Danseurs de ballets sous contrat de droit public : une situation peu enviable juridiquement.

Par Jacques-Alexandre Bouboutou, Avocat.

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Explorer : # précarité de l'emploi # danseurs de ballet # contrats à durée déterminée # droit public

Le combat des danseurs de l’opéra de Bordeaux pour l’amélioration de leur statut professionnel souvent précaire met l’accent sur une situation largement dérogatoire qui devrait faire l’objet d’une réforme en profondeur.

Ceux-ci se plaignent des contrats de courte durée à renouvellement multiple, empêchant toute projection dans l’avenir et les obligeant à demeurer dans un état de candidat permanent aux concours.

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Un cadre juridique dérogatoire

Il n’est pas inutile de rappeler que parmi la trentaine de maisons d’opéra que compte le territoire, et dont une dizaine compte une compagnie permanente de ballet, la plupart sont placées sous un statut de droit public.

Certaines comme l’Opéra national de Paris ont le statut d’établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du Ministère de la Culture.

D’autres, comme le Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, faisant partie du petit groupe des cinq « opéras nationaux en région », ont un statut de régie personnalisée.

Dans les deux cas, il s’agit de démembrements de la collectivité publique, dotés de l’autonomie financière et de la personnalité juridique, leur permettant de gérer leur budget et de passer des contrats dans une relative autonomie.

Ce statut particulier rappelle la tension permanente entre besoin d’un accompagnement public et nécessaire autonomie de fonctionnement pour ces structures du spectacle vivant.

Ceci étant rappelé, la situation des danseurs doit faire l’objet d’une attention particulière. En effet, tant par la nature de leur activité que des enjeux qui la caractérise, ceux-ci sont à distinguer du personnel administratif ou technique de l’opéra.

Coincé entre la figure de l’artiste pouvant laisser part à une certaine créativité sous la direction du chorégraphe et celle du sportif de haut niveau soumis à une discipline de fer tant alimentaire qu’en ce qui concerne les séances quotidiennes d’entrainements et de répétitions, le danseur se trouve bien souvent au milieu du gué quand il est question de ses droits et garanties, à commencer par la catégorie de contrat à laquelle il peut prétendre.

A la différence des danseurs de l’Opéra national de Paris, qui sont des salariés de droit privé soumis aux dispositions protectrices du Code du travail, les danseurs du Théâtre national de Bordeaux sont des contractuels de droit public, régis principalement par des lois et des décrets [1] [2], ne bénéficiant pas de la permanence d’emploi qui les assimilerait à des agents titulaires de la fonction publique.

Paradoxalement, leur situation est moins enviable que leurs confrères parisiens du privé dans la mesure où le recours aux contrats à durée déterminée est plus massif au sein des opéras en région. Il s’agit de CDD dits « d’usage » dès lors qu’il s’agit d’un type d’activité pour lequel il est courant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée eu égard au caractère par nature temporaire des missions confiées au personnel danseur.

Cette notion de nature temporaire de l’emploi est d’ailleurs l’une des conditions posées par la Cour de cassation [3], ainsi que par l’accord interbranche étendu sur la politique contractuelle dans le spectacle vivant public et privé du 24 juin 2008 pour le recours au CCD d’usage.

La faiblesse des garanties statutaires

Dans la majorité des cas, il est ainsi question de CDD d’une durée d’un an renouvelable (le maximum étant de 3 ans pour les agents contractuels), sans délai de carence entre chaque contrat, et avec pour seule limite l’obligation de leur proposer un CDI au bout de six ans d’ancienneté.

A noter que ces contrats, sont généralement précédés d’une période d’essai qui est limitée à cinq répétitions sur un maximum de huit jours.

Il n’en demeure pas moins qu’en-dessous du seuil des six ans d’ancienneté, un danseur de l’Opéra de Bordeaux n’a aucun droit au renouvellement de son contrat et le refus de renouvellement n’aura pas à être motivé, même s’il doit au moins être justifié par l’intérêt du service [4].

En revanche, ce refus devra être notifié au danseur en respectant un délai de prévenance d’un mois avant la date d’anniversaire du contrat s’il est d’une durée d’un an et de deux mois au-delà de deux ans d’ancienneté.

Le CDD est aussi utilisé dans le but pour les compagnies de se prémunir contre d’éventuels départs en cours de saison, dans la mesure où les danseurs peuvent difficilement mettre fin à ce type de contrat de manière anticipée (à moins qu’ils n’aient trouvé un CDI ailleurs), tandis que les danseurs sous CDI peuvent rompre leur contrat à tout moment sous réserve d’un préavis d’un ou deux mois en fonction de leur ancienneté.

La décision qui consisterait à réduire les effectifs de danseurs en raison par exemple des besoins décroissants de l’opéra en matière de productions chorégraphiques, si elle doit quant à elle être motivée, n’entraîne aucun droit à reclassement sur un autre emploi pour les danseurs, dans la mesure où ce droit est réservé aux agents titulaires de la fonction publique [5].

Dès lors, ceux-ci ne peuvent réclamer à ce titre aucune indemnisation, à moins qu’il puisse être démontré que le refus de renouvellement ne cache en réalité une rupture de contrat pour des motifs tirés de la manière dont le danseur exerce ses activités, ce qui serait assimilé à un licenciement déguisé.

Enfin, l’agent ainsi privé d’emploi ne percevra que l’allocation d’aide au retour à l’emploi dont le montant journalier minimum est de 28,67 euros et n’aura pas droit à l’indemnité de fin de contrat de 10% existant pour les salariés du privé.

Vers une réforme du statut ?

Si des voix s’élèvent pour dénoncer ce sort peu reluisant pour de jeunes danseurs privés de sérénité sur leur avenir, il ne pèse pas à ce jour d’obligation légale précise permettant de limiter, ne serait-ce que numériquement au sein d’une troupe, le recours aux contrats précaires à répétition, alors même qu’en principe le recours au CDD doit revêtir un caractère exceptionnel.

D’autant qu’à ce problème de la précarité, s’ajoute la question de la rémunération souvent faible pour les jeunes danseurs rapportée aux heures réelles de travail qui ne se limitent pas aux heures passées dans la salle de répétition ou en représentation.

La durée relativement courte d’une carrière de danseur par rapport aux autres professionnels du monde du spectacle devrait susciter une réflexion allant vers l’adoption de dispositions spécifiques pour les sécuriser plus en amont dans leur carrière.

Il est sans doute temps que le législateur et les partenaires sociaux se penchent sur la question d’un statut spécifique amélioré pour les danseurs avant que les conflits sociaux au sein des compagnies de ballet se multiplient et s’intensifient dans un contexte économique déjà tendu pour la plupart des maisons d’opéra.

Jacques-Alexandre BOUBOUTOU
Avocat à la Cour
http://bouboutou-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale

[2Décret n° 88-145 du 15 février 1988

[3Cass. Soc. 23 janvier 2008, pourvoi n°06-43040, publié au Bulletin

[4Conseil d’Etat, 8 janvier 1993, req. n°102347

[5Conseil d’Etat, 13 octobre 1997, req. n°161967

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