I. – La tacite reconduction : de l’encadrement à la suppression
Initialement, au motif « d’éviter la prolongation involontaire de mandats de gestion exclusifs au profit d’une plus grande liberté du propriétaire » [3], le projet prévoyait qu’ « un accord exprès du propriétaire-vendeur lors de la reconduction des mandats de gestion » devait être prévu.
Ce point fut ensuite modifié et élargi à tous les mandats d’entremise dans le but de rendre le marché de l’immobilier « plus fluide et plus libre » [4]. L’article 2 VII du projet voté vise alors à réputer non écrite « toute clause permettant la reconduction tacite de la convention parvenue à son terme ». Cette disposition serait ajoutée à l’article 7 de la loi Hoguet qui énonce déjà la nullité des promesses et conventions ne comportant pas de limitation de leurs effets dans le temps.
De lege data, tout mandat doit, en effet, être limité dans le temps [5]. C’est ainsi que la jurisprudence considère qu’un mandat conclu pour une durée déterminée mais contenant une clause de reconduction tacite n’est pas limité dans le temps [6] . Un tel mandat est donc nul.
Le terme du mandat doit être certain pour la jurisprudence. Ce peut être, par exemple, la limitation de la période de tacite reconduction. En effet, il peut être prévu que la poursuite du mandat par tacite reconduction est limitée à une durée d’une année après la période d’irrévocabilité de trois mois [7] .
Cependant, indépendamment de la durée de mandat, le vendeur semble toujours conserver le droit de renoncer à la vente. En effet, la Cour de cassation, de façon assez audacieuse, a jugé que « le mandat, même stipulé irrévocable, de rechercher un acquéreur en vue de la vente d’un bien, ne prive pas le mandant du droit de renoncer à l’opération » [8] ; cette révocation privant d’effet la clause pénale. Dans un arrêt du même jour, la Cour de cassation a posé une limite à cette renonciation qui est celle de la responsabilité du mandant vis-à-vis du mandataire [9] .
Le législateur et le juge ont donc déjà posé des conditions strictes quant à la reconduction tacite du mandat conféré à l’agent immobilier : un terme certain et la possibilité pour le mandant de renoncer à l’opération. Il convient d’ajouter à cette brève présentation, les dispositions de la loi Chatel qui protègent le consommateur lors d’une reconduction tacite [10]. Ce que, par ailleurs, n’a pas manqué de rappeler un député lors des discussions à l’Assemblée [11].
De lege feranda, l’interdiction de reconduction tacite concernera véritablement les mandats non exclusifs ; le projet prévoyant également de limiter à trois mois la durée des mandats exclusifs. Pourtant, ces mandants non exclusifs ne sont guère contraignants pour le mandant qui conserve non seulement le droit de vendre par son intermédiaire ou celle d’un autre agent immobilier mais également le droit à renoncer à son opération.
II.- La clause d’exclusivité : une clause progressivement vidée de sa substance
Le projet de loi vise également à limiter davantage l’exclusivité consentie à un agent immobilier dans ses effets et dans sa durée.
Premièrement, l’article 2 VII prévoit de réputer non écrites, toute clause pénale et toute stipulation interdisant au mandant de réaliser, sans l’intermédiaire de son mandataire, la vente, dans les mandats comportant une clause d’exclusivité.
Le but de cette mesure est, selon le rapporteur de la commission des affaires économiques, de permettre au mandant de « vendre son bien dans le cadre d’une transaction de particulier à particulier ».
Actuellement, c’est un décret qui encadre l’exclusivité et prévoit cette clause obligeant de traiter la vente par l’intermédiaire du mandataire. L’article 78 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972 dispose que « Lorsqu’un mandat est assorti d’une clause d’exclusivité ou d’une clause pénale, ou lorsqu’il comporte une clause aux termes de laquelle une commission sera due par le mandant, même si l’opération est conçue sans les soins de l’intermédiaire, cette clause ne peut recevoir application que si elle résulte d’une stipulation expresse d’un mandat dont un exemplaire a été remis au mandant. Cette clause est mentionnée en caractères très apparents ».
Ce projet vise ainsi à interdire ce que permet actuellement le décret c’est-à-dire de stipuler que le mandant devra recourir au mandataire même s’il trouve lui-même l’acquéreur. Il ne suffit donc plus, pour le législateur, que le mandant s’engage en pleine connaissance de cause (connaissance favorisée par le « caractère très apparent de la clause »), mais qu’il ne puisse pas s’engager à avoir recours à l’intermédiaire s’il trouve lui-même un acquéreur.
Secondement, le même article du projet ajoute que « les clauses d’exclusivité figurant dans les conventions précitées et relatives à une telle opération ne produisent plus effet à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la signature de ces conventions ».
A ce sujet, le rapporteur, lors des discussions en séances publiques, a cru bon d’affirmer que « si vous consentez un mandat exclusif pour une période donnée et que vous n’y prenez garde ensuite, vous vous retrouvez coincé pendant des mois à cause du renouvellement tacite, particulièrement si, en outre, vous ne pouvez pas vendre le bien par vous-même » [12].
Il faut rappeler, cependant, que l’article 2004 du Code civil dispose que le mandant peut révoquer le mandat quand bon lui semble.
Certes, les parties peuvent toujours prévoir une clause d’irrévocabilité. Mais cette dernière ne peut excéder trois mois en principe. En effet, l’article 78 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972 énonce que, en principe, chacune des parties peut mettre fin à un mandat exclusif passé un délai trois mois à compter de sa signature en respectant un préavis de quinze jours, sauf exceptions [13].
En outre, dans un arrêt du 25 février 2010 [14], la Cour de cassation a affirmé, sur le fondement de l’article 2004 du Code civil, que la révocation de l’exclusivité est, comme sa révocation totale, laissée à la discrétion du mandant : « sauf stipulation d’irrévocabilité, la révocation partielle du mandat est, comme sa révocation totale, laissée à la discrétion du mandant, le mandataire pouvant renoncer au mandat ainsi modifié ».
Il s’avère donc que l’évocation par le rapporteur d’un mandant « coincé pendant des mois » à cause de la reconduction tacite est bien relative d’autant que la jurisprudence citée ci-avant permet également au mandant de renoncer à son opération. Plus avant, on peut s’interroger sur la nécessité de prévoir une telle disposition.
Pour conclure, le projet en l’état révèle une certaine défiance, d’une part, à l’égard du mandant de l’agent immobilier, en prévoyant qu’il doit être protégé malgré son consentement éclairé et, d’autre part, à l’égard de l’agent immobilier, en prévoyant d’encadrer davantage sa liberté contractuelle et son obligation d’information. Sur ce dernier point, nous noterons que l’article 2 VI de ce projet prévoit que le mandat devra mentionner les moyens employés par les agents immobiliers et, le cas échéant, par le réseau auquel ils appartiennent, pour diffuser auprès du public les annonces commerciales afférentes notamment aux transactions.
A la lecture de ces dispositions bien sévères à l’égard de l’agent immobilier et peut-être, également, à l’égard de son mandant, il semble bon de se remémorer ce passage de Philippe Malaurie : « Les vertus nécessaires à l’art législatif et à la vie juridique sont toutes différentes : l’humilité, la lucidité, la patience, la prudence, l’énergie et surtout l’esprit juste. Ce sont ces vertus qui font des hommes de bonne volonté ; depuis près de 2 000 ans, on sait que ce sont eux qui donnent la paix » [15]..