoine Adeline et Caroline Morvan
Avocats à la Cour
alexandre.leninivin chez squirepb.com
antoine.adeline chez squirepb.com

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 23 septembre 2015 à 19:48
    par Jean Emmanuel Raux, expert en autographes et manuscrits , Le 10 juillet 2015 à 08:38

    Les documents autographes sont une valeur sûre quand ils ne sont pas survalorisés dans un contexte de produit financier. Dans ce dernier cas, il faudra attendre au moins 20 ans dans le meilleur des cas avant de récupèrer ses fonds. Entre temps le marché qui s’est un peu tassé aura repris des couleurs et certainement une hausse. Mais le domaine des manuscrits est réservé à une élite intellectuelle plus passionnée par la collection d’autographes que des plus values financières. Pourquoi tous ces gens qui ont investis des sommes considérables ne se sont pas tournés vers les experts en la matière voire même des marchands ? Ces derniers auraient été ravis de trouver de nouveaux collectionneurs. De toute façon il est impossible de comparer des manuscrits entre eux. Chaque manuscrit est unique. Il y a aussi des manuscrits importants où les prix sont aussi hors norme. Dans le domaine de l’Art on n’achète jamais pour de l’argent mais par passion, par coup de coeur, ce que ces victimes là n’avaient pas compris ! Une collection faite avec amour et rigueur reste toujours un bon placement.

    • par Stefan Szalay , Le 14 juillet 2015 à 10:58

      Vous avez totalement raison ! A mon avis c´est la fascination pour un homme/ pour une femme et aussi l´histoire qui accompagne une pièce autographe. Une petite fenêtre dans une vie de quelque´un qui a fait quelque chose pour notre humanité. Pour moi c´était jamais l´argent meme si on savait qu´on a une pièce précieux dans ses mains. Vous êtes gardeur de l´histoire -

    • par MONTI , Le 23 septembre 2015 à 19:48

      Nous ne savons pas et personne ne peut affirmer que les œuvres ont été survalorisées.

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