Déclaration sans suite de la procédure de passation d’un marché public et mauvaise estimation des besoins de ce dernier.

Par Antoine Louche, Avocat.

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Explorer : # marché public # déclaration sans suite # estimation des besoins # responsabilité de l'administration

La mauvaise estimation des besoins d’un marché public ne constitue pas nécessairement un motif d’intérêt général de nature à justifier une déclaration sans suite de la procédure des besoins du marché.

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L’administration dispose de prérogatives spécifiques et exorbitantes du droit commun. A ce titre, et pour un motif d’intérêt général, une personne publique peut déclarer sans suite une procédure de passation de marché public, après avoir désigné l’attributaire pressenti le marché mais avant sa signature.

En effet, la décision d’attribution n’est pas créatrice de droit pour son bénéficiaire. Cette décision qui fait grief peut être contestée devant le juge administratif.
Cette contestation porte bien souvent sur le motif avancé pour justifier la déclaration sans suite de la procédure.

Les anciennes dispositions du code des marchés, publics ne dressent une liste des motifs pouvant justifier une telle déclaration sans suite.

Il peut ainsi s’agir tant de motifs techniques, économiques ou juridiques. La jurisprudence a pu indiquer sur ce point que la disparition du besoin peut justifier le prononcé d’une déclaration sans suite de la procédure par la personne publique (voir notamment en ce sens CAA Bordeaux, 8 janvier 2008, n°05BX01006).

Il peut s’agir autant de la disparition pure et simple du besoin que de la nécessité de redéfinir ce dernier. La cour administrative d’appel de Nantes est venue apporter une précision sur ce point.

Dans le cas d’espèce, la personne publique avait informé les candidats qu’elle déclarait sans suite la procédure pour motif d’intérêt général tiré de ce que les besoins des services avaient été sous-évalués et qu’une nouvelle procédure serait engagée.

Toutefois, la cour a relevé d’une part que les arguments avancés par la personne publique n’étaient pas démontrés et peu vraisemblables. Le marché en cause portait sur du matériel informatique. Le pouvoir adjudicateur avait indiqué aux juges que la réévaluation du besoin trouvait notamment son origine dans le fait que plusieurs ordinateurs avaient rencontré des problèmes dans les jours suivants la désignation du titulaire pressenti du marché.

Les juges ont également relevé que la nécessité de procéder à la réévaluation des besoins trouvait son origine dans l’erreur des services de la personne publique. En effet, la définition des besoins relève de la compétence de la personne publique.

La cour a condamné cette dernière à verser à l’entreprise déclarée initialement titulaire de la première procédure de son manque à gagner.

Cette jurisprudence illustre deux points.

D’une part, que la définition des besoins du marché constitue une étape essentielle lors d’une procédure de passation d’un marché public. En effet, la mauvaise définition de ces besoins peut être à l’origine de multiples difficultés futures (avenant, offre anormalement basse, etc.).

D’autre part, s’il ressort de l’instruction que la décision de déclaration sans suite est motivée par une nécessité de redéfinir un besoin mal identifié par la personne publique elle-même, la responsabilité de cette dernière pourra alors être engagée.

Cette appréciation est cohérente avec l’esprit de la procédure. La procédure de déclaration sans suite est une procédure dérogatoire du droit commun qui trouve son origine dans un motif d’intérêt général. Or, l’intérêt général ne saurait couvrir la défaillance de la personne publique.

Référence : CAA Nantes, 2 février 2016, n°14NT01374 ; CAA Bordeaux, 8 janvier 2008, n°05BX01006

Note : Cet arrêt a été rendu avant l’entrée en vigueur de la réforme de la commande publique de 2015-2016. Les dispositions de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du décret du 25 mars 2016 ne sont donc pas applicables.

Antoine Louche,
Avocat associé chez Altius Avocats
www.altiusavocats.fr

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Discussions en cours :

  • par Louche Antoine , Le 14 septembre 2016 à 08:50

    Cet article porte sur le commentaire d’une jurisprudence de février dernier et pour une décision de déclaration sans suite de 2012. Ainsi, la réforme de la commande publique n’était donc pas applicable. Je vais toutefois solliciter un modification de l’article afin que cet élément soit indiqué pour retirer tout doute.
    Toutefois, il est vrai que les nouvelles dispositions applicables en la matière (article 98 du décret de mars 2016) ne font plus références à la notion de motif d’intérêt général. Nous ne disposons malheureusement pas encore, sauf erreur de ma part, de retour des tribunaux sur l’application de cet article.
    Toutefois, à mon sens, même si la notion d’intérêt général n’est plus mentionnée dans l’article 98, les motifs de la décision de déclaration sans suite devront être légaux.
    Ainsi, une méconnaissance des grands principes de la commande publique ou un détournement de procédure pourrait en principe justifier une annulation de la décision de déclaration sans suite par exemple.

  • par Julien Bonnet , Le 13 septembre 2016 à 18:38

    Votre article est périmé. Depuis l’ordonnance de 2016 il n’est plus nécessaire d’invoquer un motif d’intérêt général pour déclarer sans suite une procédure de passation. Cela montre la connaissance de l’auteur sur le droit des marchés publics....

  • par FM , Le 13 septembre 2016 à 18:53

    Bonjour Monsieur,

    Mais désormais avec l’écriture de l’article 98 du décret du 25 mars 2016, il n’y a plus besoin de motif d’intérêt général pour déclarer sans suite une procédure de passation d’un marché.
    L’administration peut elle encore être fautive ?

    Bien cordialement

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