Les faits de l’espèce sont simples : un médecin coordonnateur est engagé par un établissement pour personnes dépendantes (2) . Son contrat comporte notamment une clause de conciliation ainsi rédigée : « en cas de désaccord sur l’interprétation, l’exécution ou la résiliation du présent contrat, les parties s’engagent préalablement à l’action contentieuse à soumettre leur différend à deux conciliateurs, l’un désigné par Mme X... parmi les membres du conseil de l’ordre l’autre par le directeur d’établissement ». Ces termes sont identiques à ceux prescrits dans le contrat-type établi par le Conseil de l’Ordre (3).
Il n’est pas inutile dans un premier temps de rappeler quelques différents modes de règlements alternatifs de litiges pour, dans un second temps, resituer le mode de la conciliation en matière prud’homale.
I. La famille « MARL »
A. MARL pour Modes Alternatifs de Règlement des Litiges
« A une époque où le développement des MARL est favorisé par les pouvoirs publics, il est bienvenu que la Cour de cassation consacre l’efficacité des clauses prévoyant un préliminaire de conciliation au cas où un différend survient entre les parties à un contrat. ».(4)
Commençons donc par la conciliation (5).
Une définition incontournable en est donnée par le Vocabulaire Juridique (6) : « Accord par lequel deux personnes en litige mettent fin à celui-ci, la solution résultant non d’une décision de justice ni même celle d’un arbitre mais de l’accord des parties elles-mêmes ».
La médiation apparaît un peu plus armée (rapprocher et proposer) : « mode de solution des conflits consistant pour la personne choisie par les antagonistes à proposer à ceux-ci un projet de solution sans se borner à les rapprocher mais sans être investi du pouvoir de leur imposer comme décision juridictionnelle à la différence de l’arbitrage et de la juridiction étatique ».
Et l’on s’achemine dès lors vers l’arbitrage…
B. Conciliation partout, juridiction plus tard (7)
Ce mode de règlement n’est pas ignoré des juridictions elles-mêmes.
Les dispositions du Code de procédure civile sont explicites pour les règles générales.
Article 21 « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties. »
Article 127 « Les parties peuvent se concilier, d’elles-mêmes ou à l’initiative du juge, tout au long de l’instance. »
Elles sont complétées par des dispositions plus spécifiques :
Article 831 "En l’absence d’opposition du demandeur dans sa déclaration, le juge peut déléguer à un conciliateur de justice la tentative préalable de conciliation".
Article 834 "Lorsque le juge procède lui-même à la tentative préalable de conciliation, le greffe avise le demandeur par tout moyen des lieu, jour et heure auxquels l’audience de conciliation se déroulera".
Le monde professionnel n’est pas en reste.
Ordre des avocats : (pour des conflits collectifs) : « Il est créé une commission paritaire de conciliation des conflits collectifs se rapportant à l’activité et à la profession d’avocat ». (8)
Ordre des architectes : « Tout litige entre architectes concernant l’exercice de la profession doit être soumis au Conseil Régional de l’Ordre aux fins de conciliation, avant la saisine de la juridiction compétente » (hypothèse d’un architecte salarié subordonné à un architecte employeur).
Ordre des médecins : « L’obligation déontologique de conciliation s’impose aux médecins quel que soit leur cadre d’exercice. Le contrat de collaboration salariée doit donc, comme tout contrat conclu par nos confrères, comporter une clause de conciliation. » (commentaires du contrat type de collaboration salariée à durée indéterminée).
La présence de la procédure de conciliation au sein de tant de professions intellectuelles témoigne de la réelle capacité de leurs membres à se réunir autour d’une table sans négliger le fait que la confidentialité et la réputation sont à préserver de toute exposition inconsidérée sur la place publique.
II. Procédure prud’homale : conciliation négligée au profit du jugement
A . La conciliation prud’homale dénaturée ?
Si la phase obligatoire de conciliation devant les prud’hommes est bien une des caractéristiques marquantes de cette juridiction, force est de constater de biens maigres résultats (9) et, de l’avis de certains, une transformation de cette étape en une simple « chambre d’instruction » du dossier à présenter ensuite au bureau de jugement (10).
Tout récemment, l’ANI du 11 janvier 2013 (11) propose d’enrichir la conciliation en offrant la possibilité de mettre fin à un litige par le versement d’une indemnité forfaitaire calculée en fonction de l’ancienneté du salarié et ce au titre d’une réparation de l’ensemble des préjudices liés à la rupture du contrat de travail. De quoi lui redonner un peu d’importance ?
Cette première étape prud’homale en quittant progressivement le terrain d’une réelle conciliation laisserait-elle finalement le champ libre à une autre conciliation d’origine contractuelle ?
B. une conciliation contractuelle peu contraignante
Il convient de poser un premier jalon en rapportant un arrêt rendu le 7 décembre 2011 par la Cour de cassation (12).
Au visa de l’art 1134 du Code civil, celle-ci censure un arrêt d’appel en ces termes : "(…) alors qu’elle avait constaté que la rupture du contrat de travail était intervenue à l’initiative de l’employeur, lequel n’avait pas mis en œuvre la procédure de conciliation contractuelle, la cour d’appel (…)
"
La Cour s’en tient aux stipulations contractuelles et comme le souligne le commentateur : « applique les termes du contrat qui prévoyait que l’activation de la phase de conciliation revenait à la partie désireuse d’y mettre fin ». L’employeur ayant pris l’initiative de la rupture, c’était sur lui que pesait l’obligation de saisir la commission de conciliation prévue par le contrat et non la salariée qui pouvait dès lors s’adresser directement aux prud’hommes.
« La compétence exclusive de la juridiction prud’homale n’est pas remise en cause, la clause ajoutant simplement une étape procédurale » poursuit le commentateur. Fin du premier acte.
Un an après, presque jour pour jour, la Haute Juridiction censure, à nouveau à propos d’une clause contractuelle de conciliation, au visa de l’art L. 1411-1 du Code du travail (13).
Exit ici toute référence à la volonté des parties.
Dès lors on peut déceler la distinction suivante opérée entre clauses de conciliation :
Une clause de conciliation s’appliquant par l’initiative d’une des parties souhaitant rompre le contrat est licite et trouve grâce aux yeux de la Cour par cette liberté dans la stratégie (laisser l’autre partie « faire feu » en premier et ne pas se voir reprocher l’absence de procédure de conciliation dont la mise en œuvre pèse sur l’initiateur).
Cette liberté ira-t-elle jusqu’à permettre de rompre les négociations en cours de conciliation , alors même que cette clause fixe une durée minimale dans la discussion et ce pour saisir dans la foulée les prud’hommes ? Ce serait contraire à la volonté des parties. Mais rien n’interdit au-delà de cette période de dresser un constat de non conciliation et mettre un terme ainsi à cette procédure (14).
A l’opposé, n’est pas admise une clause de conciliation s’appliquant dès l’apparition d’un désaccord entre les parties sans distinguer entre elles quant à leurs actes (« en cas de désaccord » (…) « les parties s’engagent »).
Leur marge de manœuvre est ici inexistante sauf… à ne pas reconnaître de désaccord et dès lors le débat est clos. Certes, cette conciliation obligatoire pourrait rapidement tourner court mais c’est autant de temps et d’énergie perdus.
La Cour met tout particulièrement en parallèle ce que décide la juridiction inférieure (« l’arrêt retient que la clause de conciliation préalable obligatoire est licite ») et sa propre décision sur cette « procédure de conciliation préalable » en omettant volontairement le caractère obligatoire de la clause tout en ne remettant pas en question, par son silence, sa licéité (15).
C’est donc rendre cette voie purement facultative. Les parties vont devoir se concilier entre elles pour décider si elles veulent concilier…
En définitive, on est loin d’une opposition forcenée à toute clause de conciliation et par conséquent bien dans la ligne de la décision de 2011 mais sans pour autant laisser s’imposer automatiquement, dès l’apparition d’un désaccord, une étape procédurale supplémentaire.
Une conciliation contractuelle pour être viable ne pourrait être que facultative, limitée dans le temps – déjà 13 mois de durée moyenne d’une instance prud’homale au plan national– non fermée (option de quitter la table à tout moment sur un constat unilatéral ou commun de non accord) et correspondrait finalement à une tentative de dernière chance en interne avant la première tentative officielle de rapprochant des parties par la saisine des prud’hommes.
Rapprochement hélas trop tardif, car l’image de cette juridiction est de plus en plus celle d’un bureau de jugement et beaucoup moins de conciliation : les points de crispation de part et d’autre vont se renforcer surtout en présence de tierces personnes.
Notes
(1) Cass. soc., 5 déc. 2012, n° 11-20.004, Mme B. c/ Sté Medica France
Décision censurée : CA Lyon, 22 avr. 2011, n° 10/06237. Numéro JurisData : 2011-010712
(2) Société MEDICA . Site internet
« Fondé en 1968, MEDICA est un acteur de référence dans la prise en charge de la dépendance. Le groupe propose une offre d’accueil de jour, temporaire ou permanent en maison de retraite. On parle alors du secteur EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) ».
(3) Art 18 alinéa 1er du Modèle de contrat de médecin coordonnateur en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes Adopté par le Conseil national de l’Ordre des Médecins – Session des 1er et 2 février 2001 Mises à jour novembre 2005 - mai 2007 – août 2011
Le copier/coller est incomplet en omettant l’alinéa 2 : « Ceux-ci s’efforceront de trouver une solution amiable, dans un délai maximum de trois mois, à compter de la désignation du premier des conciliateurs ». Préciser une durée maximale – ainsi que d’autres garanties - de conciliation préalable aurait tempéré la décision de la Haute Juridiction ? A noter que les termes de « salarié » et « employeur » apparaissent uniquement à l’art 8 du contrat-type en traitant du thème des « Assurances ».
(4) La fin de non-recevoir tirée d’une clause instituant un préalable obligatoire de conciliation (arrêts de la chambre mixte du 14 février 2003) par Xavier Lagarde, professeur à l’université de Cergy-Pontoise.
(5) Du latin « conciliare » : unir, réunir . La conciliation est à considérer sous deux angles : la procédure de conciliation et l’accord comme résultat positif de la procédure (à l’opposé, le constat de non conciliation). Un conciliateur peut oeuvrer en vue de rapprocher les parties. La présence d’un ou de plusieurs conciliateurs trouble la frontière avec la médiation.
(6) Vocabulaire Juridique G.Cornu
(7) Juridiction au sens le plus majestueux de « jus-dicere » : dire le Droit. Cette mission de juger, un pouvoir et un devoir de rendre la justice par application du Droit (Voc. Jur. G.Cornu). Doté d’un tel pouvoir comment ne pas s’en faire un devoir ?
(8) Convention collective nationale des cabinets d’avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 Commission de conciliation. Article 1.8.
Code des devoirs des architectes. Section 3 - Devoirs envers les confrères. Art 25 alinéa 1.
(9) Pour les conciliateurs de justice, le taux de conciliation était de 58,10 % en 2010 contre moins de 10% en moyenne en matière prud’homale.
Autant tester la voie de la médiation comme en dispose l’article L1152-6 du code du travail dans un domaine bien délimité : « Une procédure de médiation peut être mise en oeuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause .Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties. Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties. Il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement »
(10) Code du travail :
Article R1454-10 « Le bureau de conciliation entend les explications des parties et s’efforce de les concilier ».
Article R1454-14 « Le bureau de conciliation peut (...) ordonner (...)
3° Toutes mesures d’instruction, même d’office ;
4° Toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux ».
Article R1454-18 « Le bureau de conciliation peut fixer le délai de communication des pièces ou des notes que les parties comptent produire à l’appui de leurs prétentions ».
Article R1454-1 « Afin de mettre l’affaire en état d’être jugée, le bureau de conciliation ou le bureau de jugement peut, par une décision non susceptible de recours, désigner un ou deux conseillers rapporteurs en vue de réunir sur cette affaire les éléments d’information nécessaires au conseil de prud’hommes pour statuer. »
(11) Accord national interprofessionnel de sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013. Incitation à la conciliation prud’homale (article 25)
L’ANI incite les parties à mettre un terme rapide et définitif aux litiges en prévoyant le versement pour les contestations relatives au licenciement d’une indemnité forfaitaire, ayant le caractère social et fiscal de dommages-intérêts, fixée en fonction de l’ancienneté du salarié (de 2 à 14 mois de salaire) lors de l’audience de conciliation. La Semaine Juridique Social n° 4, 22 Janvier 2013, act. 30
(12) Cass. soc., 7 déc. 2011, n° 10-16.425, FS-P+B, Mme V. c/ Association Handball cercle Nîmes : JurisData n° 2011-027347 Commentaire de Stéphane Brissy , maître de conférences en droit privé à l’IUT de Nantes. La Semaine Juridique Social n° 8, 21 Février 2012, 1092
(13) Le visa ne porte pas sur l’art 1411-4 et l’art 1411-1 du code du travail mais uniquement ce dernier contrairement au moyen qui soulignait « la compétence de la juridiction prud’homale (…) est exclusive et d’ordre public ; qu’est par conséquent nulle toute clause ayant pour effet d’empêcher ou de restreindre l’accès à la juridiction prud’homale à une conciliation préalable obligatoire (…) ».
Article L.1411-1 « Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient ».
Article L.1411-4 « Le conseil de prud’hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite ».
(14) Sur la question de la durée de la conciliation : « Une bonne clause, avis aux rédacteurs, doit nécessairement contenir un délai, de façon à ce qu’on puisse se prêter au préalable de conciliation en sachant qu’on n’y sera pas embourbé indéfiniment. Pour celles qui n’ont pas prévu de délais, il serait peut-être un peu sévère d’envisager automatiquement une nullité guillotine (…) Puisqu’il s’agit d’une obligation, il faut que son objet soit déterminé et qu’on ne se borne pas à une incantation de principe en disant qu’il faudra se concilier, mais qu’on définisse au minimum un certain squelette de processus de conciliation. ». La fin de non-recevoir tirée d’une clause instituant un préalable obligatoire de conciliation (Arrêts de la chambre mixte du 14 février 2003) par Alain Bénabent, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation
(15) « Préalable » d’un côté, « préliminaire » de l’autre (en parlant de la procédure prud’homale)…La Cour de cassation ne range décidément pas les clauses de conciliation dans le même tiroir ou est-ce une élégance de style interdisant toute répétition ?
Discussion en cours :
la prise d’acte de rupture de contrat de travail annule de fait la conciliation prudhommale.
cependant qu’en est il de la conciliations contractuelle ? Peut ’on imaginer qu’elle devienne nulle et réputée non écrite dans ce type de rupture de contrat de travail ?
cordialement