La fin de l’année est usuellement le temps des bilans et la pléthore d’émissions sur ce thème sur nos télévisions se fait l’écho de ce que cette habitude peut avoir de tenace.
Je ne déroge donc pas à la règle et c’est avec un œil perplexe que je tente de faire le point de ce qu’a été mon exercice en 2014 et de ce que je souhaite changer, conserver, améliorer pour 2015.
De tout temps, l’avocat a été une passerelle entre une justice parfois complexe et des justiciables souvent perdus dans ses arcanes incompréhensibles.
La situation législative
Si le législateur a fait de nombreux efforts pour rendre la justice plus accessible, il en va différemment de la loi qui se fait, d’année en année plus indéchiffrable pour le profane.
Nous avons eu des textes sur la modernisation de la langue juridique (qui a supprimé les sieur, dame, femme untel ... ) de nos actes extra-judiciaires et judiciaires puis d’autres textes sur la féminisation, la francisation,... bref le législateur a été attentif ces dernières décades à ce que la langue juridique reste précise tout en étant moins choquante pour des oreilles modernes.
La logorrhée juridique qui s’aggrave depuis des années est telle que trop souvent les textes ne sont ni réfléchis, ni correctement validés. Ainsi sortent des lois inapplicables, incompréhensibles, à double sens, qui se contredisent ou omettent un renvoi au texte pénal, invalidant ainsi une infraction, sans compter les difficultés avec les textes externes mais directement applicables en France (droit européen, conventions internationales…).
On se rappellera l’inénarrable loi sur le nom patronymique qui a dû être modifiée plusieurs fois avant même son entrée en vigueur (et aussi après) tant elle était hallucinante (qui peut oublier le double tiret …).
Un guide de légistique à l’intention des rédacteurs de textes officiels existe pourtant et est même disponible en ligne sur le site de Légifrance, sa complexité même donne une idée de la difficulté et de l’oubli de cette maxime pourtant simple : « ce qui clairement se conçoit s’énonce aisément et les mots pour le dire viennent facilement.... »
Dans le droit de la famille, s’ajoute l’angélisme du législateur qui semble oublier que les justiciables ont des sentiments et qu’il ne suffit pas de dire que l’on « dépénalise » le divorce pour que la colère de l’époux délaissé disparaisse.
En outre, les difficultés budgétaires amènent le législateur à rechercher tous les moyens de libérer la justice du justiciable en tablant sur les modes alternatifs de règlement des conflits, ce qui est en soi louable et même utile mais ne saurait pallier aux difficultés de certains conflits et aux carences en magistrats correctement formés.
Le résultat est que pour chaque nouveau texte, le praticien du droit se trouve dans une situation de risque majeur de fausse interprétation et, sachant que c’est la jurisprudence qui interprète les textes et la Cour de cassation qui en est l’arbitre, il faudra des années pour que le fonctionnement courant d’un texte soit avéré. Or ces années, dans une société ou tout va vite et ou chaque législature veut SA réforme, il est rare de les avoir. Ainsi les réformes s’empilent-elles parfois, au mépris de la compréhension et de la sécurité juridique dont on sait pourtant que c’est un fondement social important.
S’ajoutent à cela les évolutions sociales, les volontés politiques … qui sont la vie même de l’évolution d’un système juridique.
Dans le même temps, nos politiques, en mal de popularité vouent aux gémonies les professions soi-disant favorisées parmi lesquels les avocats et jettent dans la fosse aux lions médiatique lesdits professionnels dépeints comme d’épouvantables profiteurs dont rien ne justifierait la rémunération.
La situation judiciaire
Les magistrats et greffiers sont en nombre insuffisant, les délais s’allongent et les durées des audiences rétrécissent. Les plaidoiries deviennent une plaie à éviter pour beaucoup de juges pressés de traiter les dossiers à la chaîne, techniquement, pour faire face à la masse d’affaires qui leurs sont allouées, souvent au préjudice de l’humanité nécessaire au traitement des dossiers, particulièrement en droit de la famille.
C’est ainsi que certains tribunaux rendent techniquement impossible ou quasiment le recours, pourtant légal, à l’audience collégiale en prévoyant qu’il n’y en aura qu’une ou deux par an. D’autres décident que désormais les affaires ne seront plus plaidées sauf demande expresse des avocats. Certains limitent, chronomètre en mains, les plaidoiries.
Les délibérés sont parfois fixés à deux mois (en matière familiale c’est un enfer) et les plaidoiries à 6 mois après la clôture des débats, de sorte que lorsque l’affaire arrive devant le juge la situation des parties a tellement empiré que des procédures parallèles ont dû être engagées.
Ne parlons pas des reports à 6 mois, des référés refusés pour cause de surcharge ou dont la date est si lointaine que s’en serait risible…
Ces mêmes magistrats n’ont absolument pas une formation spécialisée lorsqu’ils prennent un nouveau poste de sorte qu’ils doivent soit « apprendre sur le tas » soit partir en formation dès le début de leur nomination, laissant le poste vacant…
Le manque de personnel se fait sentir également par la montée en puissance du nombre d’erreurs matérielles dans les jugements.
Sans compter les aléas informatiques de l’aberrant système dit du RPVA qui est si lent que l’on pourrait croire que les emails partent à pieds et derrière lequel se cache la capacité des tribunaux à refuser toute interaction avec les avocats
De nombreux tribunaux ne répondent pas au téléphone ou alors le matin (et pas toujours), les renvois doivent être faits de visu (au diable le temps passé par l’avocat pour rien et le coût y afférent), les emails ne sont pas toujours transmis, les réponses sont inexistantes…
Sans compter ceux dans lesquels le magistrat débordé transmet au greffe la tenue des audiences devenues virtuelles de procédure et ou les affaires vont de renvoi en report, des mois durant…
Enfin les magistrats n’ayant aucune responsabilité du fait de leurs erreurs, lorsqu’une décision erronée, invraisemblable est rendue, le justiciable n’a qu’à utiliser les voies de recours… Personne ne semble se rendre compte que cela prend du temps (parfois considérable) et a un coût…
Le désir du client
Globalement le désir du client est simple, il veut l’aide de l’avocat pour obtenir un accord ou une décision qui lui permettrait de faire valoir ce que lui considère comme son « bon droit ». Il veut que son avocat croit en lui, le soutienne, trouve une solution pour que l’autre comprenne ses torts ou que le juge reconnaissance l’évidence, qu’il a raison.
Il pense que le bon avocat est un bon plaideur et qu’il doit savoir faire entendre sa voix.
Le client veut donc une décision rapide et favorable, il souhaite avoir un avocat compétent, disponible, compréhensif qui va l’aider à faire entendre sa voix ou à négocier.
En parallèle, la fiction de la justice accessible directement à tous a fait florès et l’arrivée d’internet, ou l’on trouve tout mais souvent n’importe quoi, a aggravé cette vision stupéfiante que chacun pourrait facilement s’y retrouver dans des arcanes judiciaires chaque jour plus complexes. Un clic et tout un chacun s’improvise tour à tour mécano, médecin, avocat ou menuisier. Mais comme le dit la sagesse populaire, "c’est un métier" et l’internaute malheureux reconnaît mais un peu tard que l’on ne l’y reprendra plus.
La responsabilité de l’avocat
La Cour de cassation considère que l’avocat doit es qualité de professionnel, justifier qu’il a bien informé son client de ses droits, des risques, des conséquences et qu’il a mis en œuvre tous les moyens propres à assurer la défense de son client ce qui inclut évidemment une formation continue importante et de qualité et la connaissance approfondie de l’ensemble des pièces du dossier.
L’avocat doit donc écrire encore et encore à son client, de façon à se pré-constituer la preuve qu’il a bien rempli ses obligations d’informations puisqu’en qualité de professionnel c’est à lui de rapporter cette preuve.
Il doit également prendre le temps d’aller en formation et de lire les journaux professionnels spécialisés.
En outre il doit pouvoir justifier des diligences effectuées dans un dossier, donc tout noter et lorsqu’il rend un dossier, tout garder pour ce faire.
Il doit aussi conserver ses dossiers 10 ans, à charge pour lui de les archiver dans un endroit sûr.
Enfin il doit évaluer dès le départ, les diligences qu’il devra faire dans un dossier et, partant, les honoraires prévisibles. Ce qui s’avère impossible la plupart du temps dans les dossiers familiaux dans lesquels entre une part non négligeable de situations nouvelles et de difficultés relationnelles chez les parties.
Les obligations du chef d’entreprise
L’avocat est un chef d’entreprise qui doit remplir ses obligations administratives, payer ses charges et ses salariés et dont l’exercice professionnel est le plus souvent le seul revenu.
Ni salarié, ni fonctionnaire, l’avocat comme tout chef d’entreprise paie toute sa structure : loyer, eau, gaz, électricité, charges sociales, assurance responsabilité civile professionnelle, cotisation obligatoire à l’ordre des avocats, TVA, taxe professionnelle, salariés, collaborateurs, documentation, formation, informatique, logiciels de gestion, …
Si vous mettez tout cela bout à bout c’est LA QUADRATURE DU CERCLE
Alors que souhaiter pour 2015, que nos politiques cessent de se croire grandis par la critique (toujours facile) d’autrui et commencent par balayer devant leur propre porte et qu’ils nous laissent batailler avec la crise économique qui touche les avocats comme les autres…
Discussions en cours :
C’est un jolie plaidoyer pour une justice qui est un fondement essentiel de notre Etat de droit.
Il est vrai qu’il y a des choses à changer, à conserver, à améliorer ou à retrouver dans le concept de justice ; mais il ne faut jamais perdre de vue que derrière le concept, il y a des Hommes avec leurs sentiments. Si la compréhension de la justice et de la loi ( "nul n’est censé ignorer la loi") est indispensable à la sécurité juridique et l’acceptation de la justice, il ne faut pas perdre de vue la difficulté d’apporter un traitement respectueux de la dignité humaine de chacun pour chaque "affaire".
Méditons sur cette pensée de Jean Jaurès "L’histoire enseigne aux Hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir."
de notre justice mais hélas exact (voir l’article sur "la justice du 21ième siècle : i have a dream " ;
et que dire d’une justice du quotidien s’appuyant sur des bataillons de supplétifs bénévoles retraités (dél du proc, CJ, JP...) ou de CDD (assistants de justice...) au lieu de recruter des magistrats et des fonctionnaires en nombre suffisant....
et que dire des MARC/MARL/REL que l’on veut imposer "aux forceps" dans notre système judiciaire à bout de souffle alors qu’ils ne sont pas conformes à notre tradition judiciaire et ne constituent pas la solution "magique" pour désengorger les tribunaux.........
oui, les justiciables sont en attente de justice et pour eux il n’y a pas de "petit litige" et souvent, le passage devant un conciliateur de justice sans moyen, ni formation ni pouvoir (il ne peut même pas donner force exécutoire à un protocole d’accord ni dresser PV de non conciliation !!!) se révèle parfois une déception ......
enfin, un bémol, il conviendrait que la profession d’avocat "fasse" aussi le ménage.....
Bonnes fêtes de fin d’année....
CCourtau